Pour un salaire minimum. Et le début d’une contre-offensive syndicale

Par le Mouvement pour le socialisme (MPS)

Tally Weijl fait fabriquer au Bangadesh et «assure» des salaires à moins de 4000 francs à ses vendeuses
Tally Weijl fait fabriquer au Bangladesh et «assure» des salaires à moins de 4000 francs à ses vendeuses

Enfin des patrons bienveillants envers les salarié·e·s! A propos de quoi: du salaire minimum, objet de la votation du 18 mai 2014. A propos de qui: en priorité de celles et ceux qui «s’en sortent tout juste» à la fin du mois, selon la formule usuelle.

Que dit le patronat? A la veille du Mondial de football au Brésil, il a trouvé une formule choc: «Un autogoal pour les travailleurs!» Autrement dit: les salarié·e·s – en fait, seuls ceux et celles qui ont le droit de vote – en se prononçant pour le OUI marqueraient un but contre leur équipe!

Une première question: le patronat joue-t-il dans la même équipe? Si c’est le cas, on pourrait comprendre qu’il se fasse du souci pour un autogoal.

Or, on observe tous les jours qu’il joue dans l’équipe adverse. Cela se constate quand il s’agit: de licencier; de délocaliser une production; d’imposer des heures supplémentaires pas payées; de mettre en concurrence un salarié contre un autre lors d’une embauche; d’imposer au salarié nouvellement embauché un salaire plus bas que le salaire d’entrée pratiqué auparavant; de décider qu’un travailleur qualifié, venant de l’Union européenne, sera en catégorie B et pas A (dans la construction, par exemple), donc aura un salaire plus bas, etc.

Autrement dit, en parlant d’autogoal, le patronat veut simplement marquer un goal pour son équipe, même en position de hors-jeu! Il s’appuie sur des arbitres volontairement myopes: les vrais capitaines des médias dominants (TV et presse). Ces derniers répercutent massivement les arguments des officines patronales.

Ainsi, les rapports inégaux entre les travailleurs/travailleuses et le patronat sont camouflés… sous le manteau du «partenariat social». Exagération? Non. Avec un réalisme que devraient partager des dirigeants syndicaux, Chantal Tauxe, rédactrice en chef ajointe de L’Hebdo, constate: «Depuis vingt ans, depuis la parution du Livre blanc [en 1991], appelant à la déréglementation, le mythique partenariat social a été peu à peu vidé de sens» (24 avril 2014). Quel est, dès lors, le sens du chantage patronal formulé ainsi: «L’initiative des syndicats affaiblira le partenariat, ce qui n’est pas dans l’intérêt des salariés qu’elle prétend défendre.» Traduction: salarié·e·s, laissez-vous impressionner par un fantôme!

Valentin Vogt – président des Associations patronales et copropriétaire de Burckhardt Compression (Winterthour) – affirme que les salaires doivent être réglés entre les salariés et les patrons, les uns face aux autres (SonntagsZeitung, 23 mars 2014). Comme si les deux jouaient dans la même ligue! Voilà leur seule conception du «partenariat social».

Les dividendes du Capital

Passons à une question plus fondamentale. Quand il s’agit de distribuer la richesse produite par le travail, le grand patronat n’hésite pas à shooter en direction des actionnaires. En première page, le journal économique Finanz und Wirtschaft, du 23 avril, titre: «La somme des dividendes augmente de 8%» en 2013.

Les dividendes sont la part des profits qui sont distribués aux actionnaires. A quelle hauteur se situe cette somme? A 42 milliards de francs. Sur cette somme, 20 firmes en distribuent 34,7 milliards. Les 180 autres ont augmenté de 12,5% les dividendes versés. Donc, plus que les plus grandes! Quels sont les salaires qui ont pris un tel ascenseur ces dernières années? En partie, les hauts salaires, qui en termes réels ont augmenté de 7,1%. Les salaires réels les plus bas ont reculé entre 2010 et 2012 de 0,6%. L’écart entre les hauts salaires, selon les critères de l’OFS, et les bas salaires s’est accru, ce qui renforce les inégalités dans la mesure où le salaire en est un des éléments constitutifs.

