Syrie. Moscou et Téhéran offrent Palmyre à Bachar al-Assad. Cinq députés Les Républicains saluent Bachar

Site of Palmyra (Syrian Arab Republic)Par Marc Sémo

Le président syrien célèbre «l’important exploit de la libération de Palmyre». Sa propagande ne peut rêver meilleur symbole que la reconquête de cette ville et des célèbres ruines antiques de la capitale de la reine Zénobie [III siècle après «J.-C.»], tombées entre les mains de l’Etat islamique (EI) en mai 2015.

Les jihadistes y avaient multiplié les exactions avec exécutions à grand spectacle et destructions du patrimoine. Par cette opération, Bachar al-Assad, dont les soldats n’avaient jusqu’ici guère affronté directement l’EI sur le terrain, espère reconquérir un peu de légitimité internationale, alors que le premier round de négociation pour une solution politique de la guerre s’est achevé le 24 mars à Genève.

Se montrer comme un indispensable partenaire dans la lutte contre le jihadisme est un bon moyen de justifier son maintien au pouvoir, au moins pendant une «phase de transition», alors que son sort est l’un des enjeux cruciaux des discussions.

A Téhéran et plus encore à Moscou [1], ses parrains en sont conscients. Ils n’ont pas lésiné sur les moyens. Les forces spéciales russes ont appuyé au sol les combattants du Hezbollah libanais, encadrés par les pasdaran [gardiens de la Révolution, une force qui suppléent une armée syrienne exsangue, et l’aviation russe a multiplié les frappes.

Cette victoire majeure contre l’EI, la plus importante depuis celle des forces kurdes à l’automne 2014 à Kobané, ne doit pas faire oublier les réalités. Palmyre, où était installée l’une des pires prisons du régime, entra en rébellion dès 2011, puis fut repris un an plus tard par les forces de Bachar, qui y ont commis «des pillages et des vols d’objets antiques», comme le rappelle l’historien Maurice Sartre [voir l’entretien avec Maurice Sartre publié sur ce site en date du 27 mars].

Au printemps 2015, quand l’EI lança son offensive sur la ville, les forces du régime se replièrent sans combattre et sans même utiliser contre les colonnes jihadistes les avions et les hélicoptères massivement mis à contribution pour bombarder les populations civiles des zones tenues par la rébellion démocratique. Au nom d’un prétendu réalisme, certains clament aujourd’hui haut et fort qu’il faut s’allier avec Bachar al-Assad contre l’EI comme «on» s’était allié politiquement avec Staline contre Hitler [après l’échec programmé du Pacte germano-soviétique d’août 1939] pendant la Seconde Guerre mondiale.

Venus pour Pâques à Damas en soutien aux chrétiens d’Orient, cinq élus du parti Les Républicains, dont Thierry Mariani, ont été reçus par Al-Assad appelant l’Union européenne à lever les restrictions sur la Syrie.

Thierry Mariani, Valérie Boyer, Nicolas Dhuicq, Denis Jacquat et Michel Voisin ont rencontré le président Bachar Al-Assad, dimanche 27 mars 2016. En novembre 2015, Thierry Mariani s'était rendu avec quatre députés à Damas où ils avaient notamment rencontré le chef du régime syrien. Cela «pour aider les Chrétiens d’Orient». Les sommets de l’Eglise ont toujours eu de bons rapports – comme sous toutes les dictatures – avec les Assad.
Thierry Mariani, Valérie Boyer, Nicolas Dhuicq, Denis Jacquat et Michel Voisin ont rencontré le président Bachar Al-Assad, dimanche 27 mars 2016. En novembre 2015, Thierry Mariani s’était rendu avec quatre députés à Damas où ils avaient notamment rencontré le chef du régime syrien.
Cela «pour aider les chrétiens d’Orient». Les sommets de l’Eglise ont toujours eu de bons rapports – comme sous toutes les dictatures – avec les Assad.

Cet apparent bon sens fait oublier que la quasi-totalité des 260’000 morts – voire plus de 400’000, selon des estimations plus pertinentes [voir à ce sujet l’article de Hala Kodmani publié le 11 mars 2016 sur ce site] – sont le fait des soudards d’Al-Assad. C’est aussi ce régime sanguinaire que fuit l’écrasante majorité des millions de réfugiés arrivés dans les pays voisins ou en Europe.

