Syrie. La version russe de Genève IV?

Par Benjamin Barthe

Pour la première fois depuis neuf mois, l’opposition et le régime syrien se retrouveront à nouveau à Genève sous l’égide des Nations unies à partir de jeudi 23 février pour reprendre des négociations censées mettre fin à un conflit qui a fait déjà plus de 300’000 morts. Fin janvier, des discussions menées à Astana, la capitale du Kazakhstan, sous l’égide de la Russie, de la Turquie et de l’Iran avaient permis de consolider le fragile cessez-le-feu négocié par Moscou et entré en vigueur le 30 décembre.

Le relais passe maintenant de nouveau à l’ONU. Nul se fait pourtant trop d’illusions, à commencer par le médiateur des Nations unies Staffan De Mistura. «Je ne peux pas vous dire si cela marchera mais nous devons profiter de la tendance, car aucun cessez-le-feu ne peut durer sans solution politique», rappelait le diplomate italo-suédois le 18 février à Munich, s’inquiétant notamment de «l’absence d’une stratégie américaine claire». La veille, le nouveau secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, avait certes participé à une réunion sur la Syrie en marge d’un sommet du G20, affirmant l’engagement de la nouvelle administration américaine dans ce processus sans pour autant rassurer vraiment ses interlocuteurs.

Au printemps 2016, les délégations négociaient dans deux pièces séparées avant que l’opposition ne quitte les discussions en protestation contre l’intensification des bombardements à Alep et le blocage des aides humanitaires. A Astana, elles étaient face à face et elles devraient l’être de nouveau à Genève. Beaucoup de choses ont changé en quelques mois.

«Les Russes craignent l’enlisement»

La reconquête, par le régime et ses alliés, des quartiers orientaux d’Alep a marqué un revers majeur pour l’opposition. Le régime paraît plus fort que jamais et elle n’a plus beaucoup de marges de manœuvre. Le basculement de la Turquie, longtemps son principal soutien, désormais engagé aux côtés de Moscou pour trouver une issue politique au conflit, nourrit désormais ses espoirs. L’opposition mise sur le pragmatisme d’une Russie devenue le grand maître du jeu sur le terrain. «Les Russes cherchent une sortie de crise, car ils craignent l’enlisement. Ils ne sont pas à l’aise avec des alliés comme l’Iran, l’autre grand soutien du régime, qui n’est pas intéressé à une fin du conflit», relève Basma Kodmani, l’une des figures de l’opposition. Elle souligne que «les Russes sont désormais à la manœuvre comme l’étaient auparavant les Américains». «Ils s’ingèrent dans tout, y compris dans la composition de la délégation de l’opposition», soupire un diplomate occidental, qui relève que Moscou veut l’élargir à des groupes qui lui sont proches.

A Genève aujourd’hui comme à Astana en janvier, l’idée-force du Kremlin est d’agir de concert avec les autres pays eux aussi directement engagés sur le terrain, y compris dans le camp opposé, comme la Turquie, et surtout d’impliquer dans le processus de la façon la plus large possible les groupes combattants. La délégation de l’opposition syrienne, constituée début février à l’issue de consultations à Riyad, est composée de vingt membres, dix émissaires des groupes armés et dix représentants de formations politiques. En revanche, contrairement aux pourparlers de 2014 et 2016, ses deux dirigeants ont un profil de politiques et non de militaires.

Le chef de la délégation est Nasser Hariri, un cardiologue de 40 ans, membre de la Coalition nationale syrienne (CNS), le principal groupe d’opposition anti-Assad, et originaire de Deraa, le berceau de la révolution, dans le sud de la Syrie. «On le dit proche de la Turquie, mais il a surtout été choisi car il n’a pas de réseau particulier, confie un familier des arcanes de l’opposition. Tout le monde pense pouvoir le contrôler.» Il remplace Assad Al-Zoabi, un ex-pilote de l’armée de l’air syrienne, qui a fait défection en 2012.

«Tout l’élan est retombé»

Le poste clé de négociateur en chef a été attribué à Mohamed Sabra, un avocat, qui a participé en tant qu’expert juridique aux négociations de 2014 et 2016. Libéral de gauche, il diffère nettement de Mohamed Allouche, le conseiller politique de l’Armée de l’Islam, un groupe armé salafiste, qui occupait sa fonction l’année dernière.

C’est à lui que reviendra la tâche de faire face à Bachar Al-Jaafari, l’ambassadeur syrien à l’ONU, désigné une nouvelle fois à la tête de la délégation du régime.

