Assurance maladie: Une caisse unique pour aller où ?

Le Conseiller national socialiste (VS) Stéphane Rossini présente la nouvelle initiative

Benoit Blanc

Le Parti socialiste suisses (PSS) a décidé lors de son assemblée des délégués du 29 mai 2010 de lancer une nouvelle initiative fédérale pour une caisse maladie unique. La résolution adoptée précise que le système de prime par tête n’est, par contre, pas remis en cause. Le problème que pose cette proposition n’est pas tant de se limiter à un (petit) pas que de refuser obstinément d’indiquer la bonne direction.

La portée de la décision du PSS peut être appréciée à trois niveaux différents et partiellement indépendants:

La politique politicienne. Les élections nationales de 2011 approchent ; le PSS, comme tous les autres partis, remplit sa besace de gestes(iculations) devant lui permettre d’occuper le devant de la scène. C’est de bonne guerre… si l’on joue à ce jeu-là. Cela ne mérite pas plus d’attention que cela.

Des considérations tactiques. Des secteurs bourgeois sont mécontents de la dynamique actuelle du système d’assurance maladie. Le nouvel envol des primes fait problème et nourrit la grogne dans la population. Le renforcement du pouvoir des caisses maladies se fait aux dépens des pouvoirs cantonaux, grands financeurs du système de santé. L’idée d’une caisse unique, sur le modèle de la SUVA, a donc fait son chemin chez certains. Le conseiller d’Etat socialiste Pierre-Yves Maillard, président de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé (CDS), est bien placé pour le savoir. Dans ce contexte, le choix tactique, défendu par Maillard depuis longtemps, est de se focaliser sur une réforme susceptible de gagner une majorité (la caisse unique), en reléguant au second plan la question du type de primes (par tête ou en % du salaire).

Des considérations de fond: quel impact le passage d’un système basé sur la concurrence entre caisses maladies à un système de caisse unique peut-il avoir sur le système de santé ? Cette dernière question, avant toute autre, détermine l’intérêt ou les limites d’une initiative pour une caisse unique. C’est par là qu’il faut commencer.

D’où vient la LAMal ?

«On espérait que le nombre élevé d’assureurs privés déclencherait une concurrence synonyme de baisse des coûts et de modèles innovants d’assurance. En lieu et place, les caisses se sont concentrées sur la «chasse aux bons risques» [….] cette pseudo-concurrence ne rend service à personne et elle enterre l’esprit de solidarité que consacre pourtant la loi sur l’assurance maladie.» Ce sont les termes de la résolution du PSS adoptée pour justifier le passage à une caisse unique.

«On espérait»: qui est «on» ? Le PSS, à coup sûr, en fait partie: La loi sur l’assurance maladie (LAMal), qui a mis en place le système actuel, a été portée sur les fonds baptismaux en 1994 par la conseillère fédérale socialiste Ruth Dreifuss et fortement appuyée par le PSS qui, au même moment, assurait un enterrement de première classe à sa propre initiative demandant une assurance maladie obligatoire et financée en pour cent du salaire.

Associer prioritairement la LAMal à «l’esprit de solidarité» relève de l’ignorance ou de l’escamotage politique. Le modèle sous-jacent à la LAMal est celui de la concurrence régulée, prôné depuis la fin des années 1970 du siècle dernier par des économistes de la santé comme Alain Enthoven (de la Standord Graduate Scholl of Business). L’idée de fond de cette approche est de faire des caisses maladies privées les pilotes du système de santé: elles seraient amenées à la fois à inciter les assuré·e·s à consommer «rationnellement» (éviter toute consommation «inutile») et à contraindre les prestataires de santé (hôpitaux, médecins, etc.) à accroître leur «efficience» (baisser les coûts… comme le souhaite également la résolution du PSS), tout en augmentant la qualité, cela va sans dire. Le problème de la maîtrise des coûts de la santé – présenté, de manière trompeuse (voir encadré en fin de cet article), comme crucial – trouverait ainsi sa solution grâce à l’action d’entreprises privées – les caisses maladie – transmuées, par la grâce de la concurrence entre elles, en agents du bien public. Enfin, des régulations – assurance maladie obligatoire, mécanismes de compensation des risques entre caisses – complètent ce dispositif pour en éviter les effets indésirables (exclusion d’une partie de la population de la couverture maladie, «mauvaises» incitations pour les caisses).

