Suisse. Un «droit» du travail et un «droit» de grève qui font rêver le Medef de Pierre Gattaz et le «PS» de Macron (II)

«Droit» du travail et «droit» de grève... helvétique
«Droit» du travail et «droit» de grève… helvétique

Cette caractéristique du droit suisse offre moins de résistances aux employeurs qui mènent une politique de rétablissement du taux de profit au détriment des travailleurs. Elle doit également être mise en perspective avec l’augmentation de la pression sur les salaires et les conditions de travail que permet l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP)[10] du 21 juin 1999.

Ces pressions se concrétisent par le recours à des congés-modifications, des dénonciations et des modifications de conventions collectives de travail.

Le congé-modification est l’instrument juridique qui permet à l’employeur de licencier un salarié tout en lui soumettant une nouvelle proposition de contrat aux conditions péjorées. Le Tribunal fédéral considère en effet que cette pratique est admissible sous réserve du respect du principe de la bonne foi qui est en pratique une limitation fort modeste à la liberté de l’employeur (ATF 123 III 246). Ce dernier doit respecter le délai de résiliation pour imposer les nouvelles conditions et laisser un délai de réflexion de deux ou trois jours au moins. Les juges fédéraux considèrent en outre que le congé-modification ne doit pas être imposé sans motif. Cette condition, qui n’est pas examinée dans la pratique, apparaît comme une «dérive antilibérale» qui permettrait au juge d’apprécier la politique managériale et de rentabilité de l’entreprise[11]. Cette critique se nourrit également de la nécessité pour l’employeur, qui entend procéder à des congés-modifications en nombre, de respecter quelques règles préalables prévues pour les licenciements collectifs. Il s’agit essentiellement de consulter le personnel et ses représentants sur la possibilité d’éviter, de limiter ou d’atténuer les effets des licenciements (art. 335f et 335g CO).

Le congé-modification est utilisé pour modifier les conditions de travail des salariés soumis à une convention collective de travail que l’employeur entend dénoncer de manière unilatérale. L’entreprise Gate Gourmet Switzerland SA a procédé ainsi en 2013, contraignant une partie de ses salariés, soutenus par le Syndicat des services publics (SSP-VPOD), à une grève de neuf mois.

Il faut relever que, en pratique, les employeurs préfèrent user de leur « force de persuasion » pour amener leurs salariés à accepter de signer un nouveau contrat aux conditions péjorées. Telle fut la solution dont a usé l’Hôpital de la Providence (Fondation de l’Hôpital de la Providence), en 2012, pour cesser d’appliquer la CCT Santé 21 dont bénéficiaient ses salariés. Cette dénonciation a donné lieu à une grève qui s’est soldée, en 2013, par le licenciement de l’ensemble des grévistes.

Les luttes menées par les salariés de Gate Gourmet Switzerland SA et de l’Hôpital de la Providence illustrent bien les limites de l’exercice de la liberté syndicale en Suisse et des difficultés considérables à s’opposer par des moyens de lutte aux diktats des employeurs.

Le patronat dispose en effet d’instruments efficaces – contrairement aux salariés – pour combattre avec succès les tentatives de contrer une offensive.

5.1 Il peut, pour commencer, s’appuyer sur les conditions juridiques posées à l’exercice du droit de grève:

• Ce dernier apparaît en effet comme une sorte de corps étranger à l’ordre juridique suisse. Bien qu’inscrit à l’article 28 de la Constitution, la jurisprudence considère qu’il s’agit d’un droit d’une nature particulière dans la mesure où son exercice doit respecter le principe de la proportionnalité.

Or, selon la théorie générale des droits humains, ceux-ci peuvent s’exercer librement, le principe de la proportionnalité devant être respecté par l’Etat ou le particulier qui entend le restreindre. Cette règle est bien décrite à l’article 36 de Constitution[12] suisse et achève le chapitre consacré aux droits fondamentaux.

Pour l’exercice du droit de grève, cette règle est inversée. Cette jurisprudence est le reflet fidèle de l’«esprit du droit suisse» qu’invoque le Conseil fédéral. Le droit de grève et la liberté syndicale sont, certes, tolérés en Suisse, mais à condition que leur exercice ne trouble pas le cours ordinaire des affaires et ne portent pas atteinte aux conditions-cadres des entreprises.

Cette condition du respect du principe de la proportionnalité est un aspect cardinal qui offre une marge de manœuvre considérable aux employeurs ainsi qu’aux autorités judiciaires et administratives pour contrer l’action des travailleurs en lutte. Ce principe est un enjeu essentiel de l’offensive des patronats allemand et français qui tentent aujourd’hui qu’une telle condition devienne un pilier de l’exercice du droit de grève dans leurs pays. En Allemagne, les employeurs et leurs représentants politiques se sont heurtés à ce propos aux juridictions constitutionnelles[13].

