«Financement additionnel de l’AI»:

la corde qui soutient le pendu

Bernard Bovay et Charles-André Udry

En réalité, ils n’ont qu’un plan: soumettre l’assurance-invalidité à une diète inhumaine, avec un mépris administratif et inquisiteur.

Le 27 septembre 2009, ledit «souverain» est censé se prononcer sur un thème clair et d’évidence: sauver l’Assurance invalidité (AI) qui est au bord du gouffre financier. L’Agence Télégraphique Suisse (ATS), le 8 mars 2009, affirmait dans son style polysémique, châtié et fédéral: «Le trou avoisine 13 milliards de francs et menace l’équilibre du fonds de compensation de l’AVS auquel les finances de l’AI sont liées pour l’heure.»

Pour mieux toucher le cœur et la générosité du citoyen et de la citoyenne – réputé être proche du gousset – le regroupement interpartis bombarde avec un slogan «chiffré»: «L’AI puise chaque jour quatre millions de francs dans le pot des retraites. Conséquences nos rentes sont menacées.» Il est vrai que ce regroupement, qui n’eut point de cesse avant que l’AVS commençât à reculer dès la fin des années 1970, aujourd’hui, n’hésite pas à se placer sous la protection du slogan: «Protéger l’AVS – Assainir l’AI».

De quoi mobiliser les retraité·e·s et les futurs retraité·e·s afin qu’ils déposent dans l’urne un Oui en faveur d’une politique gouvernementale qui, depuis plus de deux décennies, porte pourtant atteinte à l’AI, à l’AVS et au 2e pilier.

Une fois de plus, la propagande officielle nous présente un train Potemkine qui en cache de nombreux autres et, en prime, une locomotive traînant des dizaines de wagons bourrés de marchandises douteuses.

Les camionneurs de l’UDC – son conseiller national, Adrian Amstutz (Berne), préside la très conservatrice Association suisse des transports routiers (Astag) – se prononcent pour la route du Non. Depuis fort longtemps, l’attitude de l’UDC consiste à faire pression sur l’ensemble des partis gouvernementaux afin qu’ils accentuent le sous-financement de l’AI et pour qu’ils accélèrent les contre-réformes sociales en cours.

Le succès de l’UDC en la matière est manifeste, quelles que soient les dénégations – publiques – de quelques radicaux et de quelques PDC, relayés par des chroniqueurs soit ignares, soit éhontés. L’UDC veut simplement laisser croître le déficit de l’AI pour mieux la tailler, pour en faire, dans un délai abrégé, une AI-bonsaï

Un Non pour relancer l’AI

Notre prise de position en faveur du Non repose sur les éléments suivants.

Pour les salarié·e·s, le besoin d’une AI appropriée et généreuse est sous-tendu, entre autres, par la péjoration des conditions de travail et de vie.

Ce besoin doit être reconnu dans le droit imprescriptible à une AI socialement la plus juste possible: c’est-à-dire conforme aux exigences d’une vie quotidienne qui soit la moins dépréciée par une incapacité.

Le financement peut être résolu – nous le démontrons ici – sans grandes difficultés; c’est un choix social et politique, dont la concrétisation dépend, certes, des rapports de forces sociaux et politiques qui pourraient se modifier quelque peu si l’enjeu se clarifie.

Le Oui proposé par le gouvernement et les partis [1] est un oui qui doit consolider la voie vers une véritable démolition de l’AI, vers la négation du droit le plus élémentaire d’accession à une rente AI pour des dizaines de milliers de personnes. De plus, de nombreux bénéficiaires actuels verront leurs rentes soit révisées à la baisse, soit supprimées.

Dans la foulée du vote du 27 septembre 2009 sera légitimé – sous un faux prétexte social (en fait antisocial) – un renforcement de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), impôt particulièrement inéquitable. La consolidation à la hausse de la TVA devra permettre la réduction, jusqu’à son extinction, de l’impôt fédéral direct au nom de l’efficacité de la «concurrence entre places fiscales internationales». Lisez: exonérer les «vraies» grandes fortunes de l’imposition touchant la fraction fiscalement déclarée de leurs avoirs.

Notre Non est motivé par un refus principiel du projet de délitement de l’AI, principiel car fondé sur la prise en considération d’un besoin social qui doit trouver sa reconnaissance dans un droit effectif. C’est aussi un Non qui peut s’inscrire dans l’ouverture d’un débat sur un vrai système de sécurité sociale dans cette période historique de crise où la sécurité est assimilée trompeusement à une sécurité policière, à une surveillance.

La droite, jusqu’à maintenant, a imposé ses options et ses calculs intéressés à une prétendue gauche qui, au nom d’un moins pire, étaye les embarcadères menant au pire. Il s’agit donc d’un Non visant à créer une des préconditions nécessaires à une contre-attaque, c’est-à-dire démystifier le discours dominant et dégager les éléments d’une alternative concrète. Cette orientation pourra trouver un écho plus grand lorsque la susbtantifique moelle du projet du Conseil fédéral et de ses maîtres apparaîtra dans toute sa clarté. On peut établir une analogie: en 1972, nous montrions l’impasse prévisible du 2e pilier; aujourd’hui cela commence à être mieux saisi. La politique, au sens vrai du terme, ne s’élabore pas seulement dans une temporalité de l’immédiat ou de la dénonciation boursouflée.

Qu’on ne nous parle pas, une fois de plus, «d’alliance contre nature» parce que l’UDC est pour le Non. Lorsque les écologistes s’opposent au «principe du cassis de Dijon», nous pensons qu’ils ont raison de le faire pour les motifs (qualité des produits, «durabilité») qu’un Jo Lang (conseiller national Vert de Zoug) invoque. Et aussi pour des raisons qu’il n’invoque pas, par méconnaissance: celui des prix et revenus qui sont relatifs et donc du type d’emplois et de tissu productif à défendre. Cette opposition, ce Non, est légitime, même si l’UDC se prononce aussi pour le rejet du «principe du cassis de Dijon».

Il en va de même pour la politique militaire «extérieure» de la Suisse impérialiste défendue par Micheline Calmy-Rey. A nouveau, Jo Lang s’y oppose, formellement comme l’UDC, mais pour des raisons fort différentes. Ce genre de concomitance sur un mot d’ordre relève de la logique plébiscitaire de la démocratie semi-directe, sous la forme technique qu’elle possède aujourd’hui en Suisse.

Maillon nécessaire d’une destruction: le Oui

La proposition immédiate du gouvernement pour «boucher le trou» du déficit de l’AI est la suivante: augmenter la TVA de 0,4 % pour le taux usuel pendant une période de 7 ans, à partir du 1er janvier 2011. Cela pour, officiellement, financer l’AI. Toutefois, des objectifs socialement réactionnaires sont revendiqués, sans embarras, par les partisans du Comité interpartis prônant le Oui. Ils sont aisés à énumérer:

«stabiliser le déficit annuel», ce que la 5e révision de l’AI a effectué au plan comptable [2] en niant de plus en plus la réalité de situations d’invalidité, entre autres en ce qui concerne des salarié·e·s soumis à des conditions de travail toujours plus rudes;

grâce à l’apport d’une TVA accrue, viser à ce que la dette ne croisse pas; une césure est introduite entre «l’équilibre des comptes» – sanctifié par le dogme du «frein à l’endettement» – qui devrait ainsi être atteint d’un côté et les besoins objectivement croissants d’avoir recours à l’AI, ce qui conduira à rendre encore plus restrictives – pour ne pas dire régressives et répressives – les conditions d’allocation de rentes AI;

ajuster les dépenses de l’AI aux recettes présentes, une fois la période transitoire de 7 ans (en 2018) écoulée et cela en concrétisant toutes les mesures prévues par la 6e révision de l’AI; et certainement de nouvelles, tant l’imagination bureaucratique et épieuse est prolixe. (Voir encadré Débauche détective abusive)

Une première partie de cette révision a déjà été soumise à consultation dès le 17 juin 2009 [3]. Pour le Conseil fédéral, au même titre que pour le Comité interpartis, un Oui le 27 septembre 2009 équivaudrait à lancer un TGV qui balayera l’AI.

