Syrie: une révolution populaire

Par le Mouvement pour
le socialisme

1.- La révolte populaire contre le pouvoir dictatorial du clan Assad en Syrie s’inscrit dans la foulée des soulèvements populaires contre les autocrates Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte. Une date et un fait le rappellent. Ils sont oubliés. Le 31 janvier 2011, six jeunes femmes et hommes ont appelé, sur Facebook, à un rassemblement à Damas de solidarité avec le peuple égyptien. Leurs banderoles demandaient que l’armée ne tire pas sur les manifestants de la place Tahrir. Elles lançaient aussi un cri: «Oui à la liberté!» Quelque 100 personnes se réunirent devant l’ambassade d’Egypte à Damas. Une équipe de TV russe a filmé cette manifestation. Quelle a été la réaction du pouvoir de Bachar el-Assad? Arrêter, maltraiter, torturer les organisateurs et le maximum de manifestants!

La dictature syrienne avait parfaitement compris que la contestation du pouvoir de Moubarak pouvait susciter le même élan en Syrie. Un des organisateurs de cette manifestation, après son arrestation, a pu entrer dans la clandestinité et sortir du pays. Dans un entretien avec Sue Lloyd Roberts de la BBC (17 août 2012), il déclare: «Les Tunisiens s’étaient déjà libérés. Les Egyptiens étaient sur la voie de se libérer. Nous pensions que c’était aussi notre tour d’être libres.» Il rappelle que ses amis étaient sunnites, chrétiens et Kurdes ainsi que Druzes. Il ajoute que le régime a toujours stimulé les conflits interconfessionnels ou ethniques pour mieux assurer son pouvoir, pour coopter une base et distiller des divisions. Ce à quoi le type de guerre menée par le pouvoir peut, partiellement, aboutir.

En février 2011, trois manifestations pacifiques eurent lieu à Damas. Un jeune blogueur est condamné à 5 ans de prison au nom de «liens avec la CIA»! Or, le 6 février 2011, encore, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan saluait les excellentes relations économiques et la collaboration entre les deux régimes; ce qu’avaient fait les gouvernements français ou anglais. Bachar el-Assad ne dérangeait pas, au contraire, les puissances impérialistes et Israël. Le clan Assad ne s’était-il pas engagé, dès 1991, dans la coalition américano-saoudienne pour mener leur guerre du pétrole en Irak contre la dictature de Saddam Hussein? Le 26 mars 2011, le secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon, demandait à Assad plus de «retenue» dans le «maintien de l’ordre». L’hypocrisie institutionnelle des «délégations d’observateurs» de la Ligue arabe, puis de l’ONU, traduit la volonté des puissances dominantes de trouver une solution de changement dans la continuité. Comme a tenté de le faire, le 22 septembre 2012, la réunion à Damas (autorisée par le gouvernement!) d’une opposition voulant négocier le départ d’Assad combiné avec le maintien de l’essentiel des structures du régime, comme au Yémen. De quoi cultiver les illusions et laisser faire Assad.

2.- En mars 2011, la dynamique d’un soulèvement populaire apparaît à Deraa dans le sud du pays. Suite à diverses manifestations, 55 personnes ont déjà été tuées en date du 18 mars 2011 par les «forces de sécurité». L’exemple d’un enfant torturé à mort devient le symbole des méthodes systématiques qu’utilisera – de manière croissante et encore plus terrifiante – cette tyrannie. Elle ne conçoit pas autrement la défense de ses privilèges et de ceux des «élites» économiques et politiques qu’elle nourrit. Le 27 mars 2011, 12 manifestants sont tués à Lattaquié. Dès le 30 mars 2011 – il y a donc 18 mois – Bachar el-Assad affirme, dans un discours, que les multiples manifestations, dans de plus en plus de villes, étaient le fruit «d’une conspiration étrangère». Un refrain qui a sans cesse été repris par des dictatures – aveuglées par leur sentiment de «toute-puissance» – qui font face à un soulèvement populaire.

Or à Deraa comme à Deir ez-Zor ou encore dans la périphérie de Damas, la population subissait, depuis des années, le triple joug: d’une crise sociale, d’une inégalité croissante mêlée à une vaste corruption et d’un pouvoir policier et répressif omniprésent. «L’ouverture économique» (infitah), placée sous les auspices de la Banque mondiale et du FMI, a abouti à une concentration de la richesse (terre, importation, finances, tourisme, pétrole, etc.) entre les mains du clan Assad – incrusté dans l’Etat et son appareil répressif gigantesque – et entre celles d’une couche de «nouveaux riches». Rami Maklouf et sa famille, cousin germain de Bachar el-Assad, symbolise la concentration de cette richesse : 5% des «élites» accaparent 50% du revenu national.

La paupérisation des couches paysannes a été brutale. Leur départ vers la périphérie des grandes villes explique l’adhésion rapide de leur population au soulèvement. Quelque 65% de la population a moins de trente ans. Cette couche a subi de plein fouet les coups des transformations socio-économiques: allant du chômage aux diverses formes de sous-emploi ou de brutale chute dans une paupérisation implacable. La peur allait tomber.

Le soulèvement populaire est donc une riposte à cette situation devenue insupportable et à l’impulsion de conquête des droits démocratiques qui se sont affirmés et s’affirment dans toute la région, malgré de nombreux obstacles. La brutalité épouvantable de la répression – torturer dans les hôpitaux, détruire des quartiers entiers en tuant des familles entières, bombarder des personnes qui attendent devant une boulangerie – a mis crûment en lumière la nature profonde du régime. Les chiffres de plus de 30’000 morts, de plus de 40’000 personnes arrêtées et torturées et de dizaines de milliers de disparu·e·s, de 2 millions de déplacé·e·s internes, de 300’000 réfugié·e·s dans les pays limitrophes arrivent mal à traduire, au-delà de leur amplitude, l’horreur de cette guerre contre la population civile.