Les tribunaux suisses n’ont pour l’heure pas considéré que le respect du principe de la proportionnalité interdit les grèves de longue durée ou les grèves minoritaires, au nom du principe de la proportionnalité. Il faut cependant craindre que la question de la légalité de celles-ci fasse prochainement l’objet de précisions jurisprudentielles, à l’occasion des procédures judiciaires qui ont fait suite aux licenciements des anciens grévistes de l’Hôpital de la Providence[14]. Les tribunaux neuchâtelois sont saisis de plusieurs plaintes pénales déposées par la Fondation de l’Hôpital de la Providence, l’ancien employeur, et Genolier Swiss Medical Network (GSMN), le repreneur. Ces derniers considèrent que des tracts syndicaux doivent être considérés comme une diffamation, infraction poursuivie par l’article 173 du Code pénal suisse. Les anciens grévistes, licenciés avec effet immédiat, ont déposé des demandes en justice pour obtenir la constatation du caractère illégal de ces congés et le versement d’indemnités. Les juges auront à examiner dans ce cadre les motifs invoqués à l’appui des licenciements, soit avoir mené une grève trop longue de nature politique.

Debrayage chez Swissport... avec des «retards sur l'acheminenent des bagages», mais aucun retard sur la compression salariale et des rythmes de travail
Debrayage chez Swissport… avec des «retards sur l’acheminement des bagages», mais aucun retard sur la compression salariale et des rythmes de travail

• L’exercice du droit de grève est conditionné au soutien d’un syndicat. Pour saisir la portée concrète de cette nécessité, il sera précisé que les principaux syndicats sont organisés pour le «partenariat social». Leur dépendance financière à l’égard des contributions professionnelles prélevées auprès des salariés soumis à des CCT dont ces syndicats sont signataires est importante. A titre d’exemple, la CCT conclue entre SWISSCOM et le syndicat SYNDICOM couvre, au moment de sa signature près de 14’000 salariés et prévoit des contributions destinées à financer nombre de tâches incombant aux syndicats[15]. Cette dépendance est un incitatif puissant à conclure des conventions collectives de travail coûte que coûte – pour les seuls salariés –, le vide conventionnel représentant une menace réelle sur le devenir professionnel des permanents syndicaux.

Par ailleurs, la plupart des syndicats en Suisse indemnisent, au moins partiellement, les grévistes pour leur perte de revenu découlant d’une grève. Ils ont constitué au fil des années un petit trésor de guerre dont l’accès est bien gardé. Les règlements sur l’accès aux fonds de lutte ne sont pas d’un usage aisé et rendent illusoires les grèves d’une certaine ampleur qui parfois sont nécessaires à la constitution d’un rapport de force adapté à la nature et l’importance des attaques des employeurs. Des préoccupations de gestion de fortune peuvent marquer les esprits des appareils syndicaux.

Les deux réalités mentionnées ci-dessus sont de nature à amener ceux-ci à considérer les adhérents et les militants actifs des syndicats comme des menaces. Une action syndicale trop marquée peut rendre plus difficile la conclusion de conventions collectives de travail avec l’employeur, partant la ponction sur les salaires de contributions professionnelles, et risque d’entamer la substance des fonds de lutte.

Une forme de syndicalisme gestionnaire et de plus en plus parasitaire se constitue. Il peut s’appuyer sur une expérience de cogestion – au sommet – de la délivrance de permis de séjour pour la main-d’œuvre étrangère.

La pratique des appareils syndicaux a également été façonnée, bon gré mal gré, par plusieurs décennies de politique de paix du travail. Sur fond de patriotisme et d’anticommunisme, les appareils syndicaux et les employeurs ont œuvré à la stabilité politique et sociale, garantie de leur préservation.

• Les salariés sont en outre autorisés à faire grève pour autant que les revendications que celle-ci vient appuyer concernent les conditions de travail et ne soient pas de nature politique.

Cette condition offre des perspectives intéressantes aux employeurs et aux tribunaux dans la mesure où elle permet de contester la légalité des grèves menées dans le secteur public et parapublic ainsi que celles menées par des personnes travaillant au bénéfice d’une entreprise, tout en étant salarié d’une société fournissant à celle-ci du travail intérimaire.