L’ordre du jour de la réunion de Genève, dans la logique du processus lancé par la résolution du Conseil de sécurité 2254 de décembre 2015 parrainée à la fois par Washington et Moscou, est d’aborder la question de la transition politique en même temps que celle de l’élaboration d’une nouvelle Constitution afin de préparer le terrain à de futures élections. Mais, une fois de plus, les discussions risquent d’achopper sur le sort de Bachar Al-Assad. «Les Russes exigent toujours son maintien au pouvoir, ce qui est inacceptable pour l’opposition», relève un diplomate rappelant que, pour Paris comme pour nombre de capitales occidentales et arabes, le dictateur ne peut incarner l’avenir de son pays et qu’il devra partir au moins à la fin du processus. L’idée du négociateur de l’ONU est donc, autant que faire se peut, de mettre cette question pour le moment de côté.

Mais l’échec de la deuxième réunion de suivi d’Astana, le 15 février, et la relance des combats «ont ramené les choses à la case départ» souligne Sinan Hatahet, un analyste proche de l’opposition.

Les affrontements sont particulièrement vifs dans la Ghouta orientale, à l’est de Damas, une zone rebelle dont le régime tente de s’emparer, ainsi que dans la région de Deraa, où les insurgés ont lancé une offensive majeure. La CNS est aussi choquée par la poursuite des raids de l’aviation russe contre les zones aux mains des insurgés et par l’incapacité de Moscou à obtenir des progrès sur la question des prisonniers détenus par le régime. «Tout l’élan est retombé, poursuit Sinan Hatahet. La seule carte qui reste à l’opposition, c’est sa capacité à dire non.» (Article publié dans Le Monde, daté du jeudi 23 février, p. 2)

 

 

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Alep. Des attaques chimiques lors de la prise d’Alep

Par Hala Kodmani

Il ne s’agit que de quelques gouttes de chlore dans le bain de sang d’Alep. Neuf morts, dont quatre enfants, parmi les centaines de victimes de la campagne de bombardements meurtrière qui a abouti à la reprise par le régime syrien et ses alliés des quartiers contrôlés par l’opposition, pendant le dernier mois des combats dans la ville assiégée. Le rapport publié par Human Rights Watch (HRW) sur «des attaques chimiques perpétrées de manière coordonnée par les forces gouvernementales syriennes» entre le 17 novembre et le 13 décembre vient rappeler que l’impunité reste de mise pour l’usage de ces armes interdites par les conventions internationales.

En s’appuyant sur des entretiens avec des témoins, par téléphone et en personne, et l’analyse de séquences vidéo, de photographies et de messages trouvés sur les réseaux sociaux, HRW a établi que des hélicoptères des forces gouvernementales ont répandu du chlore dans des zones résidentielles d’Alep à au moins huit reprises. Les attaques ont eu lieu dans des secteurs de la ville que les forces gouvernementales avaient l’intention de reprendre, en partant de l’est d’Alep vers l’ouest à mesure que les lignes de front se déplaçaient.

«Les personnes touchées éprouvaient des difficultés à respirer, elles toussaient violemment, étaient prises de nausées, certaines s’évanouissaient, d’autres avaient de la mousse leur sortant de leur bouche, a déclaré un premier intervenant après plusieurs attaques. Les enfants sont les plus gravement affectés par ces produits chimiques… Ils inhalent ces odeurs et finissent par suffoquer.»

«Stratégie militaire globale»

«La récurrence des attaques au chlore révèle leur coordination avec la stratégie militaire globale visant à reprendre Alep et n’est pas le résultat de quelques éléments hors de contrôle», a déclaré Ole Solvang, directeur adjoint de la division urgences chez Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité des Nations Unies ne devrait pas permettre que l’utilisation d’armes chimiques par les autorités syriennes ou tout autre belligérant reste sans conséquences.»

En effet, comme le rappelle le rapport de HRW, depuis avril 2014 au moins, les hélicoptères du gouvernement syrien ont répandu du chlore sur les parties du territoire contrôlées par l’opposition. Le chlore est utilisé de nombreuses manières à des fins civiles, mais la Convention de 1993 sur les armes chimiques, à laquelle la Syrie a adhéré en octobre 2013, prohibe d’utiliser tout produit chimique à des fins militaires.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’a toujours pas pris de mesures suite à l’enquête diligentée par l’ONU, a identifié des unités militaires responsables d’attaques antérieures utilisant du chlore en Syrie. «Il devrait imposer des sanctions aux responsables de la chaîne de commandement», affirme Human Rights Watch. (Article publié dans Libération le 13 février 2017)

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