Syrie. «Nouvel an» à Idlib!

Dessin de Mahmoud Salameh

Par Hazem Saghieh

Depuis le 26 avril 2019, la région d’Idlib subit une intensification des bombardements extrêmement violents, menés par l’aviation russo-assadienne, qui cible les civils en particulier (quartiers résidentiels et infrastructures de service). Pendant les deux dernières semaines seulement, le Réseau Syrien des Droits de l’Homme a documenté trois bombardements des camps de déplacés internes, 9 bombardements de la route de l’exode Actuellement, des témoignages nous parviennent de Ma’arat al-Nu’man qui se vide de ses habitants, pour appeler à l’arrêt des bombardements. Le monde tout entier semble sourd à leur appel et s’occupe à célébrer le réveillon!

Tandis que dès les premières heures du nouvel an, l’aviation russe bombardait déjà la ville d’Idlib; un peu plus tard une école a été bombardée par la même aviation à Sarmine (région d’Idlib) tuant 9 personnes dont 4 enfants et une femme et blessant des dizaines d’autres!

FSD (Femmes Syriennes pour la Démocratie) a choisi de traduire un article d’opinion à ce sujet. Il s’agit d’un article en arabe d’Hazem Saghieh, intitulé «Nouvel an à Idlib!» publié le 29 décembre sur le site d’information Asharq al-Awsat. (FSD)

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Cela fait quatre ans que le «Nouvel An» ne passe plus par Idlib, en Syrie. Là-bas, les années se suivent et se ressemblent. Le premier jour de l’an ne se distingue pas d’un autre; il n’y a pas de fête qui distingue un jour d’un autre. Chaque jour qui passe ressemble au précédent, en pire: «Oui, nous avons déjà vu ça, mais aujourd’hui c’est pire!». C’est cela la sagesse là-bas, la seule nouveauté c’est la répétition des massacres combinée à la tromperie et à l’indifférence, qui rythment l’espace et le temps.

Deux millions et demi de personnes vivent dans le gouvernorat d’Idlib, soumises à ce qui s’apparente de plus en plus à un génocide. Ça se produit petit à petit, une fois après l’autre, mais sa signification symbolique est impressionnante: il y a ceux qui meurent, et ceux que la mort a prêtés temporairement à la famine, au déplacement et au froid extrême. Et ils viennent de partout en Syrie. Ainsi, à Idlib, on tue tous les Syriens, il n’y a pas de distinction entre l’hôte et l’invité. Au cours des dernières années, ils ont tous été poussés dans cette province du nord, afin de fuir la mort, la famine, et toutes sortes de violations. Ce qui leur a échappé, c’est qu’ils étaient destinés à engraisser la proie, et que grâce à eux, de nombreuses petites cibles se sont réduites à une seule, plus grande, pour la plus grande satisfaction des bureaucrates qui se précipitent pour l’exécution.

Ce qui se passe aujourd’hui à Idlib, se produit au vu et au su du monde entier, ainsi que de nous tous. Il est vrai que les différentes parties de l’univers se sont vu converger grâce à la technologie, mais Idlib seule, a été exilée au loin, loin à la fois de notre présence et de notre sensibilité. Idlib, seule, est laissée aux seuls arguments politiques brutaux avancés par de «vrais» technologues de la mort qui se disent «réalistes»: n’est-il pas temps de se débarrasser du terrorisme et de «Jabhat al-Nosra»? N’est-il pas temps pour Bachar Al-Assad d’étendre son autorité nationale sur l’ensemble du territoire syrien? Et bien sûr, n’est-il pas juste, voire progressiste, pour les deux alliés, Vladimir Poutine et Ali Khameneï, de prendre les positions influentes qu’ils méritent face à Donald Trump?