Le recours aux services d’entreprises de travail intérimaire est fréquent. La convention collective de travail régissant les rapports de travail pour ces salariés est l’une des plus importantes en Suisse. Les bénéfices du groupe ADECCO illustrent l’ampleur et le développement de cette forme d’exploitation des travailleurs. Il s’élevait en 2015 à 326 millions de francs (EBITA), soit 4% de plus que pour 2014[16]. Le syndicat comptant le plus grand nombre d’adhérents au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le Syndicat des services publics (SSP-VPOD) affirme que cet établissement public compte environ 1’200 personnes employées sous le statut d’intérimaire, étant précisé que les HUG comptent 9’656 postes (ETP)[17].

Or, une approche restrictive du droit de grève amène certains employeurs à considérer que le personnel intérimaire n’est pas autorisé à émettre des revendications à l’encontre de l’entreprise au sein de laquelle il est affecté, dans la mesure où il ne disposerait pas d’un contrat de travail avec celle-là. A l’occasion des journées de grève menées par les fonctionnaires du canton de Genève[18] en décembre 2015 une entreprise subventionnée par ce dernier a ainsi considéré que ses salariés en grève agissaient en violation de la loi puisqu’ils n’étaient pas directement liés à l’Etat de Genève. Cette entreprise ayant elle-même dénoncé publiquement les décisions prises par le Conseil d’Etat en matière budgétaire, cette critique n’a pas porté à conséquence mais sera sans aucun doute resservie aux salariés lors d’une prochaine mobilisation.

dtrPar ailleurs, il faut considérer que l’interdiction de la grève politique pourrait être une entrave à la quasi-totalité des luttes dans le secteur public et parapublic. La Fondation de l’Hôpital de la Providence à Neuchâtel invoque l’interdiction de mener une grève politique, devant le juge civil saisi par les anciens grévistes qu’elle a licenciés[19]. Elle estime que les revendications de ses salariés, soit le maintien des places de travail, l’absence d’externalisation de services et l’application des conditions de travail prévues par la CCT Santé 21 qui avait été dénoncée unilatéralement par l’employeur, ne pouvaient aboutir sans l’intervention du pouvoir politique. Elle avait en outre estimé que la péjoration des conditions de travail de ses employés était la conséquence directe de la dernière réforme du système suisse de santé[20].

L’interdiction de la grève politique, si elle était interprétée de manière extensive, aurait un effet considérable pour les salariés. En effet, ces derniers subissent les conséquences de bon nombre de ces réformes au sein des entreprises, dans leurs rapports avec leur employeur et l’Etat. Or, privés d’une réelle influence sur les mesures politiques essentielles à leur devenir de travailleurs, de retraités et de citoyens, les salariés ne pourraient pas agir sur leur lieu de travail, contre les effets de ces mesures. Lors des mobilisations qui se sont déroulées dans le secteur public et parapublic à Genève, en décembre 2015, ces travailleurs ont exprimé non seulement leurs revendications concernant leurs conditions d’emploi (salaire, temps de travail), mais également leur refus du projet de société que ces mesures visent à instaurer[21]. La plupart des mobilisations comportent un volet politique, en ce sens qu’elles traduisent un refus des conditions d’exploitation des salariés au profit des propriétaires de l’entreprise. La condition du refus de la grève politique résulte d’une conception selon laquelle les patrons et les propriétaires gouvernent l’entreprise, essentiellement pour leurs profits, mais également pour redistribuer aux salariés une partie des bénéfices encaissés. Avec la volonté de rétablir les taux de profits, ce modèle a vécu.

C’est le lieu de préciser que, quand bien même les travailleurs respecteraient les conditions auxquelles l’article 28 de la Constitution fédérale soumet l’exercice du droit de grève, l’employeur qui déciderait de licencier l’ensemble de son personnel en grève ne s’exposerait pas à d’autre sanction que d’être condamné au paiement d’une indemnité oscillant, le plus souvent, entre deux et trois mois de salaires. La réintégration d’un salarié injustement congédié n’est pas envisageable, selon la jurisprudence, sans manquer à l’ordre public, soit aux règles les plus fondamentales de l’ordre juridique. Les clauses des conventions collectives de travail prévoyant l’interdiction de licencier un représentant syndical ou un délégué du personnel ne sont pas valables. Le droit suisse protège donc les salariés contre des atteintes à la liberté syndicale, pour autant que celles-ci ne prennent pas la forme d’un licenciement, qui est pourtant l’atteinte la plus substantielle.

«Un avocat suisse en droit du travail conseillera et assistera aussi bien un employeur qu’un travailleur. Les besoins diffèrent mais sont d’égale importance.»
«Un avocat suisse en droit du travail conseillera et assistera aussi bien un employeur qu’un travailleur. Les besoins diffèrent mais sont d’égale importance.»