En outre, une illusion statistique est entretenue en Suisse. La part des salaires dans le revenu national serait stable. Ce trompe-l’œil est lié à une donnée: les très hauts salaires sont intégrés dans cet ensemble. Cela accroît la part des salaires dans le revenu national. Or, ces très hauts salaires captent – sous une forme salariale – une partie des profits capitalistes qui sont distribués aux cadres supérieurs. Ces salariés haut de gamme savent de plus optimiser, avec l’aide d’une société fiduciaire, leur déclaration fiscale. Ils peuvent choisir leur résidence fiscale parmi les quelque 2400 communes, et même 26 cantons.

Le professeur d’économie de l’Université de Fribourg, Sergio Rossi, définit bien ce problème: «La question est de savoir comment on va répartir cette hausse du revenu [national], entre le capital (les profits) et le travail (les salaires). Et là ce n’est pas une loi économique qui détermine cette répartition du revenu, mais bien le rapport de force entre les parties prenantes.» (Le Temps, 15 avril 2016)

Un industriel du textile, actif en Angleterre au XIXe siècle, écrivait, en 1884, dans le Zürcher Sozial-Demokrat: «A tous les moments, sauf dans les grandes crises, il y a pour chaque profession une certaine marge dans les limites de laquelle les salaires peuvent être modifiés par la lutte entre ouvriers et patrons… Lorsque l’ouvrier isolé conclut un contrat de travail avec le capitaliste, il est ordinairement vaincu et contraint d’accepter les conditions qui lui sont offertes. Mais lorsque tous les ouvriers d’une profession créent une organisation solide […] pour faire front contre leurs employeurs dans les moments d’épreuves et qu’ils se trouvent par là en mesure de se présenter comme une puissance, alors, et seulement alors, ils ont des chances de recevoir ce minimum qui, suivant la composition actuelle de la société, peut être appelé «un salaire équitable pour un travail équitable» […]. Seule la crainte des syndicats peut contraindre le capitaliste à accorder aux ouvriers la pleine valeur courante de la force de travail.»

Cet industriel se nommait Friedrich Engels, ami de Karl Marx.

Par «pleine valeur courante de la force de travail» dans le cadre «des normes sociales existantes», il faut entendre aujourd’hui en Suisse: la possibilité pour les salarié·e·s de reproduire leur capacité de travail (leur force de travail) selon les normes sociales qui apparaissent légitimes. Elles incluent: un temps de travail (hebdomadaire et annuel, y compris de transport) ainsi qu’une intensité du travail qui n’épuisent pas physiquement et psychologiquement; un accès à un logement décent et à des soins de qualité; une formation pour lui/elle et leurs enfants; une retraite à hauteur de 80% ou 90% de l’ultime salaire, etc.

Or, les officines patronales trouvent qu’un salaire de référence à hauteur de 50% du salaire médian de 5979 francs (médian parce qu’il divise les salarié·e·s en deux tranches de 50%: celle au-dessus et celle au-dessous de ce montant) est tout à fait acceptable. Il s’agit donc d’un salaire de 2989 francs par mois! Mais acceptable à une condition: les patrons doivent pouvoir l’imposer, seuls, sans intervention de l’Etat. L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 29 avril 2014 l’estimation du salaire médian pour 2012: 6118 francs brut par mois. Si un salaire minimum «décent pour le patronat» (50% du salaire médian) devait être calculé, il serait de 3059 francs. Selon cette dernière statistique sur la structure des salaires, les 10% de salariés les moins payés gagnent 3886 francs! Cette donnée va être utilisée, au cours des deux semaines avant l’échéance, par le patronat pour bousculer, assez facilement, les 4000 francs fois 12 mois des syndicats (voir plus bas).

Pour le patronat l’Etat n’a qu’à assurer pour les salaires «insuffisants» des subsides divers: pour l’assurance-maladie de base, pour les prestations complémentaires à l’AVS, etc. Le total de ces subsides n’atteint pas le 20% des dividendes distribués aux actionnaires par 200 firmes, en 2013. Et ces subsides sont payés, avant tout, par les salarié·e·s au moyen des impôts directs et de l’impôt «indolore» et anti-social qu’est la TVA (taxe sur la valeur ajoutée). Elle va d’ailleurs augmenter.