Le modèle de la concurrence régulée a inspiré aussi bien la LAMal en Suisse que la réforme de l’assurance maladie aux Pays-Bas ou encore la réforme avortée du système de santé aux Etats-Unis concocté par Hillary Clinton au début des années 1990 du siècle dernier. Pour déployer son potentiel, ce dispositif ne suppose cependant pas seulement l’existence d’une concurrence entre caisses maladie. D’autres conditions doivent également être réunies. En Suisse, trois retiennent l’attention et ont été au cœur des débats politiques de ces dernières années relatifs à l’assurance maladie.

Incitations pas franches

Premièrement, des incitations économiques doivent amener les clients – les personnes recourant aux soins ne sont plus des usagers de services publics ou des patients, mais des consommateurs de prestations médicales – à ne pas consommer trop de soins. C’est la fonction des franchises et des participations aux frais, ancrées dans la LAMal dès le premier jour et jamais vraiment contestés dans leur principe par le PSS.

La justification de ces incitations repose sur deux hypothèses. Premièrement, la demande de soins serait potentiellement illimitée, caractéristique attribuée, sans hésitation, à la nature humaine. Deuxièmement, l’existence d’une assurance supprime, ou réduit fortement, la limitation de la demande liée à la solvabilité du consommateur: il peut accéder à des soins qu’il ne pourrait pas s’offrir s’il devait les payer de sa poche. Dès lors, pour éviter une explosion des coûts (puisque la demande est illimitée), il faudrait réintroduire un certain degré de «contrainte budgétaire», sous forme de franchises et de participations.

Julian Tudor Hart, qui a combiné, une vie professionnelle entière durant, l’expérience d’un médecin généraliste au Pays de Galles, dans le National Health Service (NHS) britannique, des recherches épidémiologiques basées sur sa pratique médicale et un engagement politique socialiste, démonte dans son dernier livre [1] l’argument-clé, de la demande illimitée de soins. Il montre qu’il consiste, en fait, en une mise cul par-dessus tête de la réalité: «Tant que les soins sont distribués comme un don socialisé [c’est-à-dire des services reconnus comme répondant à des besoins sociaux et distribués de manière non marchande], ils peuvent avoir des limites, fixées par une combinaison des attentes publiques et des avancées technologiques. Mais dès que les soins sont considérés comme une marchandise, la demande va croître autant que le public aura été rendu inquiet et incité à le demander.»

En clair, c’est la marchandisation de la santé, et pas une quelconque caractéristique anthropologique, qui est la base de la croissance tendanciellement illimitée de la demande de soins, car chaque nouvelle demande est potentiellement une source de profit pour un investisseur. Les pharmas en savent quelque chose. Cette dynamique de croissance ininterrompue n’a rien à voir avec la réponse aux besoins sociaux en matière de santé. Mais, nous assure-t-on, c’est en renforçant les mécanismes de marché que l’on va contrôler les dépenses de santé…

L’hôpital entreprise

Deuxièmement, un pseudo-marché, créé par le biais des mécanismes de financement, doit inciter les hôpitaux à devenir plus «efficients». C’est la fonction du financement des hôpitaux par les biais des DRG (diagnosed related groups), mis en place par la nouvelle loi sur le financement hospitalier adoptée en décembre 2007 et devant entrer en vigueur le 1er janvier 2012. Une loi qui n’a pas été contestée par référendum par le PSS, ni par les syndicats.

Le mécanisme de base du financement par DRG est simple: 1° un prix est fixé pour chaque type de prestations hospitalières, regroupées en groupes censés être homogènes du point de vue de leurs coûts (les fameux DRG) ; 2° les hôpitaux sont placés sur un pied d’égalité (ils sont financés de manière identique qu’ils soient publics ou privés) et se retrouvent de fait en concurrence entre eux ; 3° deux grands types de cas de figure peuvent alors se présenter:

a) les coûts de production d’un hôpital pour un type de prestation (un DRG) sont inférieurs au prix attribué à ce DRG. L’hôpital réalise alors un bénéfice ; il a intérêt à développer cette activité, voire à s’y spécialiser ;

b) les coûts de production de l’hôpital pour un DRG sont supérieurs au prix du DRG. Il travaille à perte. S’il veut éviter la faillite, il doit choisir entre deux options: abandonner l’activité non-rentable ou augmenter sa productivité de manière à faire descendre ses coûts de production en dessous du coût du DRG.

