RDC. Joseph Kabila choisit son dauphin

Emmanuel Shadary Ramazani

Par Colette Braeckman

La présentation d’Emmanuel Shadary Ramazani comme candidat du Front commun pour le Congo, la plate-forme constituée autour de la majorité présidentielle, a commencé par surprendre, par susciter des commentaires en sens divers: «tout ça pour ça», «un homme de l’ombre», «Le Medvedev de Kabila/Poutine»…

Il est vrai que le secret avait été bien gardé et la mise en scène opaque à souhait. A la veille du délai fixé pour le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, les représentants de la majorité avaient été convoqués à Kingakati, la ferme du président Kabila, pour une ultime réunion dont rien ne filtra, les portables ayant été coupés et les réseaux sociaux désactivés.

Alors que Kinshasa retenait son souffle, que le dispositif de sécurité avait été renforcé dans la ville, il fallut attendre l’extrême fin du délai fixé pour découvrir, d’un seul coup, les deux nouvelles du jour: Kabila avait respecté son engagement à ne pas se représenter et son dauphin était un homme relativement peu connu à l’extérieur du pays, mais ayant gravi méthodiquement tous les échelons du pouvoir.

Né en 1960, Emanuel Shadary Ramazani est originaire du territoire de Kabambare au Maniéma, une province centrale, enclavée, jouxtant à la fois le Kivu et le Katanga, et dont est originaire Maman Sifa, la mère du président sortant.

Les liens entre Joseph Kabila et Emmanuel Shadary sont plus anciens qu’on ne le pense: membre de la société civile du Maniéma du temps de Mobutu, Shadary fut élu, à deux reprises, député national et dès le début, il accompagna le développement du parti présidentiel, le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et le développement) dont il finit par devenir [le 17 mai 2015] secrétaire général adjoint et coordinateur de la majorité présidentielle.

A chacun de ses déplacements dans cette province parfois oubliée, c’est chez Shadary que logeait Joseph Kabila alors même qu’un autre fils du Maniéma, Augustin Matata Ponyo, occupait le devant de la scène comme Premier ministre et qu’Aubin Minaku présidait l’Assemblée nationale.

Ayant étudié les sciences politiques à Kinshasa, s’exprimant aussi bien en lingala, la langue de Kinshasa et de l’ouest du Congo qu’en swahili, Emmanuel Shadary Ramazani fut longtemps considéré comme un disciple d’Evariste Boshab, auquel il succéda comme ministre de l’Intérieur en 2016. Un poste exposé, qui l’amena à être tenu pour responsable de la répression menée lors des manifestations anti-Kabila et à être frappé par des sanctions européennes.

Homme effacé, courtois, aussi peu flamboyant que Joseph Kabila lui-même, Emmanuel Shadary est décrit comme un homme de l’ombre qui a méthodiquement assuré son emprise. «Comme ministre de l’Intérieur, il est devenu le maître de la territoriale, nous assure l’un de ses proches, tous les responsables administratifs qu’il a nommés dans les provinces lui sont acquis et au moment des élections, il s’agira d’un atout essentiel.»

Sur le terrain, le travail a été mené avec méthode: «Durant des mois, doté d’un avion que le parti avait loué pour lui, Shadary a parcouru tout le pays et, si à l’étranger il est peu connu, il n’en va pas de même dans le Congo profond…»

Président du parti après en avoir été secrétaire national, le dauphin de Kabila est donc un homme de réseaux, qui se gardait bien d’apparaître au premier plan. Apparemment dépourvu de fortune personnelle (ce qui peut représenter un handicap mais n’est pas un défaut…), le candidat surprise dépendra donc de son mentor, de la même manière qu’il devra compter sur ce dernier pour s’assurer le contrôle de l’armée où le général Amisi dit Tango Four – récemment promu chef d’état-major adjoint chargé des opérations et du renseignement – est le seul à être originaire du Maniéma. Pour le ministre des Affaires étrangères She Okitundu, «la nomination de Shadary est le fruit d’une réflexion mûrement réfléchie; notre candidat répond aux onze critères qui avaient été fixés par notre plate-forme et il a franchi toutes les étapes pouvant le mener au pouvoir suprême. Originaire d’une petite province, certes, il a vécu au Katanga et à Kinshasa et dans l’Equateur il s’est exprimé en lingala…»

Quant aux pays voisins, et en particulier le Rwanda et l’Angola, She Okitundu estime que Shadary sera à même de les rassurer, tandis que le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est annoncé pour vendredi à Kinshasa. En Europe, la quasi-éviction de Moïse Katumbi, empêché de regagner son pays pour y déposer sa candidature, n’a pas fini de faire grincer des dents et on se demande si la candidature de Jean-Pierre Bemba, qui n’a pas vécu au Congo l’année écoulée car il était détenu à La Haye, sera jugée recevable.

Ciblé par des sanctions européennes, le dauphin venu du «Congo de l’intérieur» devra apprendre à nager dans les eaux internationales. Il devra aussi faire face à la rancune des Français qui furent obligés de payer une rançon pour obtenir la libération d’otages [capturés en juillet 2017 par des miliciens Maï Maï Kakumtumba dans la région de la mine de Namoya, sise dans la province de Maniéma] qui, travaillant pour la société Banro [1], active au Maniéma et au Sud-Kivu, avaient été capturés par les Mai Mai. Shadary, alors ministre de l’Intérieur, s’était révélé impuissant. (Article publié dans Le Soir, en date du 9 août 2018)

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[1] La société aurifère canadienne est très active en RDC. Elle possède 14 permis d’exploitation en RDC (des mines sont en activité, d’autres sont en préparation pour l’être: l’ensemble de ces permis couvrent une surface de 2638 kilomètres carrés. Le site d’information Kunduinfo.net au Maniéma, le 12 juillet 2018, insiste sur la visite du nouveau PDG de Banro, Brett Richards, dans la Province du Maniéma et souligne qu’«après la prise de fonction à la tête de Banro Corporation, le nouveau PDG a déjà organisé plusieurs séances de communication publique avec notamment les travailleurs de Twangiza, de Namoya, les partenaires et parties prenantes de Banro à Bukavu et à Salamabila». (Réd. A l’Encontre)

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