En souvenir et en hommage à Alain Krivine

Par Charles Michaloux

Alain a eu une vie belle et bien remplie. Pas plus que d’autres il n’était protégé contre les défaites, les revers, les déceptions, les illusions déçues. Il savait les reconnaître et les conjurer, souvent avec un humour acéré. Mais aussi, il savourait les victoires (et il y en eut!) pour alimenter sa machine personnelle à espérer, à convaincre et à se battre.

Sur tous les terrains depuis sa prime jeunesse, il militait infatigablement pour que la conviction révolutionnaire éprouvée qui était la sienne rencontre la réalité des transformations et des secousses de la société. Il était donc de tous les combats, avec une présence modeste qui forçait le respect. Tout le contraire d’un dogmatique en somme. Sa personnalité était balisée par une impressionnante fidélité et indéfectible constance, en même temps que par une ouverture d’esprit jamais en défaut et un intérêt inlassable pour ce qui était nouveau et prometteur.

Solidité de roc et flair de parfumeur, cela le caractérisait bien: les mots le faisaient sourire, mais il savait que c’était notre marque de respect et d’amitié.

Son parcours politique, sur plus de soixante années, épouse tous les grands événements politiques et sociaux après la Seconde Guerre mondiale, en France comme à l’international. Et toujours, avec le fil rouge conducteur d’une volonté de construire l’instrument nécessaire pour changer le monde, avec une même détermination de l’Opposition de gauche dans l’Union des étudiants communistes à la JCR, la LC, la LCR, finalement le NPA et toujours la IVe Internationale.

Mon souvenir d’Alain est émaillé de tant de beaux moments, qu’ils font vite oublier les autres marqués par la difficulté.

J’ai rencontré Alain pour la première fois en 1965. J’étais en terminale au lycée Voltaire; il était mon prof. d’histoire. A l’époque j’étais à la JC (les jeunesses communistes du PCF) et lui opposant au PCF et à l’UEC (Union des étudiants communiste). Un jour après le cours il m’invite à rester. Il me demande alors: «êtes-vous communiste?». Jeune et fier, je réponds: «oui, ça vous dérange?». Il me proposa de discuter et de là date mon engagement à ses côtés et notre amitié, jamais démentie par les désaccords et les différences dans la dernière période.

Mon souvenir lumineux commence par là. Il se conclut hélas par l’image d’un homme souffrant et diminué qui ne ressemblait plus à ce roc au flair de parfumeur.

La douleur de le perdre s’ajoute pour moi à d’autres que symbolise cette photo prise lors du rassemblement organisé par la Ligue pour célébrer le centenaire de la Commune au printemps 1971, dans le sillage de Mai 68, sur la crête de mobilisations internationales de grande ampleur. Sur cette photo se trouvent Henri Weber (qui a pris plus tard ses distances politiques en se mettant dans la roue du PS, mais qui n’a jamais dénié ses vieilles amitiés), Daniel Bensaïd (le complice et l’inspirateur de toujours), Gérard Verbizier [en partie caché par le bras levé d’Henri Weber] (la conscience internationaliste de la grande famille), Alain Krivine naturellement et moi-même. Ils sont tous disparus et ils me manquent avec notre folle espérance. (13 mars 2022)

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