Les expériences faites avec ce mode de financement – introduit pour la première fois aux Etats-Unis au début des années 1980 – font apparaître une série d’effets inévitables.

  • Globalement, ce système de financement accélère l’«industrialisation» de la production de soins (c’est-à-dire sa décomposition en des unités simples pouvant faire l’objet de processus standardisables, une des bases de l’augmentation de la productivité dans une logique industrielle). Cette dynamique se heurte cependant à la fois à la réalité des tableaux cliniques, combinant très souvent de nombreuses morbidités, particulièrement chez les personnes plus âgées, réfractaires à la standardisation. Elle se heurte également au besoin des patients d’être pris en compte comme personnes – et pas comme supports d’une maladie localisée dans tel ou tel organe –, pour devenir co-acteurs de la production de leur santé. Elle se heurte enfin à une certaine conception du métier de soignant, en densifiant le travail (une des conséquences du raccourcissement des séjours) et en atrophiant toujours plus les espaces pour une relation empathique avec les patients, avec les effets négatifs que cela peut avoir pour les patients (soins sub-optimaux) et pour les soignants (souffrance de devoir agir en contradiction avec leur idéal professionnel).
  • Le financement par DRG, simultanément: a) révèle (ou consolide) des champs d’activités intéressants pour les investisseurs privés à la recherche d’un rendement assuré – les interventions pouvant clairement être délimitées et standardisées, planifiables et aux résultats prévisibles (les urgences et tous les cas plus complexes sont généreusement confiés au secteur public) ; b) incite les hôpitaux à trier leurs patients (en fonction de leur tableau clinique, qui détermine s’ils sont des patients «rentables» ou pas).
  • Le financement par DRG accroît la compétition entre hôpitaux. Les petits établissements ou les établissements de taille moyenne, sans créneau rentable, seront entraînés dans une dynamique accélérée de démontage. A l’opposé, les «gagnants», effectifs ou virtuels, sont poussés à (sur)investir, pour consolider/renforcer leur position. On assiste actuellement en Suisse à une vague coûteuse d’équipement dans les hôpitaux cherchant à se positionner le mieux possible en vue de l’entrée en vigueur du financement par DRG en 2012. La maîtrise des coûts de la santé est alors un lointain souvenir…

Avec la nouvelle loi sur le financement hospitalier, la Suisse a fait un pas décisif dans cette direction. Cette loi maintient certes la possibilité pour les cantons d’établir des listes cantonales d’hôpitaux, ce qui restreint partiellement la concurrence avec le privé. La loi précise cependant (art 39, al 2ter LAMal) que «le Conseil fédéral édicte des critères de planification uniformes en prenant en considération la qualité et le caractère économique». Le «caractère économique» est le nom de code de la «compétitivité», c’est-à-dire de la capacité à offrir des prestations au moindre coût: pas de doute que le secteur privé saura saisir cette perche pour élargir son activité dans les secteurs qui l’intéresse et où il est, justement, compétitif, c’est-à-dire rentable pour ses actionnaires.

Deux limites partielles restent encore en place: les patients n’ont pas encore un libre choix total de l’hôpital au niveau national ; le financement n’est pas encore moniste (un seul agent payeur), puisque 55% relèvent des cantons. La dynamique est cependant bien engagée.

Le business du managed care

Troisièmement, la généralisation du managed care doit révolutionner les soins ambulatoires. Le managed care, ou réseaux de soins, semble aujourd’hui faire l’unanimité en Suisse. Il est vrai que ce type de réorganisation des soins ambulatoires est vendu au public avec des arguments difficilement contestables… et que l’on retrouve dans la résolution du PSS: il s’agirait d’investir dans le «développement de traitements pour soigner les maladies chroniques comme les diabétiques, par exemple. De tels programmes associent médecins, personnel soignant et thérapeutes qui oeuvrent ensemble avec les patient-e-s conformément aux prescriptions professionnelles.» Qui oserait s’opposer à des objectifs si louables ?

