Syrie. Des milliards par mois pour en finir avec Bachar?

Bachar ne manque pas d'armes russes. Elles sont exportées par l'exportateur public Rosoboronexport «pour le règlement pacifique du conflit inter-syrien» selon le porte-parole de la diplomatie russe, Alexandre Loukachenko.
Bachar ne manque pas d’armes russes. Elles sont exportées par l’exportateur public Rosoboronexport «pour le règlement pacifique du conflit inter-syrien» selon le porte-parole de la diplomatie russe, Alexandre Loukachenko.

Depuis des mois et des mois, les «informations» et les déclarations sur l’aide militaire des «grandes puissances» à apporter aux «rebelles de Syrie» font la une de la presse ou permettent à des «spécialistes en géopolitique» de noircir des pages.

Le vendredi 15 mars 2013, à la «fin» de la réunion des gouvernements et des «chefs d’Etat» de l’Union européenne (UE), était posée «la question de livraisons d’armes aux rebelles syriens». Une objection surgit de suite. «Il faut s’assurer qu’elles arrivent dans de bonnes mains», autrement dit pas dans celles des «djihadistes». Ce à quoi François Hollande s’engageait. Car le «changement c’est maintenant»

Des structures telles Jabhat Al-Nosra (qui se réclament de Al-Qaida) et autres groupes «djihadistes», avérés ou non, en reçoivent pourtant dans certaines quantités de leurs fournisseurs attitrés de la région.

Pour effectuer ces livraisons d’armes (d’une certaine efficacité et ampleur, et non pas seulement des jumelles nocturnes infrarouges) «aux rebelles», les pays occidentaux (l’UE) doivent «lever l’embargo frappant la Syrie»! Or, parmi les 27 membres de l’UE, nombreux sont ceux qui ne veulent pas créer des tensions «inutiles» avec la Russie, ce partenaire économique significatif dans la conjoncture économique présente. De plus, d’aucuns ne veulent pas freiner le tournant en politique étrangère vers «l’Occident» qu’initie le gouvernement du nouveau président iranien Hassan Rohani, dont quasi tous les membres sont issus des services de sécurité! Or, ces deux pays livrent massivement des armes – et les entretiennent – à Bachar. Sans compter les «spécialistes» qui les accompagnent. Pour Poutine, Bachar mène en Syrie le type de guerre que l’armée russe a menée en Tchétchénie d’octobre 1999 à février 2000, suivie, durant neuf ans, d’une vaste opération qualifiée de «contre-insurrection». Pour ce qui est des combattants, l’Iran envoie ses soldats (pasdaran) et des membres de la branche militaire du Hezbollah libanais. Dès lors, il est quelque peu ridicule, pour les «anti-impérialistes» les plus «éclairés», de «reconnaître que le régime Assad est dictatorial», mais que la «tâche politique principale» se résume à dénoncer une possible intervention impérialiste. Autrement dit à combattre le possible, mais pas les interventions présentes, concrètes et reconnues, y compris revendiquées par les intervenants.

Or, revenons sur le possible. Tout d’abord, quel est l’objectif des puissances impérialistes dans la région, puissances prises dans une crise économique qui apparaît de plus en plus profonde. Assurer la stabilité la plus grande et pour cela trouver une «solution» qui implique le maintien d’un pan entier, si ce n’est complet, de l’appareil sécuritaire du régime Assad. Elles ne veulent pas répéter la situation – devenue incontrôlable et avec ses répercussions déstabilisatrices régionales de plus en plus amples et aiguës – issue de liquidation de l’Etat du Baath en Irak. «Déstabilisation» et investissements ne se conjuguent pas ensemble. Ensuite, le déclin impérialiste états-unien, relatif, dans la région, intriqué aux révisions budgétaires et aux redéploiements en direction de l’Asie (Asie centrale, Chine, etc.) pousse le Pentagone à opérer des déclarations d’intention qui ne sont pas suivies de concrétisations. Ce que souligne fort bien Claude Angeli, du Canard enchaîné (en date du 8 août 2013, p. 3), dont nous publions ci-dessous l’article.