Tout cela sera effectué au nom de «l’équilibre financier» d’une part et d’autre part des mesures de détection précoce comme de prévention, une bouillie pour chat qui sera ingurgitée par les médias officialisés.

Un contexte invalidogène

Le but de «combler le déficit abyssal de l’AI» sera affiché sous toutes les formes. Le Conseil fédéral jouera sur l’autorité, prétendument «indiscutable», des chiffres. Cette campagne de bourrage de crâne devra tendre à éliminer deux questions. La première: quelles sont les causes de la progression du nombre des cas d’invalidité ? La seconde: comment est construit politiquement et socialement un sous-financement de l’AI ?

Pour ce qui est de la première interrogation, multiples sont les études – ne seraient-ce que celles portant sur le rapport entre chômage et santé – qui démontrent les atteintes, souvent combinées, à la santé physique et psychique des personnes au chômage ou craignant de perdre leur emploi.

Cette tendance ne pourra que se renforcer dans le contexte socio-économique présent où la précarisation du travail s’accentuera.

Au plan quantitatif, l’ISSA (International Social Security Association), qui développe une orientation assez proche de celle du gouvernement helvétique, doit toutefois faire le constat suivant: «Suite au durcissement dans de nombreux pays de la réglementation des régimes de chômage qui exige une recherche d’emploi plus stricte, et à la suppression progressive des systèmes de préretraite, les pressions [à la hausse] subies par les prestations d’invalidité continuent d’augmenter.» C’est ce qui se passe en Suisse; si ce n’est que ces «pressions» sont brutalement écartées.

A cela s’ajoutent toutes les transformations de la gestion des «ressources humaines», formule qui, en tant que telle, est suffisante pour décrire l’idéologie et la pratique patronale (directe ou déléguée) à l’œuvre sur les lieux de travail.

Cette gestion entrecroise un investissement apparemment autonome du salarié et une contrainte intériorisée où la non-réussite face aux objectifs est sanctionnée en termes de valorisation individuelle et de risque de perte d’emploi. Le professeur Andreas Krause, qui a mené une étude auprès d’entreprises en Suisse, constate: «L’employé assume désormais le risque de l’entreprise… Les gens travaillent beaucoup, ils ont le sentiment de n’en avoir jamais terminé. Et ils ne prêtent plus attention à leur santé, ils n’en ont pas le temps… Les gens souffrent alors de dépression, de burn-out, etc. Les cadres sont aussi concernés, ils ont d’ailleurs souvent des problèmes de sommeil liés au fait qu’ils n’arrivent pas à couper avec l’entreprise.» (Le Temps, 10 juillet 2009)

Le médecin du travail français Philippe Davezies, professeur à l’Université de Lyon, écrivait, en janvier 2007, dans la Revue Santé & Travail: «Tous ces exemples ont en commun l’impossibilité de satisfaire à la fois les attentes de la hiérarchie et les exigences propres du métier. Une telle situation a des conséquences désastreuses sur les relations de travail. Dans la mesure où il n’est pas possible de réaliser tous les objectifs qu’impliquerait un travail bien fait, il faut choisir ce que l’on va privilégier. Or, les salariés abordent cette question dans l’isolement. Il n’est pas facile de discuter du travail lorsqu’on a le sentiment de le faire mal; la pression à la normalisation incite à dissimuler les difficultés; le recours aux statuts précaires fait entrer en permanence des salariés qui n’ont pas d’emblée le même regard que les anciens sur l’activité. Résultat, chacun se débrouille comme il peut, préservant ou développant, selon sa sensibilité et les possibilités que lui offre son statut, telle ou telle dimension de l’activité. Les repères communs permettant de définir un travail bien fait tendent à s’effacer, entraînant un recul de la solidarité et la montée des conflits: affrontements aigus extrêmement personnalisés pouvant prendre la forme du harcèlement moral mais aussi conflits plus collectifs et plus larvés opposant intérimaires et travailleurs stables, jeunes et anciens, autour d’approches différentes du travail et de ses problèmes.

Dans ce contexte, les salariés qui sont menacés dans leur santé sont ceux qui, tout en s’efforçant de satisfaire aux exigences abstraites de la hiérarchie, ne se résignent pas à laisser couler la qualité…

Cette situation s’accompagne d’un débordement du travail sur la sphère privée: dépassements d’horaires, travail ramené au domicile, mais surtout envahissement par les soucis du travail au détriment des relations familiales et du sommeil.»

Prenons un autre exemple ayant trait au personnel du réseau de la santé et des services sociaux. Une étude gouvernementale, effectuée au Québec en 2005 [4], souligne le désarroi provoqué par le «manque de reconnaissance» du travail effectué. Ou encore, lors d’une absence pour cause de «troubles mentaux», la non-préparation des structures et des collègues de travail au retour «de la personne qui s’est absentée», avec les effets corrosifs qui en découlent sur l’état de santé de cette dernière.

Le même rapport ose mentionner – on ne se trouve pas en Suisse – à propos de la durée de l’invalidité: «Pression de l’employeur pour un retour au travail hâtif avec des psychiatres vendus à la cause de l’employeur.» Avec les médecins des services médicaux régionaux de l’AI, une telle pratique sera normalisée. Ils n’ont pas besoin d’être vendus. Ils sont déjà achetés.

Des prises de parole… tardives

Le professeur Christoph Minder, qui dirigeait l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne, souligne deux thèmes importants, évités par la médecine homologuée par l’OFAS (Office fédéral des assurances sociales). Tout d’abord, «bien des gens ont une marge de décision individuelle réduite, voire très réduite». Christoph Minder l’illustre ainsi: «Prenez les contrôleurs aériens: ils sont soumis à un stress très fort et ils fument beaucoup pour réduire ce stress. En un mot, ils s’adaptent.»

Cette constatation s’oppose directement à la pratique et à la doctrine mises en œuvre par les assurances et l’AI selon lesquelles la «responsabilisation individuelle» est la clé de la prévention; et demain la clé pour la décision d’attribution des rentes, comme pour le calcul des primes d’assurance.

Ensuite, Christoph Minder relève combien la thématique de l’inégalité sociale est peu prise en compte en Helvétie en termes de santé. «Un exemple: quelles conséquences sociales aurait l’introduction d’une taxe de consultation de 30 francs ? Contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne, aucune étude n’est prévue en Suisse pour le mesurer. Dans le domaine de l’environnement, l’idée est acquise: on ne construit rien de nouveau sans une étude d’impact. Il faudrait acquérir ce réflexe dans la santé aussi.» (Le Temps, 1er juillet 2009)

Le récent rapport du Seco, publié en juillet 2009 et rédigé par Ralph Krieger et Maggie Graf, intitulé Travail et santé, indique, entre autres: «Les maux de dos ou de reins font partie des atteintes à la santé les plus répandues dans le monde du travail… Les personnes ayant entre 35 et 64 ans sont entre 41 % et 44 % à témoigner de maux de dos ou de reins. En considérant les chiffres sous l’angle du niveau de formation, on constate que la fréquence du mal de dos ou de reins diminue avec l’augmentation du niveau de formation.» (p. 34 et ss.)

Nous ne discuterons pas, ici, de la méthode utilisée dans cette enquête, ni de sa «sophistication» analytique. Les constats de cette étude sont, pour l’heure, suffisants. On y trouve aussi les affirmations suivantes: «Un symptôme aussi fréquent que celui du mal de dos ou de reins et celui de la faiblesse généralisée, de la lassitude ou du manque d’énergie… Les femmes semblent plus touchées que les hommes (49 % contre 34 %)… En ce qui concerne le niveau de formation, on relève que les personnes n’ayant pas achevé de formation professionnelle sont plus touchées que celles disposant d’un diplôme de l’enseignement supérieur (44 % contre 38 %)…» On pourrait poser une question: la différence est-elle due au diplôme ou au type d’emploi auquel donne accès ou non un «papier» ?

