Suisse. «Il n’est pas crédible que le bien-être de la femme tienne particulièrement à cœur au comité d’Egerkingen»

Par rédaction de A l’Encontre

Le 7 mars 2021, en Suisse, se tiendra une votation ayant trait à une initiative intitulée «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage», popularisée sous le nom initiative anti-burqa (ou initiative anti-niqab, la différence ne faisant pas l’objet d’«élaborations anthropologiques» par les initiants). Nous avons déjà publié un article à ce propos sur ce site en date du 20 février 2021. Pour rappel, les initiants sont réunis dans le comité d’Egerkingen (commune du canton de Soleure). A sa tête se trouve le conseiller national UDC Walter Wobmann, membre de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (regroupement hyper nationaliste et xénophobe) et du groupe Sicherheit für alle (Sécurité pour tous) qui dénonce la «criminalité étrangère». On y trouve aussi, en tant que directeur du comité, Anan Liebrand, ancien président des Jeunes UDC, qui a défendu dans les colonnes du bimensuel Schweizerzeit – lié au réseau de presse et de TV de l’UDC – la thèse du «grand remplacement». La Neue Zürcher Zeitung (quotidien de référence des «milieux économiques» dominants), dans sa version dominicale du 14 février 2021, ne manquait pas de souligner que les initiants «se soucient aussi peu de la dignité des femmes voilées aujourd’hui, que du paysage urbain helvétique en 2009 lors de l’initiative contre la construction de minarets», initiative qui fut approuvée le 29 novembre 2009 par 57,5% des votants.

La NZZ du 23 février a interviewé le président de la Fédération suisse des communautés israélites, Ralph Lewin, à propos de l’antisémitisme en Suisse. A cette occasion, Ralph Lewin, ancien membre de l’exécutif cantonale de Bâle-Ville, membre du Parti socialiste, a exprimé son point de vue concernant l’initiative «anti-niqab». Il nous semble utile de traduire sa réflexion, d’autant plus suite aux prises de position de certaines autoproclamées féministes du Parti socialiste qui soutiennent cette initiative au nom de «l’émancipation des femmes», «dans le monde entier». Nous publions ici des extraits de son entretien en rapport avec cette initiative; le caractère patelin des questions valorise les réponses.

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NZZ: L’initiative vise en première ligne l’islam politique dont souffrent aussi les juives et les juifs. Devez-vous l’approuver pour montrer l’exemple?

Ralph Lewin: Non, nous avons une position claire. Nous défendons la liberté religieuse. Cela ne va pas d’inscrire dans la Constitution des prescriptions vestimentaires. Notre société libérale doit accepter que les personnes s’habillent de façon très différente. L’initiative doit aussi être refusée parce qu’elle vise une minorité, les musulmans. Nous, les juifs, ne devons franchement pas accepter qu’un groupe de population soit exclu.

Vous avancez la liberté religieuse. Mais que le niqab soit vraiment un vêtement religieux est sujet à controverse. Beaucoup le voient avant tout comme un outil patriarcal pour la soumission de la femme.

Nous ne pouvons qu’avec difficulté de l’extérieur juger si le niqab est avant tout un vêtement porté pour des raisons religieuses ou non. Pour moi, ce qui est décisif est ce que la personne pense elle-même. L’argument selon lequel il n’y a ici [en Suisse] presque pas de femmes qui portent de manière contrainte un niqab me semble crédible. En théorie, tout vêtement peut être imposé à une autre personne. C’est pourquoi nous n’interdisons pas le vêtement, mais l’obligation de le porter. Nous devons aussi voir d’où vient l’initiative. Il n’est pas crédible que le bien-être de la femme tienne particulièrement à cœur au comité d’Egerkingen.

Pourquoi ne discutons-nous en Suisse que du niqab et du foulard, mais pas des perruques que les femmes juives orthodoxes portent lors d’un mariage, et peut-être doivent porter?

Peut-être parce que beaucoup de non juifs ne savent rien de ces circonstances. Une perruque est moins voyante qu’un foulard. […]

Herbert Winter, votre prédécesseur comme président [de 2008 à mai 2020] de la Fédération suisse des communautés israélites, laissait entendre alors que le débat sur les vêtements religieux pourrait conduire à une interdiction de la kippa.

Lorsque l’Etat commence à s’immiscer dans la façon de s’habiller de ces concitoyennes et concitoyens et même l’introduit dans sa Constitution, le seuil s’abaissera aussi pour exclure d’autres minorités. C’est une évolution dangereuse. Aujourd’hui, ce sont les musulmans. Demain peut-être les Juifs. Une kippa est plus visible que les perruques que vous avez évoquées [dans une question insidieuse faite auparavant portant sur le fait que «les femmes juives ne doivent pas montrer leurs cheveux pour des questions religieuses»]. […]

Pour quelques partis politiques d’extrême droite en Europe, l’antisémitisme fait partie de leur programme. Comment juger vous l’UDC dans ce contexte.

On ne peut pas dire que l’UDC soit antisémite. Mais il y a toujours des incidents. Dernièrement en été, l’UDC zurichois a abusé d’une image du Mémorial de l’Holocauste de Berlin pour sa campagne pour l’initiative de limitation [soumise au vote le 27 septembre 2020, cette initiative était intitulée : «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)», rejetée à 61,71% des voix]. Ce n’était pas très méchant, cela relevait de l’ignorance. Dans tous les cas, c’était très maladroit. Dans le débat politique, nous, en tant qu’association, sommes souvent de l’autre côté [de l’UDC]. En fin de compte, peu importe que la droite politique nous cible, nous les Juifs ou une autre minorité. Face à la xénophobie, nous éprouvons un rejet conjoint. […]

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