5.2 Les règles d’organisation judiciaire et de procédure civile rendent excessivement complexe la démarche d’un salarié désireux de faire reconnaître que son licenciement est dicté par une approche antisyndicale. Or, il convient de ne pas perdre de vue que les droits des salariés demeurent fictifs tant qu’un juge ne les a pas imposés ou n’a pas constaté leur violation dans un cas concret. Les règles sur l’organisation judiciaire instituent les tribunaux qui vont être appelés à connaître des conflits judiciaires, tandis que les règles de procédure civile déterminent la manière dont les justiciables doivent intervenir devant les juges.

A cet égard, il sied de rappeler que, si la procédure civile est unifiée en Suisse depuis le 1er janvier 2011, les règles d’organisation des tribunaux demeurent de la compétence des cantons. Il ne sera pas fait état, dans le cadre de cet article, de chacun des systèmes d’élection et de nomination des juges. La situation prévalant dans le canton de Genève illustre assez bien la nature des difficultés rencontrées. En effet, la Constitution genevoise du 14 octobre 2012 prévoit une composition spéciale pour la juridiction chargée de connaître des litiges relevant des contrats de travail. Celle-ci est composée de manière paritaire et par groupes professionnels[22]. Elle ne compte aucun juge professionnel, mais des personnes désignées par les syndicats de travailleurs et les organisations patronales. Le Tribunal des prud’hommes siège à trois juges et statue à la majorité de ses membres. Les représentants des employeurs président la majorité des groupes. Sur les cinq groupes professionnels qui se répartissent les demandes en justice en fonction des secteurs d’activité, les ratios de présidences détenues par des juges employeurs sont les suivants:

• groupe 1 (agriculture et paysagisme; conciergerie et nettoyage; bâtiment et matériaux de construction (gros œuvre, second œuvre, travaux publics, métallurgie du bâtiment, toute autre profession touchant au bâtiment, y compris le ramonage et la machinerie du bâtiment); industrie et artisanat (horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie; industrie métallurgique; mécanique, mécanique de précision, garages, carrosseries et stations-service; électronique; instruments d’optique; industrie et métiers du bois; industrie chimique; industrie du textile, habillement et cuir; industrie du papier, imprimerie, arts graphiques, photographie, édition; artisanat de toute matière non alimentaire): 3/5,

• groupe 2 (hôtellerie, cafés et restaurants; industrie, artisanat et commerce alimentaires): 3/5,

• groupe 3 (tourisme, transports, commerce non alimentaire, y compris agences de voyages, transitaires, voyageurs de commerce, représentants, droguerie, librairie, coiffure et soins esthétiques): 4/7,

• groupe 4 (banques, assurances et sociétés de services; employés d’administrations publiques, d’établissements ou fondations de droit public, dans la mesure où leur activité ne ressortit pas à un autre groupe): 7/10,

• groupe 5 (professions diverses, non comprises dans les autres groupes, notamment: professions médicales et paramédicales (y compris les pharmaciens et opticiens); professions juridiques et judiciaires; agents d’affaires et agents intermédiaires; professions artistiques; enseignement privé; presse et autres médias; ingénieurs et architectes; informatique; publicité; relations publiques; économie domestique et aides familiales): 3/7.

Ces ratios permettent de saisir les difficultés rencontrées par un salarié qui entend faire valoir ses droits par voie judiciaire. Il sera, dans la plupart des cas, confronté à une juridiction composée majoritairement de juges désignées par les organisations patronales qui choisissent en général des personnes actives dans le domaine des ressources humaines ou occupant des postes de direction. Ces juges sont ainsi expérimentés et en phase avec les intérêts des employeurs. Les syndicats éprouvent quant à eux de vives difficultés à présenter des candidats à la fonction de juges prud’homaux, étant précisé que la Juridiction des prud’hommes compte 285 juges.

Le salarié-justiciable se trouve confronté à des juges qui partagent majoritairement les postulats politiques et économiques des propriétaires de capitaux et des entreprises ou alors englués dans une idéologie de collaboration avec le patronat. Ces circonstances permettent de saisir que, en pratique, la possibilité pour les salariés d’exercer leur droit de grève pour tenter de mettre en échec les attaques d’un employeur demeure des plus théorique.

Le patronat n’aura donc sans doute pas besoin, à l’avenir, de procéder à des modifications de la loi, de la Constitution fédérale ou des constitutions cantonales pour vider la liberté syndicale d’une substance déjà évanescente. Une ou plusieurs jurisprudences, axées par exemple sur la manière dont il convient d’interpréter les notions de grève politique ou de grève disproportionnée, risquent de suffire à tailler en pièces le droit de grève et la liberté syndicale.