L’étude du Seco signale qu’environ «un tiers de la population active juge son sommeil perturbé. Les difficultés à s’endormir ou l’insomnie concernent particulièrement les personnes actives de sexe féminin (38 %), les personnes actives d’âge avancé (55 à 64 ans: 39 %) et les personnes n’ayant pas achevé de formation professionnelle…» Pour ce qui a trait aux «maux de tête ou douleurs du visage, ressentis au cours des quatre dernières semaines», «la moyenne générale s’élève à 39 %».

Certes, on pourrait développer plus sérieusement les corrélations entre les conditions de travail, de vie et les atteintes diverses à la santé, avec leurs conséquences invalidantes possibles. La formule «plus sérieusement» relève de l’euphémisme. Michel Guillemin, après «vingt-cinq ans passés à la tête de l’Institut universitaire romand de santé au travail, avoue: «En Suisse, la santé au travail n’est pas considérée comme une discipline scientifique. L’actuel démantèlement de certaines inspections cantonales (Genève, Neuchâtel) et la fermeture en 2006 de l’Institut d’hygiène et de physiologie du travail à l’EPF-Zurich traduisent une ferme volonté politique de laisser la santé au travail confinée dans le secteur de l’assurance sociale et de la loi sur le travail – jugée excellente par les décideurs et les partenaires sociaux [lisez: les syndicats et évidemment le patronat]. Le refus de suivre les recommandations du BIT et de l’OMS sur le sujet vient confirmer cela. En France et ailleurs, il y a une prise de conscience de la souffrance au travail. En Suisse, c’est tout le contraire.» Puis, la journaliste de L’Hebdo (N° 33, 13 août 2009) se risque à la question suivante: «Les Suisses souffrent-ils vraiment sur leur lieu de travail ?» Michel Guillemin répond: «Depuis vingt ans, toutes les enquêtes tirent la sonnette d’alarme. En Grande-Bretagne, le professeur Michael Marmot a démontré que 20 % des maladies cardiovasculaires proviennent du milieu professionnel. Je suis persuadé que les problèmes sont les mêmes en Suisse.» Puis M. Guillemin répète un fait connu: «Il y a une carence statistique gigantesque.» Cette carence touche tous les domaines liés au travail. C’est un choix politique. Ensuite, M. Guillemin reprend ce que Philippe Davezies et d’autres ont mis en relief depuis plus de vingt ans en France: «Si l’employé ne se consacre pas entièrement à sa tâche il se sent coupable. En période de crise, cette tendance est à la hausse: la peur du chômage incite les salariés à travailler plus et à souffrir en silence. La personne qui «craque» et qui, peut-être, se suicide sera considérée comme une personne inadaptée et dépassée par ses problèmes personnels.» M. Guillemin souligne aussi le faible nombre de médecins du travail. Il aurait pu ajouter leur droit plus que limité en termes d’inspection. La Suva «s’occupe à 95 % des accidents du travail, les 5 % restants concernent les maladies officiellement reconnues, dont celles provoquées par l’amiante, le bruit et la maladie de peau. Pour le reste – maux de dos, problèmes articulaires, diminution de la vue, dépression – il n’existe strictement rien. Mais la Suva ne fait qu’appliquer la loi.» Et nous pourrions ajouter que les appareils syndicaux cogèrent la Suva. Enfin, il est possible d’adjoindre à la peur diffuse des salarié·e·s sur le lieu de travail en Suisse cette dernière remarque de Michel Guillemin: «Je veux démontrer l’immense importance du travail et son impact, non seulement sur la santé publique mais aussi sur l’environnement et l’économie. On m’a dit: «Tu vas te faire assassiner…» Cette dernière apostrophe traduit le courage civique qui envahit le milieu dit académique. La frousse du chômage et le chantage à l’attribution de maigres bourses de recherches fixent les limites de «l’audace scientifique».

Ce vide des études et des interventions effectives – c’est-à-dire qui ont comme préoccupation la santé des salarié·e·s et non pas l’amélioration de la gestion des entreprises – sur les relations entre travail, chômage, santé et invalidité est camouflé dans la propagande officielle ayant trait à l’AI par des références trompeuses et biaisées sur la détection précoce et la réinsertion [5].

D’ailleurs, l’ISSA, à ce propos, est contrainte d’émettre le constat suivant: «Dans les pays qui se sont efforcés de réinsérer dans le monde du travail des personnes touchant déjà des prestations d’invalidité, le nombre de bénéficiaires quittant le régime d’invalidité a rarement été à la hauteur des espérances.»

Parions que le gouvernement helvétique, appuyé par l’ensemble des partis gouvernementaux et autres (les Verts, par exemple), fera en sorte que les détenteurs de rentes se plient à ses «grandes espérances». C’est ce que préparent les programmes de révision permanente des rentes.

Une cotisation de 0,72 % pour les salariés et de 1,08 pour les employeurs

Actuellement, le financement de l’AI repose sur trois piliers:

une contribution de la Confédération à hauteur de 37,7 % des dépenses, contribution financée par la TVA, par des accises (impôt sur le tabac, sur certains alcools) et d’autres impôts;

par un prélèvement sur le salaire (0,7 %) et sur le revenu pour les indépendants;

par une cotisation dite patronale (0,7 %).

Ce mode de financement est le résultat, pour l’essentiel, d’un prélèvement soit sur le salaire (impôts, cotisations), soit sur une partie de la plus-value créée par le travail salarié (cotisation des employeurs). L’objectif de réduire la part du salaire social – catégorie à laquelle appartient l’AI – s’inscrit dans la politique plus générale de contre-réformes sociales et de volonté d’améliorer les «conditions cadres de l’économie suisse».

Lisez: de maintenir les marges de profit des firmes dans le cadre d’un déchaînement concurrentiel dont l’espace et la rudesse sont propres au capitalisme mondialisé et dont les salarié·e·s sont la variable d’ajustement principale (salaire, temps de travail, conditions de travail, etc.). Les employeurs de chaque pays exercent un chantage analogue afin d’«améliorer les conditions cadres» et mettent de la sorte les salarié·e·s en concurrence les uns contre les autres (à l’échelle nationale et internationale).

Pour ce qui est du financement de l’AI, quelques données chiffrées sont utiles pour mieux saisir les enjeux du débat en cours. Le nombre de personnes bénéficiaires de rentes de l’assurance-invalidité s’élevait en 2000 à 235’529; en 2006 à 298’684 et en 2008 à 294’080.

Les bénéficiaires qui résident en Suisse représentaient, en 2006, 5,4 % de la population assurée; ils sont passés à 5,2 % en 2008. On s’aperçoit que – malgré les éléments socio-économiques qui provoquent une hausse des facteurs de risques pour la santé et donc multiplient, de facto, des situations d’invalidité – un recul du nombre des bénéficiaires est à l’œuvre, par le moyen d’un appareillage de contention mis en place depuis la 4e révision, soit depuis le début 2004.

Pour ce qui a trait aux recettes et aux dépenses, il faut avoir à l’esprit l’entrée en vigueur dès 2008 de la Réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RTP) qui modifie les séries statistiques et les rend peu comparables, ce qui est une technique utilisée jusqu’à la corde par les autorités.

Nous nous contenterons donc ici de fournir les chiffres pour 2008. Les recettes étaient à hauteur de 8,162 milliards et les dépenses de 9,524.

Un premier constat qui va à contre-courant de la campagne médiatique: le déficit n’est pas si important, car il doit être qualifié en termes relatifs à la richesse produite et à la situation des contributeurs. Le passage à des cotisations de 0,9 % pour les salariés et du même montant pour les employeurs permettrait d’équilibrer immédiatement les comptes.

Pourtant, il est tout à fait raisonnable d’envisager une répartition modifiée du prélèvement total sur les salaires qui pourrait être de 0,72 % pour les salarié·e·s et de 1,08 % pour les employeurs. L’équilibre des comptes serait respecté.

