Algérie-Dossier. 10e semaine de marche: «Pas de demi-révolution»

Par Meziane Abane

Gaïd Salah garde sa place «prestigieuse» et fait savoir qu’il est le premier détenteur de la décision dans l’Etat. Les politiques comme les partis proposent des solutions, mais qui contredisent toutes celles de Gaïd Salah, qui manœuvre pour imposer une issue puisée dans la Constitution actuelle. C’est ce qui marquera cette 10e semaine de protestation, où le peuple se doit d’être catégorique.

«Le pouvoir est autiste devant les revendications du peuple qui veut aller vers un Etat démocratique, de droit, de libertés et de justice sociale. Nous ne pouvons concrétiser ce projet avec ces gens au pouvoir. Ils ont d’autres aspirations et ne peuvent comprendre celles des Algériens. La preuve est l’appel du chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, illégitime démocratiquement et constitutionnellement, à une conférence de consensus national, alors que le consensus en question est reproduit quotidiennement par le peuple à travers ses slogans ‘Algérie libre et démocratique’ et ‘Trouhou Ga3’» (partez tous), déclare Fethi Ghares, coordinateur national du Mouvement démocratique et social (MDS), dans une vidéo publiée, mercredi, sur la page Facebook officielle du parti.

Dans sa déclaration, Fethi Ghares affirme «avoir refusé l’invitation de Bensalah» comme beaucoup d’autres d’ailleurs, à l’instar du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Mohcine Belabbas, pour participer à la conférence du consensus en question.

Cette dernière a été organisée dans une salle presque vide, ce qui n’a pas été du goût du chef d’état-major de l’ANP qui a critiqué, lors de sa dernière sortie médiatique, ceux qui ont refusé d’y prendre part en les qualifiant de «partis qui ne veulent pas du bien pour le pays». 

Fethi Ghares [membre du Mouvement démocratique et social-MDS] a fustigé le pouvoir et a critiqué aussi la démarche du chef d’état-major, Gaïd Salah, qui tente d’imposer, selon lui, «une solution constitutionnelle au sens du maintien du pouvoir à la crise politique qui prévaut dans le pays». «Gaïd Salah veut une sortie constitutionnelle à une crise créée par ce même système dont il fait partie. La solution ne peut être que politique en passant par une période de transition vers un nouvel horizon qui ne peut être qu’une vraie démocratie. Le vide, ce sont les tenants du pouvoir, y compris Gaïd Salah, qui le produisent», assure-t-il.

Refus 

La période des interdictions de manifestation et de la répression des manifestants est révolue. Ce n’est plus une nouveauté pour le peuple. L’objectif étant probablement clair, d’autant plus que cela ne se produit que dans la capitale où tous les pouvoirs sont centralisés. Les débats se sont plutôt tournés ces derniers jours vers l’appui ou non de la solution prônée par Gaïd Salah, qui s’accroche à la constitutionnalité avec l’application de l’article 102 de la Constitution et l’organisation d’une élection présidentielle le 4 juillet prochain, comme si le problème était dans le maintien ou non de Bouteflika comme président de la République.

Le pouvoir, à sa tête Gaïd Salah, campe sur sa solution devant le refus des magistrats, entre autres, de surveiller les prochaines échéances et l’opposition de plusieurs présidents d’APC – notamment ceux des trois wilayas de la Kabylie, Tizi Ouzou, Bouira et Béjaïa, ainsi que certains de la capitale – à l’ouverture de leurs bureaux d’enregistrement des listes électorales pour la prochaine élection présidentielle.

Certaines formations politiques dont le Parti socialiste des travailleurs (PST) de Mahmoud Rechidi ou le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune convergent vers la Constituante, «seule solution pour permettre au peuple organisé d’exercer sa pleine souveraineté», explique Ramdane Tazibt, dirigeant du PT et député démissionnaire. «Nous sommes en présence d’une révolution populaire qui réclame le départ du système, de tous ses symboles et de ses institutions. 