Les règles sur la procédure civile présentent également des difficultés réelles pour le salarié, principalement sous deux aspects : le fardeau de la preuve et les frais de procédure. Le Code de procédure civile fédérale (CPC) connaît trois régimes de normes qui prévalent en fonction de la valeur litigieuse de la demande dont est saisi le juge civil. Celle-ci se calcule en additionnant les montants dont le demandeur à la procédure souhaite obtenir le paiement (art. 91 al. 1 CPC). En pratique, dans les litiges concernant le droit du travail, le demandeur est le salarié qui sollicite le paiement de salaires et/ou d’une indemnité pour licenciement abusif (art. 336a CO) ou pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO). Or, au-delà d’une valeur litigieuse de CHF 30’000.-, le travailleur sera soumis au régime de la procédure dite «ordinaire» (art. 243 al. 1 CPC, a contrario) et devra apporter la preuve des faits qu’il avance à l’appui de sa demande en justice, sans le secours du juge (maxime de disposition). Il sera également soumis à des exigences très élevées dans la manière de formuler son mémoire judiciaire. Il s’agit d’une procédure qui, en pratique, nécessite le soutien d’un avocat.

«L'entretien de licenciement. Lettre d'avertissement» (par JobOsphere)
«L’entretien de licenciement. Lettre d’avertissement» (par JobOsphere)
«L'entretien de départ à la retraite anticipée» (par JobOsphere)
«L’entretien de départ à la retraite anticipée» (par JobOsphere)

Ce n’est qu’en deçà d’une valeur de CHF 30’000 que le salarié pourra bénéficier du régime de la procédure dite «simplifiée» et du secours du juge, selon le modèle qui prévaut pour l’autre grand domaine du droit des contrats où se trouve une partie faible: le droit du bail. Or, contrairement aux litiges entre locataires et bailleurs, qui bénéficient du régime de la procédure dite « simplifiée » quelle que soit la valeur litigieuse (art. 243 al. 2 let. c. CPC), les salariés tombent sous le coup de la procédure dite «ordinaire» dès que leurs prétentions dépassent CHF 30’000. Ceci a pour conséquence que les travailleurs vont en principe restreindre leur demande à ce plafond et faire grâce à leur employeur du solde des salaires et des indemnités dues. Dans la mesure où le salaire médian s’élève en Suisse à CHF 6’189 par mois, un employeur a peu de risque de se voir confronté à un procès pour un montant supérieur à quatre ou cinq mois de salaires[23].

Cet employeur a en outre encore moins de risque de voir la demande de son ancien employé aboutir. En effet ce dernier parvient rarement à remplir les exigences découlant du fardeau de la preuve et à démontrer, avec un degré de vraisemblance suffisante, avoir été victime d’un licenciement abusif. Car les salariés ne peuvent d’ordinaire pas compter sur le témoignage d’anciens collègues qui ne jouissent pas d’une meilleure protection contre un licenciement que le demandeur lui-même.

• Pour le surplus, les frais de la procédure suivent la même règle que celle mentionnée ci-dessus. Le Code de procédure civile fédéral prévoit que, jusqu’à une valeur litigieuse de CHF 30’000, la partie qui perd le procès n’a pas à supporter de frais de justice, ni en faire l’avance, tant pour la conciliation que pour le procès au fond (art. 113 al. 2 let. d. et art. 114 let. c. CPC). Il en va différemment au-delà de cette somme, étant précisé que ces frais varient selon les cantons qui peuvent par ailleurs prévoir la gratuité de telles procédures. Le canton de Genève a prévu que la conciliation serait gratuite, mais que les procédures devant la juridiction de première instance seraient payantes pour les procès dont la valeur litigieuse serait supérieure à CHF 75’000, respectivement CHF 50’000 en instance d’appel (art. 24 al. 1 LTPH, art. 19 al. 3 let. c) LaCC). A Genève, les frais sont fixés par le juge entre CHF 200 et CHF 10’000, étant précisé que ce canton n’a pas prévu les frais les plus élevés[24]. A ces montants vient s’ajouter la nécessité pour le salarié qui perdrait sa procédure de prendre en charge les frais de représentation de son employeur, en sus des honoraires dus à son propre avocat. Les honoraires d’un tel défenseur varient en Suisse romande entre CHF 250 et CHF 400 de l’heure. Le salarié peut également être condamné aux dépens s’il gagne la procédure, mais que le juge n’a pas fait droit à l’entier de ses prétentions.

5.3 L’exercice du droit de grève se heurte encore aux instruments juridiques civils et pénaux ordinaires dont peut user l’employeur.

Dans une brochure publiée en octobre 2010 intitulée Grève, séquestration et autres moyens de combat collectifs, la Fédération des entreprises romandes (FER) liste une dizaine de ripostes principalement juridiques à une grève que l’employeur tiendrait pour illicite soit principalement :

  • agir en protection de la possession,
  • agir en réparation du dommage,
  • résilier la convention collective de travail avec effet immédiat,
  • porter plainte pénale.