Ce n’est évidemment pas cette voie qui est empruntée. Un choix antisocial explicite est effectué. Derrière la formule «réduire les dépenses» se renforcent trois programmes socialement réactionnaires: • abaisser les rentes allouées («les révisions»); • annuler des rentes allouées sous le prétexte de leur non-pertinence selon les nouvelles normes; • refuser brutalement de reconnaître un nombre croissant de cas d’invalidité.

Ces choix politiques rétrogrades – explicitement avalisés par tous les partis gouvernementaux, y compris l’UDC qui dit non car elle veut précipiter le mouvement – sont expliqués, sans détour, dans la Loi fédérale sur l’assainissement de l’Assurance-invalidité (AI) du 13 juin 2008. Cette dernière sera appliquée dès le 1er janvier 2010 en cas de Oui le 27 septembre 2009.

Dans l’article 5 de la loi précitée, le Parlement exige un message du Conseil fédéral avec des «propositions visant à assainir l’AI par une réduction des dépenses». Une exigence que le Conseil fédéral, dans diverses études, examine depuis 1997. Il la légitime sous l’angle strictement comptable, faisant abusivement appel à la métaphore de l’équilibre des comptes du «ménage fédéral». Or, un ménage de salariés n’a pas la possibilité d’accroître ses recettes au même titre qu’un Etat (impôts, empunts, amortissement). La comparaison est nulle et non avenue. Elle ne sert qu’à justifier frauduleusement l’austérité. (Voir l’encadré «Pas de problème de financement»)

Le pire est déjà programmé, dans le sillage du «moins pire»

Le 18 juin 2009, le quotidien Le Temps titrait: «Le Conseil fédéral veut baisser de 5 % le nombre de rentes AI.» Cela constitue un premier volet de la 6e révision de l’AI.

Face à cette indigne proposition, selon le scénario politique helvétique traditionnel, de suite la droite patriotique affirme que l’objectif est trop modeste.

Ainsi la Weltwoche (No. 23.09, pp. 24-28), faiseur d’opinion de la droite musclée interpartis, écrit: «Deux et deux font quatre, quatre et quatre huit, huit et huit font seize. Répétez ! Dit le maître.» Peut-être que ce joli poème de l’auteur français Jacques Prévert aide le duo welsch [suisse français] Pascal Couchepin et Yves Rossier, qui a la responsabilité de la politique sociale, de faire ce qui est systématiquement négligé: compter, compter correctement et répéter le résultat publiquement.»

Avec cette manœuvre propagandiste, la réduction de 5 % des rentes AI du «duo welsch» Couchepin-Rossier apparaît comme un moindre mal. Dès lors, vu cette qualité, ce genre d’objectifs devrait être accepté par ceux et celles qui se proclament opposants à l’UDC. Opposition qui constitue leur seule et unique identité politique, comme l’illustrent depuis longtemps les animateurs de l’émission, dite de débat, Infrarouge, sur la TSR. Demain, une nouvelle «tranche» de 5 % sera soumise pour répondre à «l’impératif des comptes». Et ainsi le duo – dont la composition va changer – va remettre sur le métier ses propositions les «moins pires».

Refus et suppression de rentes

Pour atteindre ces premiers 5 %, le mécanisme conçu par l’OFAS se décline ainsi:

Antérieurement, la révision de la rente s’effectuait lorsque l’état de santé de la personne la percevant avait changé ou lorsque sa situation professionnelle s’était modifiée. Un constat était alors établi, même si la validité de ce constat – déjà fort restrictif – pouvait être discutée.

Dans la perspective de la 6e révision, la modification de la rente aura lieu même si aucun changement n’est intervenu dans les deux domaines mentionnés: santé et situation professionnelle.

«A partir de 2014, on n’examinera plus s’il s’agit de troubles somatoformes douloureux, de fibromyalgie [état douloureux musculaire chronique] ou d’une pathologie similaire, puisque d’ici là les rentes octroyées pour ces motifs auront toutes été supprimées» (AI, «Premier train de mesures», p.32).

Est résumée ici la philosophie du duo «welsch», comme le credo de ceux – de l’UDC au PRL – qui réclament de Couchepin-Rossier et de leurs successeurs des sanctions plus efficaces. D’ailleurs, dans la jurisprudence antérieure à la 5e révision – et dans cette révision elle-même – ce type d’atteinte à la santé et ce handicap dans la vie quotidienne (privée et professionnelle) n’était déjà plus pris en compte pour accorder une rente.

Il s’agit donc avec la 6e révision d’éliminer les personnes détentrices d’une rente pour des raisons médicales qui ont été, par le passé, établies avec parcimonie. Sauf à dire que durant des années, le corps médical et l’AI étaient incompétents et socialement laxistes.

On est en droit alors de se poser la question: pourquoi seraient-ils médicalement plus compétents aujourd’hui ? Parce qu’ils auraient subi un cours de médecine des assurances ? [6]

Pour ce qui est du «laxisme social», il ne fait pas de doute que la dictature à gants de velours des assureurs se chargera de redresser ce dangereux penchant «socialisant». Au Etats-Unis, ne dit-on pas du côté républicain et même de démocrates – soit du côté de l’essentiel des troupes de l’UDC, du PRL et du PDC, pour établir une comparaison helvétique – qu’Obama est un dictateur socialiste et hitlérien (sic) parce qu’il défend l’idée d’une couverture médicale généralisée ?

Une cible primordiale est déjà dans le viseur: les rentes AI accordées pour des «raisons psychiques».

En invoquant des études «hautement scientifiques», les spécialistes en la matière de l’Union patronale écrivent le 6 juillet 2009, dans un communiqué, que le «potentiel d’amélioration» dans un «sous-groupe de maladies psychiques» est fort grand.

Le vice-directeur de l’OFAS, directeur de l’AI, le bien nommé Alard du Bois-Reymond, enfonce le clou. Dans l’Aargauer Zeitung du 10 août 2009, il déclare: «La croissance du nombre de rentes AI, au cours des années 1990, est tirée par les cas de maladies psychiques. Ici une faute a été commise, il faut y remédier.»

Traduisons: cette faute sera réparée et ce potentiel pourra trouver son expression concrète en deux temps: d’abord, une suppression de la rente; puis une réadaptation théorique à un travail; d’autant plus théorique que ledit marché de l’emploi est de plus en plus exigeant.

En d’autres termes, il faudra trouver l’employeur, psychiquement inadapté, qui engage une personne ayant été durant plusieurs années – pour de justes raisons – exemptée d’une charge de travail salariée et touchant une rente des plus modestes; ce qui les oblige d’ailleurs, souvent, à faire appel aux prestations complémentaires.

Miner l’AI, pour sauver l’AVS !

La campagne de la Weltwoche – qui influence de nombreux journalistes et médias en Suisse alémanique – se centre d’ailleurs sur ce thème.

Elle bat la crème pour gonfler le déficit de l’AI au point d’en faire un zeppelin et de nous annoncer que l’AVS va s’écraser comme le Hindenburg en 1937. L’hélium de l’UDC et de la droite a deux composants chimiquement purs.

Le premier, la courbe croissante trompeuse, calculée en pour-cent, des «causes d’invalidité d’origine psychique»: le taux passe de 30 % du total en 1999 à 39 % en 2007, sans explications causales effectives données. Cela ouvre grande la porte à la campagne sur les «abus», relayée par le Blick et le Matin.

La présentation des «abus» est habile. Un «cas» de «rentier AI» qui se bronze en Thaïlande suscite, à la fois, le rejet et l’envie, non avouée, donc une répudiation encore plus forte.

Puis, les allusions aux «profiteurs turcs et ex-yougoslaves» sont diffusées avec autorité par le directeur de l’AI, comme il le fait dans son entretien avec l’Aargauer Zeitung (10 août 2009). Le glissement sémantique et géographique peut alors continuer. Des études, statistiquement «robustes», vont démontrer que les Appenzellois ne trompent pas l’AI. Par contre, les Fribourgeois et les Valaisans escroquent cette institution sociale.Quelques xénophobes devraient réfléchir avant de tomber dans le piège tendu par Alard du Bois-Reymond ou par la propagande type UDC.