3.- Les médias internationaux mettent l’accent sur l’«affrontement militaire». Ils distordent grossièrement la réalité en mettant un signe d’égalité entre une puissante armée – utilisant tanks, hélicoptères, avions, milices criminelles (chabihas) – et des groupes locaux faiblement armés, issus de la révolte populaire. Ils gomment aussi et surtout la permanence de la mobilisation civile, sans laquelle ces groupes liés, à des degrés divers, à l’Armée syrienne libre (ASL) ne pourraient pas agir, ni exister dans une région.

Cet «activisme civil» trouve son expression: dans l’organisation des manifestations du vendredi (qui sont le plus souvent des funérailles); dans les actes de résistance au sein des universités; dans l’aide alimentaire et en logement aux déplacés de l’intérieur; dans l’impression de tracts et la diffusion d’informations sur la Toile; dans l’appui, malgré les ressources restreintes, aux cliniques clandestines; dans la recherche de médicaments suite à leur disparition frappant des dizaines de milliers de personnes souffrant de maladies chroniques.

La répression n’a fait que s’amplifier. Elle a contraint le peuple insurgé à se défendre militairement. D’où l’émergence de l’Armée syrienne libre (ASL), dont la majorité des groupes sont issus des divers Comités de résistance locaux qui ont reçu l’assistance de soldats désertant l’armée officielle. De suite, une partie des «observateurs» – reprenant le discours du régime Assad – a caractérisé des groupes de l’ASL de «forces islamistes». Qu’elles existent, cela ne fait pas de doute. Qu’elles soient encore très marginales c’est aussi un fait. De plus, le nom qu’un «bataillon» peut se donner ne peut être détaché de l’histoire et de la culture d’un pays et donc n’équivaut pas à une adhésion «islamiste». Toute l’histoire des résistances armées, dans divers continents, relève un même processus.

4.- Après des mois de mobilisation pacifique, l’essor d’une résistance armée, nécessaire à la protection des civils, a multiplié la production d’«analyses» sur les «interventions extérieures». Quand un pays comme la Syrie et un régime comme celui du clan Assad sont emportés dans de tels remous – au sein d’une telle région – il est évident que des ex-alliés cherchent à réorganiser leur influence (des Etats-Unis à la France, en passant par l’Arabie saoudite) et d’autres renforcent leur soutien à la dictature pour défendre leurs intérêts propres et pas ceux du peuple syrien.

Une donnée est établie: les seuls intervenants étrangers directs sur le terrain sont: le pouvoir théocratique d’Iran – ce que le général Mohammad Ali Jafari vient de reconnaître – avec un déploiement de forces spécialisées dans l’écrasement de soulèvements populaires; cela avec la complicité du gouvernement Maliki en Irak (Guardian, 16 septembre 2012); le pouvoir du despote Poutine, sans lequel hélicoptères et MIG ne pourraient infliger à la population des bombardements si meurtriers (avec la même «tactique» qu’en Tchétchénie).

Pour le reste, la formule de Rony Brauman, opposé à l’intervention en Libye et animateur de la Fondation de Médecins sans frontières, résume bien la position des pays occidentaux: «aussi bien à Paris qu’à Londres (sans parler de Washington qui a déjà donné sa position) on bénit le veto russo-chinois – tout en le maudissant publiquement – au Conseil de sécurité qui permet d’éviter d’avoir à se confronter à cette situation régionale», caractérisée «d’incontrôlable» (Politis, 13 septembre 2012). Effectivement, rien n’est fait pour que les groupes de l’ASL puissent combattre hélicoptères et avions.

La Turquie a changé de bord. Elle aide, de manière mesurée, des secteurs de la résistance et vient d’ailleurs de fermer ses frontières. Les «anti-impérialistes» qui dénoncent cette intervention turque – et s’alignent de fait sur Assad – taisent que c’est la même fondation turque (l’IHH) qui soutenait la flottille contre le blocus israélien de Gaza en 2010 qui, aujourd’hui, est la plus active auprès des réfugiés syriens!

Des pouvoirs réactionnaires – comme celui d’Arabie saoudite qui a aidé à écraser le soulèvement au Bahreïn ou du Qatar – financent des factions afin de contrecarrer l’influence iranienne. Une aide réduite qui véhicule le sectarisme confessionnel. Ce dernier est dénoncé par les Comité locaux et les représentants les plus autorisés de l’ASL. Ils condamnent d’ailleurs les exactions que peuvent commettre, dans cet affrontement si disproportionné, des «groupes de combattants» et prônent un strict code de conduite.

Face à ces interventions, le peuple insurgé de Syrie se trouve bien seul, ne pouvant compter, pour l’essentiel, que sur son courage, une meilleure coordination de ses forces, une jonction plus effective entre la résistance civile et militaire (le «commandement de l’ASL» s’est déplacé en Syrie, le 23 septembre) ainsi qu’une représentation politique étroitement liée à la résistance interne.

Et cela dans le but de construire une Syrie libre, démocratique, laïque et de justice sociale, reconnaissant le droit à l’autodétermination du peuple kurde, ainsi que le respect des minorités. Ce but passe par le renversement du régime Assad. Un vaste mouvement international de soutien et de solidarité avec la révolution populaire syrienne est plus nécessaire que jamais. (26 septembre 2012)

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Ce texte a été élaboré pour la manifestation de solidarité avec les insurgés de Syrie qui a eu lieu
le 29 septembre à Berne. Il est diffusé en allemand, en français et en italien.

 

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