La «bataille» pour le salaire minimum

De suite, on se rend compte que le débat de société dépasse celui du strict salaire minimum proposé par l’USS (Union syndicale suisse). Nous ne citerons, ici, que certains aspects de l’orientation syndicale dans cette «bataille» du salaire minimum et ce que révèlent certaines objections patronales.

• La revendication formulée par l’USS – 4000 francs mensuels comme salaire minimum, pour 42 heures hebdomadaires, versés 12 fois – suscite le doute. En effet, beaucoup de salarié·e·s touchent un 13e mois. Des grands de la distribution, comme Lidl ou Aldi, se sont engagés à payer 4000 francs sur 13 mois. Les milieux patronaux, qui s’opposent au principe même du salaire minimum, peuvent enfoncer un clou: il faut, en fait, diviser 48’000 (12×4000) par 13. Et l’on obtient: 3692 francs par mois. Ils attaquent ainsi la faiblesse du message syndical. Et aussi la pratique des appareils syndicaux: combien de Conventions collectives de travail (CCT) sont signées – en silence – avec des salaires nettement inférieurs à 4000 francs? Pour autant qu’un salaire minimum soit même mentionné dans la CCT.

Certes, des initiatives cantonales ont été lancées, par le passé, à Neuchâtel, à Genève et dans le canton de Vaud. Elles le furent par des secteurs syndicaux ou des forces qui se situent «à la gauche de la gauche» (POP, solidaritéS). A Neuchâtel, l’initiative ne fixait pas le niveau du salaire minimum légal ! Dans le canton de Vaud a été proposé un alinéa 3 à l’art. 58 de la Constitution cantonale, concernant la «Politique économique». Le voici : «Al. 3 (nouveau) – Il institue un salaire minimum cantonal, dans tous les domaines d’activité économique, en tenant compte des différences régionales, des secteurs économiques ainsi que des salaires fixés dans les conventions collectives, afin que toute personne exerçant une activité salariée puisse disposer d’un salaire lui garantissant des conditions de vie décentes.» Il ne fixe pas de seuil effectif minimal. Il s’adapte à l’idée des différenciations régionales et de branches, comme si l’AVS était différenciée dans les régions vaudoises. Dans ce domaine, la proposition actuelle de l’USS est plus «progressiste».

L'affiche et le slogan de l'USS
L’affiche et le slogan de l’USS

• Pour coller au climat de l’après-9 février (vote «contre l’immigration de masse»), l’USS colle des affiches rouges avec un parapluie à croix suisse blanche et le slogan: «Un pays fort. Des salaires justes. Oui à la protection des salaires. Oui au salaire minimum» (voir illustration ci-contre). Cette affiche a été refusée par Unia Vaud et Genève, heureusement. La tonalité nationaliste de cette affiche est d’autant plus déplorable qu’une très grande partie des travailleurs/travailleuses concernés ne disposent pas du droit de vote sur une question aussi importante. Dans la campagne syndicale, ce thème aurait mérité d’avoir une place de choix. Au même titre que la bataille pour la défense des droits syndicaux sur le lieu de travail, sans quoi un salaire minimum effectif ne peut être bien défendu.

• La part des salarié·e·s dans la population active disposant d’un salaire au-dessous de 4000 francs est supérieure aux pourcentages diffusés. L’économiste José Ramirez (Uni de Genève – qui est opposé à la proposition de l’USS) soulignait toutefois, par le passé, que des salaires de 2200 francs net à plein temps ne sont pas tous recensés. L’archipel des bas salaires – avec les temps partiels contraints – reste à cartographier.

• Les gains de productivité (la production par heure par travailleur) sont peu répercutés sur les salaires, seulement à 40% selon Sergio Rossi. Un facteur qui alimente le versement des dividendes aux actionnaires et sape le mythe du «salaire juste».

• L’intensité du travail («tension au travail») ne cesse de croître. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), au moins 1 salarié sur 5 en souffre.

Plus le vote en faveur du salaire minimum sera fort, plus grande sera la possibilité d’une orientation syndicale qui soit à la hauteur de la lutte de classe menée d’en haut, par les dominants. Du moins le début d’une contre-offensive sera envisageable. (29 avril 2014)

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