La diffusion trompeuse d’une mise en cause des finances de l’AVS par les «profiteurs de l’AI» permet de dégager un socle de votant·e·s en faveur de la destruction, de facto, de l’AI. Nous n’aborderons pas ici la gestion des actifs (actions et autres) de l’AVS par Ulrich Grete, car Ospel et l’UBS ainsi que le CS et d’autres institutions financières ont certainement beaucoup plus profité que les rentiers et futurs rentiers AVS de cette impéritie, quasi pilotée de «loin», ou plutôt de «près».

Le but ultime est de maintenir une pression constante pour assurer un rythme soutenu aux contre-réformes, car sur le fond il y a un consensus plus qu’helvétique en la matière.

«Lève-toi et marche !»: Jésus du Bois-Reymond

Pour terminer, il est utile d’examiner la logique exposée par les divers responsables du gouvernement, avec le soutien d’Avenir Suisse, d’economiesuisse et de l’Union patronale.

La 5e révision de l’AI plaçait au centre de ses préoccupations la détection précoce, tout cela enrobé de bonnes intentions… celles qui pavent l’enfer des autres.

Un motif était exposé: il ne faut pas laisser une personne «sortir du marché du travail», il faut la réadapter avant, pour lui trouver un emploi adapté, quitte à faire un peu pression.

En effet, suivant cette logique – d’apparence compassionnelle –, les personnes reconnues invalides par l’AI, après un parcours du combattant, le sont car elles n’ont pas été détectées suffisamment tôt. Or, une fois à l’AI, constat était fait, par les experts favorables à la 5e révision, que le retour au travail était des plus aléatoire.

Pourtant, cette constatation pas encore fanée ne suscite aucune préoccupation chez les mêmes experts – et leurs employeurs et mécènes – qui affirment, aujourd’hui, que des personnes souffrant de douleurs musculaires chroniques ou de troubles psychiques et ayant été bénéficiaires, à juste titre, des rentes AI durant des années devront et pourront s’adapter à un potentiel emploi rémunéré, car leurs rentes ont soit été drastiquement réduites, soit supprimées.

Le vice-directeur de l’OFAS et responsable de l’AI, reniflant cette difficulté, se veut rassurant. Dans la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), en date du 17 juillet 2009, Alard du Bois-Reymond affirme: «Il ne s’agit pas avant tout du groupe des personnes âgées de 55 ans, qui reçoivent une rente depuis dix ans et n’ont presque plus de chance (sic) sur le marché du travail. Nous voyons, par exemple, un potentiel pour une réintégration auprès d’une personne âgée de 25 ans qui touche une rente depuis trois ans.»

Le vice-directeur de l’OFAS ne nous commente pas l’avenir qu’il envisage et prépare, avec la 6e révision, pour celles et ceux âgés de 30 à 49 ans. Or, femmes et hommes compris, ils sont au nombre de 91’000 sur un total de 252’000, en janvier 2008 (Statistique de l’AI 2008, p.15, bénéficiaires de rentes en Suisse).

En dessous de 30 ans, la statistique en dénombre 17’000. Parmi eux, un certain nombre souffre «d’infirmité congénitale». Ces chiffres prennent tout leur sens social lorsque l’on a l’esprit l’objectif officiel de réduction des rentes entières à hauteur de 12’500, ce qui touche un nombre proche de 15’000 personnes.

Même avec un boulier, le vice-directeur de l’OFAS doit se rendre à l’évidence qu’il faudra «puiser» dans le stock des rentiers ayant plus de 30 ans pour atteindre l’objectif de cette première étape.

Ces choix participent, indirectement, à la création d’un volant de travailleurs et travailleuses disponibles pour des travaux sous-rémunérés, qui se multiplient avec la sous-traitance et les emplois temporaires.

Et très souvent, ces personnes devront avoir recours à l’assistance sociale. Cette dernière dépend des ressources des communes qui sont, souvent, dans une situation financière difficile, en particulier celles dont la population est socialement la plus discriminée et donc proportionnellement plus susceptible d’être frappée par un handicap.

L’embrouille d’un calcul, avec les 67 ans au bout

Dans le Rapport dit explicatif sur le premier train de la 6e révision de l’AI, le Conseil fédéral propose de nouvelles bases de calcul afin de déterminer la part future des recettes à charge future de la Confédération.

Comme indiqué ci-dessus, actuellement, cette participation aux recettes est fixée à hauteur de 37,7 % des dépenses. Le CF propose que, dans l’avenir, l’évolution de cette participation s’effectue sur le mode de l’indexation en vigueur pour les rentes AVS et AI. Autrement dit: adopter la méthode de l’indice mixte, soit la moyenne (50 %-50 %) de l’évolution des prix à la consommation et de celle des salaires. Le choix de cette méthode est dicté par la volonté politique de déconnecter la participation de la Confédération au financement de l’AI de l’évolution des dépenses de cette dernière.

Examinons de plus près le mécanisme tordu proposé par les «Sept Sages». En date du 17 juin 2009, l’OFAS écrit pour la presse: «Le mécanisme de financement de l’AI doit être remanié afin que chaque franc économisé se retrouve effectivement dans les caisses de celle-ci. Aujourd’hui, la contribution de la Confédération à l’AI est définie comme étant égale à 38 % [en fait, 37,7 %] des dépenses de celle-ci. Autrement dit, lorsque l’AI économise 100 francs, seuls 62 francs lui sont crédités, les 38 francs restants soulageant les caisses de la Confédération. Désormais, la contribution de cette dernière doit être définie de manière à ne plus suivre automatiquement les dépenses de l’AI mais le cours de l’économie [allusion à l’évolution des salaires et de l’indice des prix]. L’avantage de ce nouveau fonctionnement est que l’activité de l’AI se répercutera de manière directe et transparente sur ses comptes. Economie annuelle à partir de 2018 [fin du financement par la TVA additionnelle]: 230 millions.» Décryptons ce message:

Ne «plus suivre automatiquement les dépenses de l’AI» ne signifie rien d’autre que déconnecter les dépenses de l’AI des recettes, donc du nombre de bénéficiaires de rente et du taux des rentes.

A propos de l’économie mentionnée, à titre d’exemple, de 100 francs, les 62 francs crédités à l’AI et les 38 francs qui «soulagent les caisses de la Confédérations» ne font sens que si le nombre de bénéficiaires n’augmente pas – plus exactement diminue – et le taux des rentes est révisé tendanciellement à la baisse.

Or, les conditions socio-économiques générales, qui ne sont pas d’ordre strictement conjoncturel, font que les baisses envisagées de rentes allouées – même selon les critères adoptés et ceux proposés pour le futur – risquent de n’être pas à la hauteur des espérances, pour reprendre la formule de l’ISSA. Certes, la radicalité helvétique de l’austérité en la matière peut être couronnée de succès qui seront enviés par d’autres gouvernements réactionnaires.

Mais deux «obstacles» se dressent sur cette pente conduisant à la réduction du nombre de bénéficiaires. Le premier: le passage à 65 ans pour l’âge donnant droit à la retraite pour les femmes – tel qu’il a été adopté par les deux chambres (Conseil national et Conseil des Etats) dans le cadre de la 11e révision de l’AVS nouvelle mouture – débouchera nécessairement sur une augmentation du nombre de bénéficiaires, puisqu’il faudra servir des rentes AI jusqu’à 65 ans aussi pour les femmes.

Le deuxième: la programmation, martelée de manière continue, de l’élévation de l’âge donnant droit à la retraite à 67 ans pour les hommes et les femmes participera de même à l’augmentation du nombre de rentes AI servies.

Or, la part de la Confédération, à partir du mécanisme proposé – impliquant la déconnexion des recettes du nombre de rentes – ne sera pas augmentée contrairement à la règle encore en vigueur pour la Confédération.

Parmi les propositions du Conseil fédéral ayant trait à la 11e révision de l’AVS, l’hypothèse d’un seuil inférieur à 45 % des dépenses annuelles (le Fonds de compensation dont la norme proposée encore dans la deuxième version de la 11e révision veut qu’il couvre 70 % des dépenses annuelles) aboutirait à la non-indexation des rentes AVS et AI. Le Conseil national, en première lecture, a rejeté cette proposition. Par contre, le Conseil des Etats l’a avalisée. Un changement de position du Conseil national est des plus probable.