Enfin, ladite complexité des combats en cours en Syrie ne doit pas empêcher les partisans d’une lutte pour les droits démocratiques et sociaux, pour le combat populaire afin de se débarrasser d’une dictature – condition sine qua non pour continuer la bataille en faveur d’une société «juste et sociale», à reconstruire dans tous ses aspects – de soutenir sans hésitation la rébellion anti-dictatoriale de la large majorité du peuple syrien, dans toutes ses composantes confessionnelles et ethniques. Ceux et celles qui, comme Sarah Wagenknecht (Die Linke) et Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche en France) – la complaisance de ce dernier face à l’ex-militaire Humala, président du Pérou, est une trademark qu’il s’est collée – feraient bien de se raviser. Il serait utile de connaître effectivement une région, un régime, son histoire, une rébellion dans ses développements, avant de s’aventurer à utiliser des formules qualifiant négativement cette révolte populaire. Et cela à partir de la caractérisation rapide «d’hommes de paille de l’impérialisme» (sic) de divers dirigeants publics et autoproclamés d’un soulèvement populaire tel qu’il se développe, avec des heurts, malheurs et souffrances, en Syrie. Nous renvoyons, entre autres, aux deux articles publiés sur ce site en date du 7 et du 8 août 2013. (Charles-André Udry)

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Par Claude Angeli

Un plan anti-Bachar vient d’être préparé par les généraux américains et une lettre de trois pages a été remise, le 22 juillet 2013, à Carl Levin, président de la commission des Forces armées du Sénat pour l’en informer. C’est de tradition, aux Etats-Unis: les relations entre élus et militaires sont constantes, même s’il s’agit de projets plutôt secrets. Une pratique qui n’a jamais cours en France, bien sûr.

Cette lettre, signée par Martin Dempsey, chef d’état-major des forces interarmées US, présente les cinq scénarios récemment soumis à Barack Obama et au Pentagone pour qu’ils choisissent celui qui pourrait convenir. En voici la liste: entraînement des unités rebelles, frappes limitées sur les forces loyalistes au moyen de missiles de croisières tirés à distance, interdiction totale ou partielle du ciel syrien à l’aviation de Bachar, établissement de zones de sécurité pour les insurgés aux frontières du pays avec la Turquie et la Jordanie, prise de contrôle des sites d’armes chimiques, etc. Un choix difficile pour Obama, car le moindre de ces projets suppose le déploiement dans les pays voisins de plusieurs dizaines de milliers de militaires US, d’avions de combat, plus l’envoi de navires de guerre en Méditerranée.

Les généraux américains ont évalué l’effort financier nécessaire à la réalisation de chacun de ces scénarios. Exemples: 1 milliard de dollars ou 500 millions par mois (à débourser par le seul Pentagone, alors que la facture sera bien plus élevée) pour la protection des zones de sécurité aux frontières, et 5 milliards au total, toujours par mois, à débourser par les Etats-Unis et leurs alliés, si Obama décide d’interdire l’espace aérien aux avions de Bachar. Les mêmes chefs de guerre US prévoient pour chacune de ces interventions, mais sans vraiment y croire, une participation aux frais, si l’on ose dire, des alliés de l’OTAN.

«Un coût insensé», estime un diplomate français, à qui Le Canard enchaîné a soumis ces chiffres, tandis qu’un officier d’état-major affirme, lui, que présenter une telle prévision de dépenses incitera la Maison-Blanche à limiter l’engagement militaire des USA, comme aujourd’hui, à la simple formation des forces rebelles et aux livraisons clandestines d’armements, rien de plus.

Djihad à l’exportation

Voilà qui va sans doute provoquer quelques commentaires ironiques des alliés de Washington. «Mais nous sommes, nous aussi, en retrait sur le dossier syrien», admet-on au Quai d’Orsay [location, à Paris, du Ministère des affaires étrangères]. Les services français de renseignement, eux, se montrent plus sévères dans leur appréciation du comportement des Américains au Proche et au Moyen-Orient depuis quinze ans. Un projet de notre d’analyse en préparation à la DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure] évoque à ce propos «un flottement général» de la politique des Etats-Unis dans ces régions troublées. Ce qui est une façon de découvrir l’Amérique.

Ce même document affirme que le prochain départ d’Afghanistan des troupes US, en 2014, va laisser un grand vide militaire et stratégique dans cette région, et pas seulement favoriser le retour des talibans. Puis, avant même la récente décision, prise par Washington, de fermer une vingtaine de ses ambassades et de ses consulats, ces analystes de la DGSE dressent une liste des principales menaces terroristes, du «chaudron irako-syrien» au Maghreb et au continent africain.

Et d’une: formation d’un foyer djihadiste permanent au Sahel, à partir du Sud libyen. Et de deux: développement d’un foyer de même nature en Syrie et en Irak, avec participation de volontaires européens. Et de trois: fragilité récurrente de la Tunisie, du Maroc, de la Libye et de l’Egypte. Et de quatre: menaces permanentes sur certains Etats africains, de l’ouest du continent (golfe de Guinée) à la côte est (Somalie), et jusqu’au Moyen-Orient, «avec le désormais sulfureux Yémen», selon la formule d’un diplomate aussi pessimiste que les services français.

Non loin de l’Hexagone, la situation actuelle en Méditerranée provoque cette brutale réaction d’un vieux routier du renseignement: «C’est un vrai merdier sécuritaire.» (Claude Angeli, Article publié dans l’édition du 8 août 2013 de l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné.)    

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