Les employeurs vont ainsi traquer les faits et gestes des grévistes pour tenter de fonder le dépôt d’une plainte pénale qui aura deux vertus, celle de justifier un licenciement avec effet immédiat et de criminaliser la mobilisation. Lors de la grève qui s’est déroulée au sein l’Hôpital de la Providence à Neuchâtel, les grévistes et leurs représentants syndicaux ont fait l’objet de plusieurs plaintes notamment pour diffamation au sujet de tracts syndicaux rédigés durant le conflit[25]. Le Procureur général avait dans un premier temps refusé de donner suite à cette plainte, mais il fut contraint par les juges cantonaux de poursuivre les syndicalistes. L’approche qui sous-tend cette décision judiciaire est de nature à éclairer sur l’esprit qui peut animer les juridictions suisses:

«La recourante, société anonyme, entend indiscutablement tirer un profit commercial de l’exploitation hospitalière en cause (à l’inverse de la Fondation de l’Hôpital V., sans but lucratif). Même si cela ne correspond pas à toutes les conceptions en la matière, il n’y a là rien de contraire à l’ordre constitutionnel et légal (voir notamment les articles 41 al.1 let b Cst., 49 LAMal et 83 a de la Loi cantonale de santé).

Les expressions qui se limitent à la critique de ce qu’on peut désigner, en termes schématiques, comme une «approche capitaliste» des soins hospitaliers ne donnent donc pas, en elles-mêmes, l’image d’une personne (physique ou morale) agissant de façon vile ou méprisable. Les affirmations visées dans la plainte du 30 novembre 2012 vont toutefois nettement plus loin: elles laissent entendre que la recourante et la fondation V. ont organisé une «parodie de vote», comparable à une consultation «revolver (sic) sur la tempe», alors qu’au vu des documents joints à la plainte, la liberté formelle et le secret de vote étaient pleinement respectés et que la pression exercée par le résumé de position de la fondation (et non de la recourante) n’équivalait pas sans autre à l’alternative: «la porte ou X. SA», malgré la faveur évidente de la fondation pour l’une des solutions. Les auteurs du premier tract insinuent par ailleurs que la recourante pourrait ne pas respecter même les minimas légaux, s’agissant des conditions de travail, et ceux du deuxième tract évoquent des conditions de travail «dignes du XIXe siècle»; le texte tiré du site www.[…]ch soupçonne un «accord secret» entre le président du Conseil d’Etat et la recourante, ce qui n’équivaut certes pas strictement à une accusation de corruption mais bien néanmoins d’une manipulation hypocrite d’opinion; il formule ensuite (page 2), une image (« le Groupe X. SA, tel un loup dans la bergerie est prêt à tondre le personnel pour accroître la rentabilité des actionnaires ») qui résume les descriptions de comportement précitées.

Utilisées dans un contexte de combat syndical ordinaire, à l’encontre d’un patronat anonyme, de telles expressions n’auraient rien de très nouveau ni de révoltant. En revanche, recourir à de tels propos à l’égard d’un entrepreneur potentiel, dans une situation de conflit précise, peut éventuellement répandre l’idée que celui-ci agit sans scrupule, par des procédés biaisés et dans une perspective antisociale, ce qui serait un comportement très peu digne de considération. On ne saurait en tout cas exclure d’emblée que la personne (physique ou morale) décrite de la sorte puisse s’estimer légitimement accusée d’une conduite « méprisable selon les conceptions morales généralement admises », cela à un moment ou tous les regards (d’employés et de clients potentiels) sont portés sur elle.

Le Ministère public ne pouvait donc pas retenir que les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient « manifestement pas réunis » et l’ouverture d’une procédure se justifiait.[26] » (AMRP 2013.15).

Il sied de préciser que l’entreprise qui se plaignait d’être visée par ces tracts n’était autre que le repreneur qui n’entendait pas se soumettre à la convention collective de travail qui liait pourtant la quasi-totalité des employeurs du secteur de la santé dans le canton de Neuchâtel (CCT Santé 21) et menaçait par son attitude l’existence même de celle-ci. Ainsi, un syndicat signataire d’une telle convention ne serait pas en droit de dénoncer par des tracts un employeur et un repreneur potentiel qui mettent à néant un instrument juridique, la convention collective de travail, présenté par les autorités fédérales comme l’unique véhicule efficace de la lutte contre le dumping salarial.