Dès lors, un chantage se profile à l’horizon, selon une bonne vieille recette: soit «les 67 ans» sont acceptés pour toucher l’AVS, soit les rentes seront réduites. Dès lors, la perspective d’une augmentation du nombre de rentes AI, par la fixation à 67 ans de l’âge donnant droit à retraite, ne relève pas d’une spéculation. Dans ce domaine, disposer d’une analyse sur le moyen terme est une nécessité impérative pour décider des pas immédiats. Par exemple, la position à adopter le 27 septembre en s’opposant à la proposition du Conseil fédéral. (19 août 2009)

——–

1. Le «Oui en se bouchant le nez» du POP-PDT – membre de la coalition «A gauche toute» avec solidaritéS – est traditionnel. En cette année 2009, il serait bon de se rappeler que ce même POP-PDT a soutenu, plus d’une fois avec la même formule à odeur stalinienne, la répression policière et militaire de la révolte au Tibet en mars 1959, une révolte qui certes n’était pas conduite par des forces émancipatrices, mais qui ne justifiait en rien une répression (qui a aussi été appuyée, de facto, par des forces se réclamant de l’anti-stalinisme); que ce même PDT-POP se range, la même année, du côté de l’URSS dans le début du conflit inter-pouvoir-bureaucratique entre la Chine et l’URSS; qu’en mars 1969, le POP-PDT appuie l’URSS de Brejnev dans le conflit entre «grandes puissance» qui oppose l’URSS et la Chine (affrontement sur l’Oussouri). Inutile de continuer. Est-ce en «se bouchant le nez» que Josef Zisyadis, le seul élu de «A gauche toute», a voté en faveur d’Eveline Widmer-Schlumpf qui mène une politique quasi plus sévère contre les migrants que Blocher, sans insister sur les autres domaines où s’exerce son hyperconservatisme de conviction.

2. Cahier La brèche, N° 2, LAI et LAA: révision ou négation ? B. Bovay, C.-A. Udry et D. Lopreno, 197 p., mai 2007.

3. Conseil fédéral, Assurance invalidité, 6ème révision de l’AI, premier train (sic !) de mesures. Rapport explicatif, 17 juin 2009, 109 pages, plus projet de loi fédérale.

4. «L’invalidité pour cause de troubles mentaux chez le personnel du réseau de la santé et des services sociaux», Santé et services sociaux, Direction du personnel, Québec, 2005.

5. Sur les mesures de détection précoces voir Cahier La brèche, op. cité, pp. 52-59.

6. Voir Cahier La brèche, op. cité, p.74 et ss.

——– 

Encadré

Pas de problème de financement

Dans le débat concernant «le financement additionnel de l’AI», soumis au vote le 27 septembre 2009, les affirmations «chiffrées» sur le déficit de l’AI rempliront les étagères de la boutique politique de farces et attrapes.

La tradition est bien établie. Par exemple, depuis plus de deux décennies, on ne cesse d’annoncer des déficits catastrophiques du budget fédéral. Puis, avec un visage angélique, le ministre des Finances révèle la «bonne surprise» de l’année: «Les comptes fédéraux restent dans le noir.» Effectivement, en Suisse, fiscalité et budget sont brumeux.

Le déficit cumulé de l’AI est aujourd’hui  estimé à quelque 13 milliards de francs. Et le déficit annuel est estimé à 1,4 milliard. Nous avons déjà indiqué ci-dessus qu’une hausse légère de «la cotisation des salariés et des employeurs» permettrait de sortir des chiffres rouges. Divers commentaires sont émis à propos du financement de l’AI. Certains méritent quelques remarques.

L’ancien directeur du secrétariat de la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ), Yves Rossier,  bras droit de Couchepin, affirme tout de go que ce déficit est le produit, entre autres, de «50 ans de sous-financement» (Le Temps, 18 août 2009). Pour expliquer ce qui devrait être considéré comme une bévue, notre spécialiste des probabilités – puisque croupier en chef des casinos – invoque le «fatalisme». Toute personne ayant une connaissance approximative des dites assurances sociales en Suisse  sait que le sous-financement est une donnée cardinale de la politique de la Confédération en la matière. La ponction sur la plus-value a toujours été réduite au maximum. Le seul «acteur économique» qui depuis fort longtemps est assisté pour faire face à tout ce qui handicapera la production de la plus-value et son appropriation privée est le Capital en général et sous sa forme concrète de capitaux particuliers: grandes firmes, holdings, etc.

Selon Yves Rossier, le déficit, «héritage du passé», est aussi dû à «la combinaison… d’augmentation des dépenses et d’attentes grandissantes de la société». Voilà un fin mathématicien: le sous-financement plus l’augmentation des dépenses induisent le déficit. Une trouvaille !

Toutefois, sous cette assertion aux allures béotiennes, se dissimule une vipère. En effet, l’augmentation des dépenses est liée non pas à une vague «attente d’une société» qui voudrait toujours plus de sécurité – à l’image des très hauts fonctionnaires de la Confédération ? – mais aux effets du durcissement des conditions de travail et de vie au cours des vingt dernières années. Ce que reconnaissent d’ailleurs quelques spécialistes honnêtes de la santé publique que nous avons cités dans cette contribution. Le professeur d’économie Bruno S. Frey de l’Université de Zurich ne déclare-t-il pas: «Le Suisse travaille encore toujours énormément, l’Américain absolument trop.» (HandelsZeitung, 19-25 août 2009, p.10)

En outre, toute politique de prévention implique la capacité de reconnaître l’émergence de handicaps, ainsi que leur existence. Et la «société» devrait être capable, d’une part, de saisir les origines effectives de ces handicaps comme de ces souffrances et, d’autre part, de proposer un éventail de solutions qui placent au centre le bien-être de la personne frappée par un tel désavantage.

Cela impliquerait la mise en place d’un éventail de mesures variables intégrant: la rente, des appuis divers pouvant permettre de faire face à ce handicap et, parfois, de le surmonter, ainsi que des «travaux d’utilité» – pour la personne, pour sa socialisation et pour la société – qui impliquent que la personne ne soit pas placée sous la contrainte d’une rentabilité exigée par le capital privé. Sur une telle base peut s’élaborer un projet de «réinsertion», pour utiliser le terme officiel.

Voilà ce que l’on serait en droit d’attendre d’une société où l’individu ne serait pas une «ressource humaine» devant coûter le moins possible aux employeurs et pour faire «prospérer l’économie» pour le «bien de tous» et plus spécifiquement pour les «bien d’une minorité» qui «commande le monde» en vivant dans une sorte d’extériorité à ce monde, comme le démontre la crise présente de manière emblématique.

Subventionner le patronat au nom de son prétendu rôle social, voilà une partie de la solution que nous proposent l’OFAS et le Conseil fédéral [1].

Or, toute analyse un tant soit peu décente est contrainte de reconnaître que la réorganisation productiviste des entreprises – dans l’industrie, la construction ou les «services», privés ou publics – a réduit à l’extrême l’espace pouvant être occupé par les personnes souffrant d’un handicap. Cela à condition de ne pas vouloir (explicitement ou implicitement) accroître leur souffrance ou simplement aboutir à déplacer les modalités d’expression de leurs souffrances.

Roland A. Müller de l’Union patronale suisse admet d’ailleurs cette situation de fait. Dans un article consacré au vote sur l’AI du 27 septembre 2009 (HandelsZeitung,19-25 août 2009, p.11), Müller souligne que, même dans des activités réputées s’intégrer aux services, la digitalisation des archives a transformé le travail d’archivage. Il conclut: «Ce dernier était, auparavant, très souvent effectué par des personnes souffrant de handicaps.» Un contremaître ou un chef d’atelier sait très bien qu’un ouvrier de 58 ans, usé, ne se verra plus jamais proposer – comme par le passé – un poste dans un dépôt d’une entreprise de construction ou dans un magasin de pièces détachées, du moins dans des conditions de travail pas trop contraignantes.