Le seul problème, c’est le managed care n’a pas grand-chose à voir avec cela. Son mécanisme de base est de responsabiliser financièrement les patients et les fournisseurs de soins de manière à réduire la consommation de soins et son coût. Pour l’assuré, l’incitation est indirecte: soit il rentre dans un réseau soin, accepte de subordonner son recours aux soins à ce que le réseau lui offre et, en échange, il reçoit un avantage financier, sous une forme ou un autre (participation aux frais de 10% au lieu de 20% pour les autres assurés, comme l’envisage le projet de loi débattu par le Parlement, etc.).

Pour le fournisseur de soins, le mécanisme de base est analogue à celui mis en place pour le financement des hôpitaux: il y a une enveloppe définie à priori pour assurer le suivi médical des assurés inscrits à son réseau ; à lui de faire en sorte que les soins qu’il dispense ou ordonne (médicaments et examens prescrits, traitements spécialisés chez un physiothérapeute, un psychothérapeute, etc.) entrent dans cette enveloppe. S’il n’y arrive pas, la perte est à sa charge. Dans ce contexte, la fonction de ce que le PSS  appelle pudiquement les «prescriptions professionnelles» est cruciale: il s’agit de donner une base pseudo-scientifique – couvrant la véritable motivation: rester dans un budget préétabli – à des pratiques tendant à limiter l’accès à certains examens ou soins.

L’étape suivante, dans cette soumission de la pratique ambulatoire à la course à l’efficience, est celle de la liberté de contracter qui serait accordée aux assurances, pouvant choisir parmi les médecins et les autres prestataires de santé ceux avec qui elles travaillent et dont elles remboursent les prestations. Elle n’est probablement pas immédiatement à l’ordre du jour en Suisse. Mais l’institution du managed care comme modèle de référence en matière de soins ambulatoires suffit à accélérer une redéfinition de la pratique ambulatoire formatée par une concurrence accrue et des contraintes budgétaires renforcées.

Changer… pour aller où ?

Que retirer de ce tour d’horizon ? La LAMal a engagé, il y a une quinzaine d’années, le financement du système de santé en Suisse sur la voie d’un système de concurrence régulée, où les mécanismes de marché jouent un rôle primordial. La loi sur le financement des hôpitaux, adoptée fin 2007, avec entrée en vigueur en 2012, est une étape cruciale supplémentaire dans ce sens.

Une troisième se prépare: la mise en place du managed care comme modèle de référence pour les soins ambulatoires. Chacun de ces changements oriente un peu plus le système de santé helvétique dans une logique de marchandisation accrue, combinant industrialisation de la médecine, dégagement de champs d’investissements rentables pour des opérateurs privés (hôpitaux, voire, demain, réseaux de soins), participation financière accrue de la population, creusement des inégalités (de divers ordres) dans l’accès aux soins, pressions renforcées sur un personnel de santé.

Que représente l’initiative du PSS par rapport à cette dynamique ? Elle touche indéniablement un point important: le mécanisme de concurrence entre caisses. Mais elle n’engage pas, même de manière très partielle, dans une voie remettant en cause la dynamique globale de reformatage du système de santé par des mécanismes de concurrence marchande.

Pire: l’argument invoqué en faveur d’une caisse unique est que la concurrence entre caisses n’a pas fonctionné parce qu’elle n’est qu’une «pseudo-concurrence». Ce qui veut dire, en bon français, qu’une «vraie» concurrence serait bienvenue. Ce positionnement appelle trois remarques:

  • Le reformatage du système de santé par les mécanismes du marché peut très bien se déployer en l’absence de concurrence entre caisses maladies. En Grande-Bretagne, des mécanismes de marché interne ont été introduits par les gouvernements conservateurs de Thatcher et Major, et renforcés par le nouveau Labour de Blair, au sein d’un National Health Service (NHS) financé par l’impôt. Il en va de même en Italie. En France, la réforme hospitalière se déploie, avec ses ravages2, alors que le financement est de type sécurité sociale.
  • La concurrence est, par définition, une pseudo-concurrence. Ce constat, banal pour des «socialistes», est encore plus évident aujourd’hui, alors que le degré de concentration du capital atteint des niveaux sans précédent. L’annonce récente de la fusion des caisses maladie Sanitas et CPT illustre ce phénomène dans le domaine de l’assurance maladie: cinq mastodontes (Helsana, CSS, SanitasCPT, Swica et Mutuel) contrôlent désormais trois quarts du marché de l’assurance maladie de base3: Tous les mécanismes les plus subtils de «compensation des risques» ne les empêcheront pas de façonner ce marché oligopolistique de manière à ce qu’il soit rentable pour eux. Et qui peut croire que, avec le financement des hôpitaux par DRG, les cliniques privées ne traduiront pas la concurrence en un processus d’écrémage des clients les plus rentables (le «reste» étant bon pour les hôpitaux publics) ?
  • Le choix tactique du PSS – une initiative permettant de faire alliance avec un secteur bourgeois – pose deux problèmes. Premièrement, il est plus aléatoire qu’il n’y paraît. Le lobby des assurances ne va pas laisser restreindre son champ d’activité aussi facilement: il prépare déjà sa contre-offensive sur le terrain même choisi par le PS: la «pseudo-concurrence». «Santésuisse veut mettre un terme à la concurrence que les assureurs se livrent au niveau des primes par la «chasse aux bons risques», annonce ainsi son président, Claude Ruey4. La portée de telles proclamations ne fait pas illusion ; elle indique cependant que la fenêtre entrevue par les stratèges du PSS n’est pas nécessairement aussi ouverte qu’ils veulent bien le faire croire. Deuxièmement, ce choix amène immanquablement à faire profil bas sur le reste des réformes de santé, qui renforcent pourtant tout autant le poids des mécanismes de marché dans la santé. Ce n’est pas ainsi que l’on va commencer à esquisser une alternative.

Indiquer une alternative

La marchandisation des systèmes de santé fait partie d’une vague de fond, en Suisse, en Europe, à l’échelle internationale, qui vise depuis la fin des années 1970 du siècle dernier à démonter les espaces couverts par des droits sociaux et des services publics, soustraits (au moins dans une large mesure) aux logiques de la concurrence marchande, de l’accumulation de capital et du profit.

L’enjeu de cette offensive est à la fois d’ouvrir de nouveaux espaces rentables pour la valorisation du capital et de tailler dans les formes socialisées du salaire. Dans le domaine de la santé, elle est supportée par deux grandes affirmations, tellement répétées qu’elles finissent par ne plus être contestées: les coûts de la santé exploseraient à un rythme insupportable pour la société ; le marché et les acteurs privés seraient les mieux à même de stopper cette explosion et d’obtenir que les ressources affectées à la santé soient utilisées de la manière la plus efficiente.

Une perspective d’ensemble alternative est nécessaire pour que des batailles ponctuelles – comme sur le système d’assurance maladie – deviennent des éléments de construction d’un autre projet social, et ne soient pas digérées par la déferlante du «tout au marché», sort qui menace l’initiative du PSS pour une caisse unique.

De ce point de vue, il est étonnant – où ne l’est-ce pas ? – que les expériences des système nationaux de santé, comme le National Health Service (NHS) d’avant Thatcher, soient à ce point absent du débat au sein de ladite gauche sur ce thème. Elles permettent pourtant d’aborder des questions essentielles pour tracer un horizon: les conditions d’existence et de développement de vastes services publics, dans une large mesure soustraits aux logiques marchandes ; la construction de majorités sociales pour soutenir de tels projets, ce que demandent et ce que peuvent signifier de vraies politiques d’intégration des soins et de planification sanitaire, les formes possibles et nécessaires de participation des personnels et des patients, etc. Il y a là un patrimoine d’expériences et de réflexion à se réapproprier

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Financement de la santé: quelques faits

Le PSS devrait, peut-être, réfléchir à un petit paradoxe: il reprend de manière acritique la thèse de l’«explosion» des coûts de la santé et son caractère «insupportable», mais il considère qu’un changement dans la répartition de cette charge ne mérite pas d’être inclue dans une initiative voulant transformer en profondeur le système d’assurance maladie. Pour une formation politique se disant «de gauche», c’est un peu le monde à l’envers.

1.- «L’explosion des coûts de la santé». L’économiste de la santé Brigitte Dormont remet les pendules à l’heure dans un petit fascicule au titre bienvenu: Les dépenses de santé: une augmentation salutaire ? 5. S’appuyant sur une littérature anglo-saxonne tout ce qu’il y a de plus «mainstream», elle rappelle que:

• La croissance des dépenses de santé s’explique fondamentalement par la diffusion du progrès médical. L’explication par le vieillissement de la population est une fable.