«Suite à la formation, les participants aux cours du Centre Patronal sont en mesure de faire face à diverses problématiques juridiques. Il peut s’agir des modalités entourant les ruptures de contrat, du sujet souvent épineux des heures supplémentaires, du contenu d’une lettre de démission, ou encore des dispositions sur le salaire minimum ou le salaire moyen.»
«Suite à la formation, les participants aux cours du Centre Patronal sont en mesure de faire face à diverses problématiques juridiques. Il peut s’agir des modalités entourant les ruptures de contrat, du sujet souvent épineux des heures supplémentaires, du contenu d’une lettre de démission, ou encore des dispositions sur le salaire minimum ou le salaire moyen.»

La Suisse, si elle ne fait plus figure d’ovni en comparaison des législations et des jurisprudences des Etats européens en matière de droit du travail – compte tenu des réformes menées récemment ou en cours par des majorités politiques de « gauche » et de droite -, demeure dans le peloton de tête des pays les plus restrictifs en matière de protection des travailleurs et de respect de la liberté syndicale. Et cette situation risque fort de se dégrader dans les prochaines années.

En effet, l’approche qui fut celle de la majorité des représentants politiques du patronat s’effrite. Nous avons rappelé ci-dessus que les partis bourgeois représentés aux Chambres fédérales n’entendent pas atténuer les conséquences de la libre circulation des personnes sur les conditions de salaire et d’emploi des travailleurs soumis à une forte concurrence.

Par ailleurs, sous l’angle idéologique, le patronat véhicule largement et avec succès que l’absence de droit du travail serait la condition sine qua non du maintien des places de travail. Cette carence serait un rempart pour que la Suisse ne connaisse pas le même sort que les autres Etats européens. Ce discours fait fi des réalités. En effet, l’Allemagne et l’Autriche connaissent des taux de chômage de 4.5% et de 5.8%[27] comparable à la Suisse (3.8%[28]), alors que leur droit du travail est bien plus protecteur. Il n’en demeure pas moins que ce discours produit son effet, dans un pays où la main-d’œuvre étrangère est importante et où bon nombre de salariés proviennent de pays du Sud de l’Europe qui connaissent un taux de chômage considérable attribué à un droit du travail prétendument trop rigide[29].

Ce discours a été martelé durant plusieurs mois dans toute la Suisse à l’occasion de scrutins populaires sur des projets d’initiatives proposées par l’Union syndicale suisse (USS) et qui concernaient la réduction du temps de travail, une imposition des gains en capital, l’instauration d’une assurance-maladie obligatoire destinées à couvrir les pertes de gains en cas de maladie, le financement social de l’assurance-maladie et l’accès des jeunes à des places d’apprentissage. Le rejet de ces initiatives à de larges majorités est un baromètre du degré d’adhésion des votants au discours patronal qui réussit à se confondre avec le prétendu intérêt général de l’ensemble de la population. Il permet également au patronat de renvoyer toute critique de sa politique à une forme de réaction antidémocratique, puisque les principales réformes des services publics et du droit du travail n’ont pas fait l’objet de référendum et que les initiatives visant au renforcement de la protection des salariés ont toutes été rejetées, certaines à une forte majorité : le 18 mai 2014, l’initiative de l’Union syndicale suisse (USS) pour un salaire minimum a été refusée par 76,26% des voix, étant précisé que le scrutin avait mobilisé 55,55% des électeurs, soit une participation exceptionnelle[30].

En résumé, contrairement aux employeurs des autres pays européens, les patrons d’entreprises employant des salariés soumis au droit suisse disposent d’un appareil d’emblée disponible pour mener une politique d’augmentation encore accrue de leurs profits. Ce dispositif efficace sera vraisemblablement renforcé par la pratique des tribunaux qui sauront sans aucun doute élaborer une interprétation efficace des dispositions constitutionnelles fédérales et cantonales concernant le droit de grève, afin d’accompagner les actions des employeurs en faveur des actionnaires. Il est probable que celles-ci ne se heurteront à aucune réaction organisée des salariés et de la population, compte tenu de la force de l’idéologie patronale et du patriotisme économique auxquels adhèrent l’essentiel des organisations politiques et syndicales de ce pays. Les plus importantes réformes structurelles ont en effet fait l’objet d’un soutien plus ou moins affiché de celles-là. (16 février 2016)

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[10] Recueil systématique 0.142.112.681

[11] Gabriel Aubert, «Le congé modification ou le licenciement, face au franc fort», Le Temps, 7 mai 2015.

[12] Art. 36 Restriction des droits fondamentaux

1 Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés.

2 Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui.

3 Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé.