Les «patrons AI-compatibles» et prêts à «participer à l’effort national» se faisant dès lors rares, les associations d’employeurs réclament avec force une réduction du nombre d’allocataires de rentes.

En termes financiers, Yves Rossier, afin de démontrer la détermination de ses services, trompette: «Depuis 2008, on a pu économiser environ un milliard de francs.» Dans la foulée, le fier Y. Rossier souligne aussi combien les tribunaux, quasi touchés par une grâce divine et peut-être sous influence, ont effectué avec promptitude un remarquable cul par-dessus tête: «Durant des années, un tiers des rentes étaient accordées par des tribunaux sur recours des décisions d’offices AI. On entendait dire que l’AI était trop laxiste et les tribunaux la jugeaient trop restrictive ! Aujourd’hui dans neuf cas sur dix, les tribunaux confirment les décisions des offices.» (La Liberté, 19 août 2009)

Cela obtenu, ces organisations d’employeurs voulaient encore s’assurer que toute augmentation des cotisations, appelées «charges salariales», soit écartée. C’est ce qu’a dicté aux autorités economiesuisse avant de soutenir publiquement la proposition du Conseil fédéral: il faut «écarter définitivement [sic] une augmentation des charges salariales» (Le Temps, 19 août 2009).

Par contre, un appui des «pouvoirs publics» aux petites et moyennes entreprises doit être apporté afin de créer une motivation à l’engagement d’allocataires de l’AI ou de personnes «détectées de manière précoce». Cet appui doit être d’ordre financier et  pris au sérieux. Car, on le sait, les difficultés de la «réinsertion» sont grandes. Ce qu’enregistre Hans-Ulrich Bigler, directeur de l’USAM (Union suisse des arts et métiers), et qui le conduit à émettre les exigences suivantes:

• une période d’essai de six mois payée par l’AI, autrement dit la possibilité d’accaparer 100% de la plus-value et de mettre à contribution les salarié·e·s cotisant et autres salarié·e·s contribuables pour financer cette «période d’essai» qui pourra être répétée avec un autre candidat, jusqu’à ce que la «perle rare» soit trouvée;

• une exigence qui s’accorde avec la pratique des stages quasi non rémunérés des étudiants et jeunes sortant d’études et à la recherche d’un emploi; autrement dit la «réinsertion» sert ici de poisson pilote – «socialement légitimé» – à une pratique inacceptable de première insertion de jeunes dans un «marché du travail» précarisé;

• la Confédération devra aussi subvenir aux dépenses liées au 2e pilier et à l’assurance accident; il «faut tout prévoir» pour que l’employeur qui assume le handicap de la «réinsertion» soit aidé de manière efficace;

• pour couronner le tout, Bigler réclame que dans la Constitution soit inscrite, au plus vite, une clause de «frein à l’endettement» pour tout ce qui a trait au social; l’attaque contre d’autres facettes du salaire social (AVS, accidents, etc.) doit être gravée dans le marbre de la Constitution.

Afin d’exercer diverses pressions dirigées sur d’autres cibles (système fiscal, entre autres) et donner l’impression d’un vote dont l’objectif réel ne serait même pas l’AI, mais la survie de l’AVS, les diverses organisations d’employeurs ont exigé que l’augmentation du taux usuel de la TVA soit introduite en janvier 2011 et soit temporaire, c’est-à-dire prenne fin en 2017. Cela mérite quelques remarques.

• Le recul d’un an – en janvier 2011 et non pas en janvier 2010 – de l’entrée en vigueur de la hausse du taux usuel de la TVA de 0,4%, ainsi que de 0,1% sur les biens de première nécessité et de 0,2% pour le secteur de l’hôtellerie, est justifié pour des «raisons conjoncturelles»: ne pas affaiblir la demande des consommateurs au cours d’une année  (2010) où s’exerceront encore les effets de la récession en cours.

• En réalité, l’affaire est assez différente. Tout d’abord, le report d’un an de ce «financement additionnel» va accroître, durant quinze mois, la pression en faveur de la «réduction du nombre de rentes». Ensuite, si la demande intérieure (consommation des ménages) doit être soutenue, il y a un moyen simple de l’appuyer : ne pas baisser les salaires.

Or, comme le titre, en pages deux et trois, l’hebdomadaire Sonntag.ch du 16 août 2009: «Toujours plus de firmes suisses réduisent les salaires de leurs collaborateurs». Après divers cas cités en exemple, l’article offre un défilé d’opinions patronales. Il s’étale de Hans-Ulrich Bigler de l’USAM à Peter Spühler (Stadler Rail et conseiller national UDC), en passant par Johann Schneider-Ammann (conseiller national radical de Berne, président de Ammann Group et membre du conseil d’administration de Swatch Group). Il y a ceux qui préfèrent licencier plutôt que de réduire les salaires, d’autres qui inclinent plutôt à réduire les salaires que de licencier, et d’autre prêts, en Winkelried de la «compétivité», à utiliser l’un ou l’autre suivant la situation. Il ne faudrait pas oublier les «congés contraints non payés», comme le suggère le patron d’Adecco suisse, Michel Agoras.

• Les études menées sur la TVA en France – pays où elle a été inventée en 1954 afin de ne toucher que le consommateur final (soit les salariés qui forment l’essentiel des consommateurs) et non pas le consommateur intermédiaire (les entreprises) – démontrent que les différences de taux entre les biens de première nécessité et les biens frappés par le taux usuel (ici, la hausse de 0,4%) sont trompeuses.

En effet, la structure des budgets de la majorité des salarié·e·s intègre, actuellement, de nombreux produits socialement considérés comme de première nécessité, mais taxés à un taux plus élevé: tel un téléphone portable ou un appareil électronique, une TV, la voiture pour se rendre au travail, etc.

Donc, les ménages ayant des revenus faibles sont encore plus fortement touchés, proportionnellement, que les ménages disposant de revenus élevés et pouvant épargner une part de leurs revenus.

A cela s’ajoute la répétitivité des achats des biens alimentaires de première nécessité dont les prix ne connaissent pas la contraction ou la stagnation propre à ceux des produits électroniques d’usage courant, baisse ou stagnation des prix que suscite la surproduction mondiale dans ces secteurs. Donc la hausse de la TVA est de plus en plus socialement injuste.

• Ce qui se profile depuis des années est simple à énoncer: supprimer l’impôt  fédéral direct (IFP) et le remplacer par la TVA. Une mutation du système fiscal qui doit maintenir l’attractivité de la «place financière suisse» dont le représentant direct, le Conseil fédéral, vient de passer un accord avec l’administration fiscale (IRS) des Etats-Unis (l’IRS), accord qui doit «boucher le trou» foré par l’UBS par lequel quelques milliards de francs se sont écoulés pour se retrouver dans les caisses de banques américaines concurrentes.

Avec l’opération «financement additionnel de l’AI» durant 7 ans se met donc en place une «légitimation sociale» de la TVA. Cela permettra de l’aligner vers le haut, puis de proposer l’extinction de l’IFP et l’épanouissement de la TVA. Une raison supplémentaire de ne pas tomber dans le piège du Conseil fédéral et de ses deux propagandistes du moment: Couchepin et Rossier.

Pour terminer, on nous posera la question: mais la dette de 14 milliards, comment y faire face ? Cela d’autant plus que le calendrier du Conseil fédéral s’articule de la façon suivante: depuis 2010 deuxième étape de l’assainissement de l’AI (5e révision et dès 2015 effets pleins de la 6e révision) devant aboutir d’abord à dégager un léger surplus (en 2014), puis un équilibre des comptes en 2019 [2], en francs constants 2009.

L’AI sera alors séparée de l’AVS et subira de plein fouet toutes les mesures visant à la «resserrer». Plus simplement à en faire tout, sauf une assurance. Avec la culpabilisation et le déshonneur social qui y seront dès lors attachés. Ce qui permettra aux Rossier and Co de se réjouir du «nombre de demandes de résinsertion» (La Liberté, 19 août 2009).