• L’augmentation de la part des dépenses de santé dans la richesse produite chaque année (la part du produit intérieur brut – PIB) ne pose pas de problème de financement. A l’appui, elle cite les estimations de l’économiste de la santé américain  D. M. Cutler6: en supposant un progrès médical qui se poursuit dans les décennies à venir au même rythme, la consommation des ménages (dépenses de santé exclues) des pays de l’OCDE augmenterait de 150% entre 2000 et 2050. Ce genre d’estimations sur le long terme est à prendre avec des pincettes. Elles montrent cependant que le financement de l’augmentation des dépenses de la santé n’est pas, en tant que tel, un problème du point de vue de l’ensemble de la société.

• Il serait, pour le moins, bienvenu de comparer les «coûts» des systèmes de santé à la valeur des «gains» qu’ils génèrent en termes de santé, si l’on veut, même dans une optique d’épicier, estimer s’ils sont trop élevés ou pas. Or, lorsque cette comparaison est faite, il ressort «que les dépenses actuelles en santé sont vraisemblablement en deçà du niveau optimal» (p. 65), en clair, qu’une augmentation de la part des dépenses de santé dans la richesse nationale est non seulement parfaitement supportable, mais également souhaitable, compte tenu des gains qu’elles apportent en termes d’années de vie gagnées et de qualité de vie.

2.- La répartition du financement des coûts de la santé. Le système de prime par tête est non seulement profondément inique (même l’OCDE en convient). Mais, de plus, en faisant peser sur une part importante de la population une charge difficilement supportable, il crée le terrain favorable aux discours sur «l’explosion» des coûts de la santé et les mesures d’économie «indispensables».

Enfin, le maquis des systèmes cantonaux de subside aux primes maladie crée de nouvelles inégalités et est devenu un obstacle aux réformes: une partie des personnes qui en bénéficient préfèrent le statu quo par crainte de perdre ce petit «avantage». Mais c’est justement cela que le PSS pense qu’il est préférable de laisser inchangé…

Par contraste, qu’impliquerait un financement sur le mode de l’AVS (cotisations en % du salaire, dont 50% versées directement par l’employeur) ? Quelques chiffres (de 2007, dernière année disponible) permettent de se faire une idée:

• Les dépenses relevant de la LAMal se sont montées à 19,5 milliards de francs ; pour les financer, un taux de cotisation de 3,25% (+3,25% versés par l’employeur) suffirait. C’est moins que ce qui est versé pour l’AVS (4,2%).

• L’ensemble des dépenses de santé financées par les ménages (assurance de base, assurances privées, participations aux frais et franchises, paiements «out of pocket» (pour des médicaments, les soins dentaires, les soins de longue durée en EMS, etc.) ont atteint 36,9 milliards. Cela correspond à un taux de cotisation salariale de 6,15% (à nouveau, + 6,15% versés directement par les employeurs).

Cette fourchette montre deux choses: 1° la grande majorité de la population serait largement gagnante avec un tel mode de financement (qui pourrait par ailleurs être adapté pour les très bas revenus) ; 2°  ce mode de financement équivaut à une augmentation des salaires, puisque la «part patronale» n’est rien d’autre qu’une portion de salaire directement affectée au financement d’un service prédéfini.

On comprend l’opposition farouche de la droite et du patronat. Les forces politiques de gauche et syndicales ne devraient, en toute logique, pas baisser les bras, mais au contraire recommencer un patient travail d’explication et de mobilisation. Les arguments ne manquent pas. A commencer par l’impact démontré des conditions de travail sur la santé qui constitue, du point de vue du financement du système de santé, une mise à la charge des salariés d’une partie des coûts de la course au profit des entreprises, dont ils subissent par ailleurs les conséquences en terme de santé (sans parler de la précarisation de l’emploi ou des baisses de salaire).

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1. Hart Julian Tudor (2006), The political economy of health care. A clinical perspective, Policy Press, Bristol.

2. Cf. Grimaldi André (2009), L’hôpital malade de la rentabilité, Fayard

3. Handelszeitung, 26.05.2010

4. Le Temps, 14.06.2010

5. Dormont Brigitte (2009), Les Dépenses de santé. Une augmentation salutaire ?, Editions Rue d’Ulm, collection du Cepremap

6. Cutler D. M.(2006), «An international look at the medical care financing problem», Wise D. & Yashiro N. (ed), Health cares issues in the US and Japan, Chicago University Press, 69-81

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