A Idlib, on bombarde les hôpitaux et les malades. A Idlib, on bombarde les écoles et les élèves. A Idlib, on détruit les maisons des familles et des individus. Ceux qui fuient la mort sont désormais des errants déplacés qui n’emportent avec eux que quelques petites affaires récoltées pendant leurs vies de pauvres. Des pauvres qui n’ont pas d’autres moyens de transport que des tas de ferraille qui se cassent sur la route de l’exode! Les bombardements hantent leurs déplacements sur terre, avions et barils, russes et syriens, qui s’amusent au jeu de la chasse depuis les airs. Et le reste du monde? Depuis le début de la révolution syrienne, et jusqu’à présent, la Russie a exercé son droit de veto 14 fois au conseil de sécurité, dont récemment pour empêcher l’acheminement de secours pour Idlib!

Des centaines de milliers de personnes fuyant vers le nord du nord syrien font face à une frontière turque fermée. Recep Tayyip Erdogan ne se sent concerné par les «frères» arabes que lorsqu’ils sont utiles pour instrumenter l’écrasement des «frères» kurdes. Pour compléter l’opération «Source de paix», on propose d’utiliser «l’arène libyenne» pour décider du sort de «l’arène syrienne» en déplaçant les combattants au gré de l’escalade ou désescalade souhaitée, en alternant trêves et combats! En attendant, il n’y a aucun mal à faire chanter les Européens en brandissant la menace des réfugiés: les barbares sont à votre porte!

Cette fois, ça a été le tour de Ma’arat al-Numan, au sud-est du gouvernorat d’Idlib. Ses habitants ont commencé à fuir lorsque l’attaque a commencé. Lorsqu’ils ont reçu l’invitation à «retourner dans les bras de la patrie d’Assad», ils étaient cent mille, maintenant, ils ne sont plus que quelques milliers. Le journaliste syrien Ahmed Al-Ahmad cite «Siham», une journaliste qui vivait jusqu’à très récemment à Ma’arat al-Numan: «Le déplacement est devenu un luxe pour les civils là-bas; quiconque peut se déplacer et a accès à un véhicule pour transporter sa famille peut être considéré comme chanceux.» Siham poursuit: «Il y a des familles qui font de leur mieux pour sortir, mais elles ne peuvent pas le faire, en raison du manque de transports, et aussi parce que ceux qui arrivent à partir n’osent pas revenir dans leur ville presque détruite pour chercher les autres.»

En revenant aux expériences tragiques déjà vécues antérieurement en Syrie, l’écrivain syrien Bakr Sidqi note: «Alep-Est ou la Ghouta orientale, par exemple, n’ont pas connu de retour des déplacés, sauf exceptions, en raison des restrictions imposées par l’appareil du régime sur les opérations de retour, mais aussi en raison de la réticence des déplacés à retourner dans l’enfer de «la patrie d’Assad». L’alternative au retour des habitants d’origine de ces zones dévastées est peut-être (pour le régime Assad) d’y implanter de nouveaux résidents auxquels les spécifications “d’homogénéité” requises (par Assad) s’appliquent mieux, en particulier leurs identités politiques, civiles et sectaires. Toutefois, la possibilité de l’appliquer dépend de la réhabilitation de ces zones pour qu’elles soient réadaptées à l’habitation. Ceci nécessite d’importantes ressources qui dépassent aujourd’hui les capacités du régime, étouffé dans sa crise. Mais ces ressources dépassent également le potentiel de ses alliés russes et iraniens». Mais qui sait, on verra peut-être bientôt des sortes d’humains maléfiques faire ce que les actions de la nature n’ont pas fait jusqu’ici: par exemple, déplacer des tonnes d’Arabes là où vivent des tonnes de Kurdes, nous pourrions alors suivre de loin des scènes de combats où s’affrontent des masses dépersonnalisées sans noms ni visages.

Idlib symbolise aujourd’hui l’impossibilité de voir reconnu le droit à une patrie ou de l’appartenance à un peuple reconnu. Mais elle est aussi, d’abord et surtout, synonyme de l’impuissance de la morale, de l’insensibilité des âmes, du désespoir de presque tout, peut-être de tout. Avec ces massacres, gratuits, chacun de nous rétrécit, devient plus petit, moins audible et finalement bien peu intéressé par un monde célébrant le Nouvel An. (Traduction de l’arabe par le site de Femmes Syriennes pour la Démocratie: https://femmesdemoc.wordpress.com/)

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