Une proposition assez simple pourrait être avancée par l’USS et le PSS. Elle puise dans l’arsenal de l’UMP (Union pour un Mouvement populaire) française de Sarkozy, ce qui ne devrait pas effrayer ces sociaux-libéraux prêts à défourailler contre les anciens dirigeants de l’UBS, les Ospel et Kurer.

A l’occasion du débat sur les finances au Sénat français, le quotidien économique Les Echos du 25 juin 2009 et Le Figaro du 30 juin 2009 mirent en évidence que le président de la Commission des finances du Sénat, Philippe Marini, et l’ingénieur en chef des Mines, le sénateur Hervé Mariton, avaient lancé l’idée d’un emprunt obligataire obligatoire pour la «quatrième tranche imposable à l’IR (impôt sur le revenu)», soit les «riches». Comme le faisaient remarquer ces deux sénateurs, c’est une mesure temporaire et donc plus efficace qu’une hausse de la fiscalité.

Dans ce sillage, faisons une suggestion au PSS, à l’USS et à d’autres. Pourquoi ne pas exiger un emprunt obligataire obligatoire avec échéance fixée à 2020 (émission septembre 2010). Il porterait sur 0,17% de total des contribuables en Suisse qui déclarent une fortune – nous disons bien qui déclarent – supérieure à 10 millions. Il serait même possible d’indiquer: obligatoire sur la tranche supérieure à 10 millions.

La dernière statistique à disposition, celle offerte en 2008 par l’Administration fédérale des contributions et portant sur l’année 2005 [3], nous donne les renseignements suivants: le total de la fortune de cette tranche de contribuables est estimé, sur la base des déclarations fiscales, à 260 milliards (plus exactement 259’882’900’000).

De 2005 à fin 2007, cette fortune a considérablement augmenté. Il est raisonnable de penser que «même bien gérée» – soyons compassionnels –  cette fortune ait perdu au maximum 40% des gains obtenus sur la période 2005-2007. Cette fortune serait, en date du 15 août 2009, suite au rally des derniers mois, supérieure à celle déclarée en fin décembre 2005.

Or, toutes les analyses sérieuses sur la répartition de la fortune dans les pays «développés» et «libéraux» démontrent que c’est précisément le 0,1% à 0,2% des grandes fortunes qui ont accumulé, proportionnellement, la plus importante part de la richesse produite par le travail salarié à l’échelle mondiale, durant les deux dernières décennies.

Pour ne pas avoir un «effet confiscatoire» cet emprunt obligataire obligatoire – mais sûr et conservatoire – à hauteur de 13 milliards (moins de 5% de la fortune déclarée en 2008) pourrait être rémunéré au taux libor (London interbank offered rate, taux de référemce du marché monétaire, ici pour le CHF) à trois mois (0,35% actuellement). Parions que le coût du remboursement (principal et intérêts) de la dette de l’AI sera nettement inférieur au montant des seuls intérêts actuels qui s’élève, lui, à 360 millions. Pour les intérêts, ils avoisineraient les 45,5 millions, actuellement. Le PSS et l’USS oseront-ils aller aussi «loin» que les sénateurs de l’UMP ? On le verra.

——–

1. Voir à ce sujet le Cahier La brèche N° 2, chapitre 7, p.145 et ss.

2. Voir Neue Zürcher Zeitung, 15-16 août 2009, p.13.

3. Statistique de la fortune des personnes physiques pour l’ensemble de la Suisse, 2005. Berne 2008, Division Etudes et supports.

 ——–

Encadré

Débauche détective abusive

Selon Yves Rossier, directeur de l’Office fédéral des assurances sociales, l’Assurance-invalidité (AI) porte «la responsabilité directe dans le fait qu’elle a trop négligé la lutte contre l’escroquerie à l’assurance» (La Liberté, 19 août 2009).

La revue de l’OFAS, Sécurité sociale, consacrée à «L’assurance-invalidité. Lutte contre la fraude» (mai-juin 2009), affirme dans l’article titré «Lutte contre la fraude dans l’AI: état des lieux» (p.168 et ss): «Dans la plupart des pays industrialisés, le taux de fraude envers les compagnies d’assurances est estimé à 10 %. Ce taux est supérieur dans l’assurance de choses, mais nettement plus bas dans l’assurance des personnes.»

Ralf Kocher (OFAS) et Ralph Leuenberger (OFAS) certifient que «l’AI n’a pas réinventé la gestion de la fraude, vu que les assureurs privés ont déjà de nombreuses années d’expérience dans ce domaine». Voilà donc un poids qui n’a plus à être placé sous la selle de la course avec handicap à laquelle participe l’AI contre la fraude. Les méthodes sont offertes, gratuitement, par les assurances privées dont chaque citoyen et citoyenne connaît la magnanimité en cas de «demande de remboursement».

L’aide à la lutte contre la fraude de la part des assurances privées est certes utile, bien que le «taux de fraude» pour l’AI soit inférieur à 1 %, ce qui confirme la déclaration liminaire citée ci-dessus.

Ce 1 % est établi à partir «d’une vingtaine d’indicateurs de risque». Parmi eux on trouve «le changement trop fréquent de médecins», une «anamnèse médicale contradictoire» – ce qui, semble-t-il, ne devrait pas exister dans la pratique médicale; on croit être plongé dans le monde de la machine à certitudes construite par un régime «totalitaire» –, ou encore «le contexte migratoire» (est-ce clair du côté de l’UDC ?).

Puis les auteurs nous prennent par la main et nous expliquent: «Durant les six mois qui ont suivi l’introduction de la nouvelle stratégie de lutte contre la fraude, 1400 dossiers suspects ont été repérés et transmis aux spécialistes en la matière pour un examen et une enquête plus approfondis. Dans les offices AI, 380 cas ont déjà été liquidés. Les soupçons, infirmés dans 300 cas, ont été confirmés dans 80, ce qui a entraîné la suspension de la rente.»

Ces chiffres démontrent combien la suspicion, la méfiance est devenue impérative en quelques mois. Les quatre cinquièmes des fraudeurs «ont été confondus… par des méthodes d’enquête moins radicales» que celles utilisées pour le cinquième restant !

Pour saisir l’enjeu de cette chasse aux fraudeurs, il faut avoir à l’esprit que c’est en suivant les lignes d’action de cette guerre anti-fraude – concernant 1 % des rentiers – que va être rendue plus robuste la machinerie à rejet des demandes AI. L’AI veut introduire une politique du «zéro défaut» dans sa gestion de la fraude.

Or, cela pose un problème assez élémentaire dans le domaine de la statistique. Statistiquement, un test – donc ici l’application de la batterie des «indicateurs de risque» – est considéré comme positif s’il détecte ce pourquoi il a été conçu. Il est négatif s’il ne le détecte pas. Suivant la cible du test, sa conception et les exigences qu’on lui impute, on peut aboutir à des faux-positifs, dit autrement positifs à tort, ou à des faux-négatifs, tests négatifs à tort.

En voulant que «personne ne puisse frauder», il est inévitable – d’autant plus étant donné l’éventail des critères du test et leur construction finalisée à des objectifs fortement biaisés idéologiquement et administrativement – que l’on aboutisse à une situation où la diminution du taux de faux-positifs impliquera l’augmentation de faux-négatifs. C’est-à-dire des personnes qui seront détectées comme des «fraudeurs» alors qu’ils ne le sont pas, au même titre où un anti-spam va interpréter des courriers électroniques légitimes comme des spams.

Le fonctionnement de cet engin impitoyable sera validé par les résultats financiers proclamés sans qu’en soient déduits les coûts comptables de l’opération de détection elle-même ! Selon l’OFAS, les «économies» – brutes donc – sont à hauteur de 1,5 million pour les 80 rentes supprimées. Combien cela a-t-il coûté ? Quelques médecins du travail, disposant de droits effectifs, ne rapporteraient-ils pas plus ? Pour rester sur ce terrain étriqué de caissier ?

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*