Pour mettre en place un nouveau système légitime conforme aux besoins et aux aspirations de l’immense majorité des citoyens, il faut fonder une NOUVELLE république qui soit l’émanation de la volonté politique. Nous ne devons pas nous précipiter. Le peuple qui s’est soulevé est en train de s’organiser localement en comités populaires, universitaires et sur les places publiques. Cette auto-organisation peut aller au niveau wilayal puis national. les délégués qui en sortiront constitueront de fait une direction nationale de la révolution ou bien ils convoqueront des élections. Durant ce processus constituant, les différentes couches de la société pourront rédiger leurs doléances et revendications à inscrire dans la nouvelle Constitution qui tranchera aussi de la nature du régime à mettre en place (parlementaire, semi-présidentiel…)», ajoute le député du PT.

3issaba

Entre les débats et les interventions, d’autres solutions ont surgi. Entre le Front des forces socialistes (FFS) qui boycotte et tente de régler ses problèmes internes, d’autres partis proposent une solution politique en dehors de l’actuelle Constitution. C’est ce que défendent beaucoup d’entre eux, dont le MDS, et certaines personnalités publiques dont maître Mostefa Bouchachi ou le général à la retraite Hocine Benhadid, qui l’a clairement signifié à Gaïd Salah dans sa contribution publiée hier par El Watan.

L’emprise de Gaïd Salah sur les décisions politiques se concrétise de plus en plus aux yeux du peuple, qui constate quotidiennement la mise en application de tout ce à quoi il appelle, notamment à travers ses communiqués et ses discours.

La dernière décision de Gaïd Salah concerne les poursuites judiciaires contre des hommes d’affaires algériens. Mais le premier à en subir les conséquences a été, contre toute attente, l’industriel et homme d’affaires à la réputation internationale, Issad Rebrab, qui lui-même souffrait de blocages et contraintes qui lui ont été imposés par le pouvoir de Bouteflika et de ce qu’appelle Gaid Salah, aujourd’hui, «3issaba». Certains qualifient la mise en détention provisoire de Rebrab de «règlement de comptes entre Gaïd Salah et le général Toufik».

D’autres interprètent autrement les intentions du vice-ministre de la Défense nationale, en disant qu’«il veut attiser les tensions en Kabylie, où l’industriel est respecté et aimé, afin de diviser le mouvement du Hirak ou pousser les kabyles à la révolte afin de justifier l’instauration d’un nouvel état d’urgence». Les avis et les analyses diffèrent.

En réaction à ce sujet, Karim Tabbou qualifie, lors de sa conférence animée mercredi à Bouira, «les interpellations récentes d’hommes d’affaires de diversion de plus du pouvoir». «Dans un état de droit, la justice obéit aux lois et non pas aux ordres. Or, ce qui s’est passé ces jours-ci, ce sont des règlements de comptes. Ils veulent nous faire oublier l’essentiel des revendications du peuple, à savoir le changement radical de tout le système», dénonce Karim Tabbou.

Jeunesse

Gaïd Salah critique même «la presse qui n’interprète pas ses intentions ou ses déclarations». Il est clair, aujourd’hui, que c’est l’institution militaire, à sa tête Gaïd Salah, qui décide de l’avenir du pays. Raison pour laquelle le général Hocine Benhadid lui a adressé sa contribution publiée hier.

Le général Benhadid appelle Gaïd Salah et l’institution militaire à «ne pas commettre les erreurs des anciens militaires à céder le pouvoir au peuple et notamment à sa jeunesse, à accompagner ces derniers dans la transition, à dissoudre les institutions satellitaires de l’Etat et à opter pour une solution politique en dehors de la Constitution afin d’instaurer une nouvelle république qui répondra aux aspirations du peuple». 

«Le cantonnement dans une solution exclusivement constitutionnelle ne peut que prolonger la survie politique d’un système honni par toute une nation. Il faut qu’on écoute, Monsieur Gaïd Salah, ce que cette jeunesse descendue par millions dans les rues a à nous dire. Cette jeunesse est bel et bien la seule force de changement possible», énonce le général à la retraite Hocine Benhadid. Et de s’interroger : «Dans ce cas, n’est-il pas nécessaire de dissoudre, au nom du peuple, toutes les institutions du régime et ses satellites et aller vers une réelle transition ?»

Il est évident que la solution est entre les mains du peuple, qui puise sa force dans sa capacité de mobilisation et dans le caractère pacifique de ses manifestations. Le dernier mot lui revient devant les manœuvres d’un pouvoir qui refuse de céder à la volonté de «Son Excellence le peuple», comme le rappelle, chaque vendredi, la plaque se trouvant sur la place Maurice Audin, à Alger-Centre.

