Tirs croisés sur la Maison-Blanche

Martin E. Dempsey, chef des armées US, Phillip M. Breedlove,  commandant suprême des forces alliées en Europe, Mark Welsh III, commandant de l'US Air Force en Europe (de g. à d.)
Martin E. Dempsey, chef des armées US, Phillip M. Breedlove, commandant suprême des forces alliées en Europe, Mark Welsh III, commandant de l’US Air Force en Europe (de g. à d.)

Par Claude Angeli

Depuis deux mois, les généraux américains et plusieurs hauts fonctionnaires du Pentagone ne cessent de revendiquer des moyens supplémentaires pour remplir leurs missions. Et, pas à pas, Barack Obama, mis ainsi sous pression, s’engage davantage dans une guerre qu’il espérait tant éviter.

Les raids aériens, déclenchés le 8 août, ne permettent pas d’en finir avec l’Etat islamique ? La Maison-Blanche accepte la proposition du Pentagone et dépêche 1600 conseillers auprès des forces irakiennes et kurdes. Préparer ces hommes à devenir de bons guerriers ne peut suffire ? Obama décide que les instructeurs américains pourront accompagner leurs «élèves» en première ligne et participer aux combats. Puis, comme ses chefs de guerre ne sont toujours pas satisfaits, le Président double le nombre de ces conseillers. En attendant un nouveau «toujours plus», car la partie est loin d’être terminée.

«Les généraux américains sortent de leur rôle et veulent pousser Obama à accepter enfin cette guerre», constate un diplomate français. Parmi ces militaires très éloquents : les généraux Dempsey, chef d’état-major, Odierno, patron de l’armée de terre, Funk, installé à Bagdad, Lloyd, chef de la coalition en Irak. En privé, lors des réunions au Pentagone, voire devant les commissions parlementaires, ces grands chefs ne prennent pas de gants avec Barack Obama, qu’ils tiennent, selon le même diplomate, pour «un indécis dangereux, dans le meilleur des cas».

Et ces généraux continuent de lui faire la leçon, comme l’ont noté les services français, toujours à l’écoute de ce qui se dit au Pentagone et à la Maison-Blanche. Le 13 novembre, par exemple, les membres de la commission des forces armées de la Chambre des représentants ont eu droit à un exposé «politico-militaire» de Martin Dempsey. Quatre heures durant, le chef d’état-major a fait un exposé de la situation puis a annoncé à ses interlocuteurs qu’il prônait «un engagement direct» des troupes américaines, au côté des unités irakiennes, «dans les combats à venir, qui seront de plus en plus durs». A l’en croire, une présence «exceptionnelle» de militaires US sur le terrain pourrait suffire sans qu’il soit besoin des «150’000 hommes» que les Etats-Unis avaient envoyés en Irak «entre 2003 et 2011». Le patron du Pentagone, Chuck Hagel, était présent et il a écouté – sans mot dire, paraît-il – la description de ce à quoi devait s’attendre Obama, ou son successeur, en Irak.

A Paris, on ne peut qu’assister au spectacle qui se déroule à Washington. Exemple : à l’état-major des armées, certains s’interrogent aujourd’hui sur l ‘importance des effectifs que Barack Obama pourrait un jour être contraint de «déployer» sur le sol irakien. Des milliers ou bien davantage ? Le débat est ouvert.

Feu sur Poutine

Mais les chefs militaires américains jouent aussi à la guéguerre froide. «L’Europe est au centre d’une situation créée par l’esprit revanchard de la Russie.» Cette confidence du général Breedlove, commandant suprême des forces alliées en Europe, est l’un de celles que les attachés militaires français en poste à Washington et à l’Otan ont transmises à Paris.

Ainsi, le 3 novembre, en conversation avec quelques hauts fonctionnaires de l’Otan, à Bruxelles, Breedlove s’en est pris aux récentes décisions de Vladimir Poutine menaçant «la sécurité de l’Europe et les intérêts nationaux vitaux des Etats-Unis». A l’instar de ses collègues, ce brave général estime bien trop mollassons la plupart des membres de l’Otan face au méchant Poutine.

Deux jours plus tard, le 5 novembre, Martin Dempsey, patron des armées américaines, invitait des anciens combattants à New York et leur confiait : «Les Européens ont été trop complaisants pendant vingt ans (…). La Russie joue avec le feu et, une fois l’incendie allumé, ça devient incontrôlable (…). Je suis très inquiet pour l’Europe.» Et d’ajouter que les forces de l’Otan «doivent être suffisamment substantielles pour dissuader une agression russe contre nos alliés».

Si l’on comprend bien les propos distillés par ces grands chefs, les Européens ne sont pas les seuls mollassons de l’histoire, Obama l’est tout autant. Et eux seuls savent ce qui est bon pour la Grande Amérique. (Le Canard enchaîné, 19 novembre 2014)

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