Toute alliance, même indirecte, avec le «boucher de Damas», et a fortiori l’acception de son maintien en fonction, même par des élections – qui seront aussi truquées que les précédentes –, ne ferait qu’alimenter encore un peu plus le brasier syrien. Avec des effets dévastateurs sur tout le Moyen-Orient, mais aussi sur l’Europe. (Publié dans Libération en date du 29 mars 2016)

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[1] Le service de presse de l’UNESCO publiait fin décembre 2015, le communiqué de presse suivant: «Le 14 décembre 2015, Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, et S. E. M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, ont ouvert ensemble le IVe Forum culturel international de Saint-Pétersbourg, dédié au 70e anniversaire de l’UNESCO. Cet événement était la plus importante manifestation culturelle marquant les sept décennies de l’Organisation, qui a participé et contribué à défendre la culture et le patrimoine à l’échelle mondiale depuis sa création.

• «Nous sommes ici pour célébrer le pouvoir de la culture», a déclaré la Directrice générale lors de son discours liminaire.

«Lorsque la culture est attaquée et que les extrémistes cherchent à détruire le patrimoine commun de l’humanité, nous devons répondre à l’ignorance, la haine et la violence par davantage de culture et de savoir», a-t-elle ajouté.

L’intensification des efforts internationaux pour protéger le patrimoine culturel de l’humanité a été abordée lors de la rencontre entre la Directrice générale et le Président Vladimir Poutine à l’issue de la séance plénière.

Mme Bokova a souligné l’importance de défendre le patrimoine culturel et d’empêcher le trafic illicite de biens culturels, en particulier durant les conflits armés.

La Directrice générale a remercié la Fédération de Russie pour son soutien, qui a débouché sur l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution 2199 relative au financement de l’extrémisme. Appelant l’attention sur les mesures d’application prises par l’UNESCO en Iraq et en Syrie, Mme Bokova a fait observer que grâce à cette résolution, la communauté internationale reconnaissait les liens entre protection de la culture, sécurité internationale et préoccupations humanitaires.

Le Président Poutine a réaffirmé que son gouvernement souscrivait fermement à «la protection du patrimoine de l’humanité contre les destructions barbares».

Une galerie des protecteurs du patrimoine culturel de l’humanité: de Poutine à Bachar al-Assad en passant par son père Hafez
Une galerie des protecteurs du patrimoine culturel de l’humanité: de Poutine à Bachar al-Assad en passant par son père Hafez

• Dès la «reconquête» de Palmyre, ce mois de mars 2016, Poutine n’a pas manqué de s’adresser à la directrice générale l’UNESCO, Irina Bokova, pour lui annoncer la bonne nouvelle. Cette dernière affirmait: «Je salue la libération du site archéologique de Palmyre, ville martyre inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO, qui porte à la fois la mémoire du peuple syrien, et les valeurs de diversité culturelle, de tolérance et d’ouverture qui ont fait de cette région le berceau de la civilisation.»

Irina Bokova, personnalité politique de Bulgarie, dispose d’une CV fonctionnel: «Après une scolarité à Sofia, part à Moscou faire des études supérieures, privilège réservé à l’élite du pays et, plus spécialement, aux enfants de la nomenklatura du parti. Elle complète son cursus universitaire, avant et après la chute du régime en 1989, aux Etats-Unis, notamment à la prestigieuse université de Harvard.» (Géopolis, 11 juin 2015) Donc une sorte de synthèse entre Poutine et Kerry à l’œuvre pour assurer à Bachar une place de relief dans la «transition», une place qu’il ne va céder par la suite comme l’espèrent – officiellement – certains.

• Dans Libération du 22 septembre 2009, un rapide portrait de Irina Bokova était tracé: «Ambassadrice de Bulgarie en France, à Monaco et auprès de l’Unesco depuis 2005, âgée de 57 ans, cette femme dynamique, ouverte et souriante, l’une des personnalités les plus populaires du Parti socialiste (ex-communiste), aujourd’hui dans l’opposition, a appartenu à la jeunesse dorée sous la dictature communiste.

Son père, Gueorgui Bokov, a été rédacteur en chef du journal du Parti communiste Rabotnitchesko Delo et, ainsi qu’il se devait à l’époque, elle a ainsi fait ses études supérieures à Moscou, à l’Institut d’Etat des relations internationales. Comme nombre de figures de la jeune nomenklatura communiste, elle a parfait son parcours universitaire, avant et après la chute du régime en 1989, avec des spécialisations aux Etats-Unis, notamment à l’Université du Maryland et à la prestigieuse Université de Harvard, où elle a étudié l’économie et fréquenté la John F. Kennedy School of Government.» (Rédaction A l’Encontre)

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