Son Excellence sortira encore aujourd’hui dans les quatre coins du pays afin d’exprimer son attachement à la nouvelle république et à son fameux slogan «Yetna7aw Ga3». Reste à savoir quel mot d’ordre scandera-t-il demain… (Article publié le 26 avril 2019 dans le quotidien El Watan)

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Appel à la Grève nationale les 29 et 30 avril par le SNAPAP

Par Karim Aimeur

Dans le prolongement de cet extraordinaire élan de mobilisation nationale, le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) a appelé à une grève nationale de deux jours dans tous les secteurs de la Fonction publique, et ce, pour les 29 et 30 avril en cours.

«Nous appelons à cette grève pour accentuer la pression sur les décideurs afin de répondre en urgence aux revendications du peuple et pour éloigner l’armée de la surenchère car l’armée doit rester unie dans cette conjoncture», a expliqué El Ayachi El Mili, membre du secrétariat national du Snapap, hier, lors d’une conférence de presse au siège du syndicat à Alger.

Une action voulue donc pour maintenir la mobilisation qui ne cesse de prendre de l’ampleur depuis le 22 février dernier et qui s’inscrit dans la durée face à l’obstination des décideurs qui veulent imposer leur propre plan de sortie de crise au moment où le peuple s’oppose à toute gestion de la transition par les figures du régime politique qui ont conduit le pays, sous la protection des Bouteflika, à la dérive.

Dénonçant l’entêtement de certains responsables à rester au pouvoir, en allusion à Abdelkader Bensalah et Noureddine Bedoui, qui refusent de partir malgré la mobilisation massive et inédite du peuple contre eux, le conférencier a affirmé que les évènements qui se déroulent dans le pays depuis le 22 février dernier ont changé le cours de l’Histoire.

«Ils ont libéré tout le monde : les partis politiques, les médias, les syndicats, les organisations de la société civile…», a-t-il affirmé. Il a appelé à préserver l’unité nationale, tout en s’opposant à toute ingérence étrangère dans les affaires du pays dans cette conjoncture exceptionnelle qu’il traverse.

Sur un autre plan, le conférencier a annoncé une initiative politique que le Snapap compte lancer dans les prochains jours afin de trouver une solution consensuelle de sortie de crise, surtout, a-t-il dit, que «l’élection présidentielle du 4 juillet risque fortement de ne pas avoir lieu». Il est, en effet, difficile de tenir une présidentielle dans le contexte actuel, en l’absence des conditions de son bon déroulement.

«On va convier tout le monde, partis politiques, syndicats, associations, personnalités publiques pour une réunion, avec un ordre du jour ouvert, afin de sortir avec une feuille de route pour une sortie de crise», a-t-il expliqué.

Selon lui, des contacts sont déjà établis, dans ce sens, avec certains partis et personnalités.

Toutefois, le Snapap ne compte pas prendre contact avec le pouvoir dans le cadre de son initiative, pour la simple raison que le peuple rejette ce pouvoir.

«On va, par contre, envoyer une copie de l’initiative au Commandement de l’armée», a-t-il précisé, appelant à la conjugaison des efforts pour préserver l’Etat algérien. (Article publié dans Le Soir d’Algérie, en date du 25 avril 2019)

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Gaïd Salah se montre plus «conciliant»: «Nous sommes disposés à approuver toute proposition constructive et utile»

Par Kamel Amarni

Cet appel, qui s’adresse essentiellement à l’opposition, est lancé par l’institution militaire, par la voix de son premier responsable, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, lors de sa visite en 1re région militaire, effectuée mardi dernier. Ce second discours de Gaïd Salah, que le ministère de la Défense a rendu public hier mercredi, contient, en effet, ce passage : «Nous réitérons également que l’Armée nationale populaire demeurera engagée à préserver les nombreux acquis et réalisations de la Nation, ainsi que l’accompagnement du peuple et de ses institutions à travers la mise en œuvre des solutions possibles, tout en approuvant toute proposition constructive et initiative utile allant dans le sens du dénouement de la crise et menant le pays vers la paix.»

Par «l’accompagnement du peuple et de ses institutions dans la mise en œuvre des solutions possibles», il faut entendre le processus en cours, exigé et défendu par Gaïd Salah depuis le 26 mars dernier, à savoir l’application de l’article 102 avec, au bout, une élection présidentielle dans les délais. Quant à l’offre de dialogue, elle est contenue dans la deuxième partie de ce passage, à savoir : «Tout en approuvant toute proposition constructive et initiative utile allant dans le sens du dénouement de la crise.»

