«Les Etats-Unis ont la hantise d’un effondrement de l’Etat syrien»

imageEntretien avec Gilbert Achcar
conduit par Jean-Pierre Perrin

Gilbert Achcar est professeur à l’Ecole des études orientales et africaines de Londres. Il est l’auteur de Le peuple veut: une exploration radicale du soulèvement arabe (Actes Sud).

Comment peut-on expliquer l’utilisation d’armes chimiques par un régime déjà sur la sellette?

Après l’utilisation d’armes chimiques, en juin, Barack Obama avait fait un geste, motivé par ses déclarations que leur utilisation serait une «ligne rouge». Il avait donné son feu vert pour que la rébellion reçoive des armes. Celles-ci lui avaient permis de marquer des points sur le plan militaire. Le régime était donc en difficulté. Et la banlieue de Damas, précisément, est un endroit crucial pour terrasser l’adversaire. En difficulté, Saddam Hussein avait procédé ainsi.

Mais le gaz a été utilisé alors que les inspecteurs de l’ONU étaient à Damas…

C’est l’argument du régime, le seul qu’il avance. Au contraire, c’était le bon moment pour lui d’utiliser des armes chimiques: après, il pouvait plaider qu’il ne l’aurait jamais fait dans ces conditions. Et en plus, il a empêché les inspecteurs de travailler en temps utile… Avec des visites éclairs sur les lieux, comment pouvaient-ils trouver des preuves flagrantes? Si les gouvernements occidentaux étaient à l’affût pour intervenir en Syrie, on pourrait être méfiant. Mais on voit bien qu’ils rechignent à intervenir.

Une attaque occidentale peut-elle changer le cours du conflit?

Tout dépend des objectifs. Si les Etats-Unis détruisent l’aviation au sol, le régime sera sensiblement affaibli. Pour les autres cibles – postes de commandement, missiles… –, le gouvernement a eu le temps de les déplacer.

Obama privilégie pour la Syrie «l’option yéménite» (le président Saleh a été remplacé par son vice-président). Cela peut-il marcher?

Je ne crois pas. En fait, les Etats-Unis ont la hantise d’un effondrement de l’Etat syrien, qui créerait une situation comparable à celle de l’Irak. Un cauchemar. D’où leur idée de dégager un compromis entre le régime et l’opposition. On voit à l’œuvre cette politique dans les visites de John Kerry [le secrétaire d’Etat américain, ndlr] en Russie. Si on avait des relations vraiment antagonistes entre Moscou et Washington, il n’y aurait pas ce type de rapport. C’est pourquoi Obama a longtemps écarté l’idée d’armer l’opposition.

Washington a changé de politique en voyant la contre-offensive menée avec le Hezbollah et le ton triomphaliste de Bachar al-Assad. Elle leur a fait comprendre que l’option «solution négociée» était finie s’il n’y avait pas de livraisons d’armes à l’opposition, de façon à rétablir un certain équilibre. Car, estime Washington, si le régime n’est pas en difficulté, il restera sourd et ne négociera pas. Pour imaginer une solution à la crise, il faut d’abord provoquer une rupture au sein du régime. Or, si l’on adopte le point de vue de Washington, privilégier un accord, ce qui est dans la logique de la rupture de l’Etat, nécessitait que la rébellion soit armée. Obama ne l’a pas voulu, craignant qu’une fois armée, l’opposition ne s’arrête pas en chemin. Conséquence: le régime est toujours là et, avec l’aide de ses alliés, il a pu marquer des points. En plus, on a prétexté la menace d’Al-Qaeda pour ne pas donner d’armes: c’est le contraire qui s’est passé. La politique d’Obama est donc catastrophique. Pas plus intelligente que celle de Bush.

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Entretien publié par le quotidien français Libération, en date du 31 août 2013

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