4 L’essence des droits fondamentaux est inviolable.

[13] http://alencontre.org/europe/allemagne/allemagne-la-question-du-droit-de-greve-attaque-et-recul-momentane.html

[14] http://www.lecourrier.ch/114222/les_grevistes_reclament_justice

[15] Article 3.6.1 Contribution CCT

Swisscom perçoit chaque mois une contribution CCT de 0,15  % du salaire de base de chaque collaboratrice/collaborateur entrant dans le champ d’application de la présente CCT.

A partir du 1er janvier 2015, la contribution CCT mensuelle s’élèvera à 0,3 % du salaire de base. Les apprenants ne versent pas de contribution CCT. La contribution CCT est versée dans un fonds que les parties à la CCT gèrent par le biais d’une commission paritaire. Les parties à la CCT veillent à ce que les prestations financées profitent à tou(te)s les collaboratrices/collaborateurs entrant dans le champ d’application de la présente CCT. Les dépenses financées par le fonds doivent en outre être en relation directe avec l’exécution et l’application de la CCT et servir les intérêts collectifs des collaboratrices/collaborateurs. Les coûts énumérés ci-après, en particulier, peuvent être partiellement financés par le fonds:

– maintien des relations entre les partenaires sociaux;

– frais d’impression de la CCT et du matériel d’information et frais résultant d’autres mesures de communication;

– coûts occasionnés aux syndicats contractants par les organes paritaires du plan social;

– administration du fonds;

– coûts occasionnés aux syndicats contractants par les négociations sur la CCT et ses développements;

– coûts des cours de perfectionnement syndicaux et frais de formation des membres des représentations du personnel;

– coûts résultant des congés accordés aux membres des syndicats participant à des assemblées syndicales ou à des cours de perfectionnement syndicaux ainsi qu’aux collaboratrices/collaborateurs membres d’un comité d’entreprise/sectoriel au sein d’un syndicat contractant.

La contribution CCT des membres affiliés à une organisation de salariés qui n’est

ni partie ni soumise à la CCT ou pour laquelle Swisscom n’encaisse pas les cotisations de membre est remboursée par le fonds sur demande.

[16] Press Release Q3 2015, novembre 5, 2015

[17] République et canton de Genève, Bilan social de l’Etat et des institutions autonomes, 2014

[18] http://alencontre.org/suisse/suisse-geneve-le-mouvement-de-la-fonction-publique-et-un-accord-captieux.html

[19] http://www.lecourrier.ch/114222/les_grevistes_reclament_justice

[20] http://alencontre.org/suisse/suisse-le-systeme-de-sante-vingt-ans-apres-lentree-en-vigueur-de-la-lamal.html

[21] http://alencontre.org/suisse/suisse-geneve-le-mouvement-de-la-fonction-publique-et-un-accord-captieux.html

[22] Art. 123 Juges prud’hommes

1 Les juges prud’hommes sont élus par le Grand Conseil. L’élection est paritaire et par groupes professionnels.

(…)

[23] http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/03/01/new/nip_detail.html?gnpID=2015-308

[24] Michel heinzmann, Corinne copt, «Tribunaux des prud’hommes : les particularités cantonales», voir plädoyer, 1/6 édition allemande. Depuis la parution de cet article, plusieurs législations cantonales ont été modifiées. Cette contribution est accessible sur Internet à l’adresse suivante: http://www.google.ch/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwj71O-fu-zKAhUsCpoKHc65D7EQFggdMAA&url=http%3A%2F%2Fwww.unifr.ch%2Fius%2Fassets%2Ffiles%2FDOCUMENTS%2FMedias%2FMEDIA%25202013%2F2013_07_08_Heinzmann_plaidoyer.pdf&usg=AFQjCNHgW2IZmldQw5RO8w4WOwURiQF8hg [depuis le mois de juillet 2013, date à laquelle est paru cet article].

[25] http://www.solidarite-laprovidence.ch

[26] http://jurisprudence.ne.ch/scripts/omnisapi.dll?OmnisPlatform=WINDOWS&WebServerUrl=jurisprudence.ne.ch&WebServerScript=/scripts/omnisapi.dll&OmnisLibrary=JURISWEB&OmnisClass=rtFindinfoWebHtmlService&OmnisServer=JURISWEB,localhost:7000&Parametername=NEWEB&Schema=NE_WEB&Source=&Aufruf=getMarkupDocument&cSprache=FRE&nF30_KEY=6329&W10_KEY=520621&nTrefferzeile=1&Template=search_result_document.html

[27] Eurostat, communiqué de presse 24/2016 du 2 février 2016

[28] Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), La situation sur le marché du travail, janvier 2016.

[29] http://www.oecd-ilibrary.org/economics/labour-market-reform-for-more-and-better-quality-jobs-in-italy_5jrqhrw7rfzq-en

[30] http://alencontre.org/suisse/suisse-moins-que-le-minimum-syndical.html

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