Par «constructive» et «utile», il convient de comprendre que l’armée n’entend pas prendre en considération des propositions qui ne soient pas conformes à sa feuille de route générale. Ce, d’autant plus que, invariablement et dans ce nouveau discours encore, le chef de l’état-major parle de «parties intérieures» hostiles, instrumentalisées par des parties étrangères, et de plans visant la stabilité et la sécurité nationales. «L’alignement de l’Armée nationale populaire aux côtés du peuple afin d’atteindre ses objectifs visant à opérer le changement escompté et sa mobilisation continue pour accompagner les Algériens dans leurs marches pacifiques et leur sécurisation, découle de la cohésion et de la concordance dans les visions et la démarche empruntée, entre le peuple et son armée.

Une cohésion qui semble déranger ceux qui portent une animosité profonde envers l’Algérie et son peuple et ce, malheureusement, en conspirant avec des parties intérieures, qui ont vendu leur âme et ont hypothéqué l’avenir de leurs concitoyens pour des fins et des intérêts étroits». Ce disant, le patron de l’armée ne manquera pas de préciser aussi que : «Face à ces plans qui tendent à semer les graines de la discorde et de la sédition entre les Algériens et leur armée, l’armée nationale populaire continue à leur faire face, conformément aux dispositions de la constitution et des lois républicaines». Et d’ajouter : «Ce qui atteste de la réussite des unités de sécurité, en charge du maintien de l’ordre, à déjouer les diverses tentatives visant à semer la terreur et l’anarchie et troubler l’ambiance calme et sereine caractérisant les marches citoyennes. Ceci a été confirmé par l’interpellation, au courant de la fin de la semaine passée, d’individus en possession d’armes à feu, d’armes blanche et de grenades lacrymogènes, ainsi qu’une grande quantité de psychotropes et des moyens de communication».

Cette information, rendue publique par la DGSN à l’issue de la marche du vendredi 12 avril dernier, suggère, comme l’insinue Gaïd Salah, l’implication de services spéciaux étrangers.

«L’ANP offre des garanties à la justice»

L’opération «mains propres», menée tambour battant depuis quelques jours contre des hommes d’affaires et d’ex-hauts responsables a, encore une fois, été évoquée par le chef de l’état-major. Gaïd Salah persiste et signe à ce propos : « J’ai appelé l’appareil de la justice dans mes interventions précédentes à accélérer la cadence des poursuites judiciaires concernant les affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics et de juger tous ceux qui ont pillé l’argent du peuple. Dans ce contexte précisément, je valorise la réponse de la justice quant à cet appel qui représente un volet important des revendications légitimes des Algériens.»

Le vice-ministre de la Défense nationale précisera encore : «Je rappelle également que le Commandement de l’Armée nationale populaire offre des garanties suffisantes aux services judiciaires pour poursuivre avec détermination et en toute liberté, sans aucune contrainte ni pression, le jugement de ces corrupteurs, ces dispositions permettront ainsi de rassurer le peuple que son argent pillé sera récupéré par la force de la loi et avec la rigueur requise». C’est dire, au besoin, que l’armée assume, à travers son premier responsable, cette opération.

Autre point significatif à relever dans ce dernier discours de Gaïd Salah est, incontestablement, le fait qu’il évoque, pour la deuxième fois, la sacralité de l’emblème national. «Un drapeau qui ne changera jamais au gré des circonstances et ne s’affectera guère par les changements, un drapeau qui restera éternellement jusqu’au jour du jugement, par fidélité à nos vaillants martyrs qui ont irrigué de leur sang béni cette terre pure.» Troublante précision, c’est le moins que l’on puisse dire, au moment où, depuis le 22 février, tous les Algériens, à travers tout le territoire national et à l’étranger, ont orné toutes leurs marches par l’emblème et les couleurs nationales.

Un drapeau qui domine de manière éclatante et exceptionnellement permanente tout l’espace public même les jours de semaine et fièrement déployé par les citoyens, de manière spontanée, y compris sur les façades de maisons. D’où vient cette crainte pour l’emblème national, alors? (Article publié dans Le Soir d’Algérie, en date du 25 avril 2019)

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