«Le cessez-le-feu vacille en Syrie»

BBC-News (18 septembre 2016)
BBC-News (18 septembre 2016)

Par Marie Bourreau (New York) et Benjamin Barthe (Beyrouth)

La première trêve en Syrie, au mois de mars 2016, avait duré environ un mois. La deuxième ne tiendra-t-elle qu’une semaine? Lundi 19 septembre au matin, six jours après son entrée en vigueur, ce cessez-le-feu, négocié à Genève par le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, semblait déjà sur le point de s’effondrer.

La multiplication des accrochages armés depuis vendredi 16 septembre, l’incapacité persistante des Nations unies à acheminer de l’aide humanitaire dans les quartiers rebelles d’Alep et l’accès de tension entre Moscou et Washington, à la suite de la mort de dizaines de soldats syriens dans un bombardement de l’aviation américaine, samedi à Deir Ez-Zor, font redouter une reprise généralisée des combats. Les parrains de la trêve auront fort à faire, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’ouvre mardi 20 septembre, pour ranimer l’accalmie constatée une semaine plus tôt.

• Le premier accroc sérieux est survenu vendredi 16 septembre, au quatrième jour, lorsque trois habitants de la localité rebelle de Khan Cheikhoun (nord-ouest), dont deux enfants, ont péri dans des frappes menées par des avions non identifiés, syriens ou russes. Jusque-là, aucun mort n’avait été signalé.

Le même jour, de violents affrontements éclataient à Jobar, en périphérie de Damas, lorsque l’armée syrienne bloquait une attaque de combattants rebelles. Le lendemain, samedi 17 septembre, cinq autres civils étaient tués par des tirs provenant de secteurs loyalistes, dont une femme et un enfant à Talbisseh, dans la province de Homs (centre).

• C’est ce même jour, en début de soirée, lorsque sont parvenues les premières nouvelles du bombardement de Deir Ez-Zor, que l’accord Kerry-Lavrov a commencé à vaciller. Au dire du Pentagone, les avions américains de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI) croyaient viser des positions de l’organisation djihadiste. Les hommes au drapeau noir contrôlent la plus grande partie de cette ville de la vallée de l’Euphrate, où ils assiègent depuis deux ans un détachement de l’armée régulière, retranché, avec des milliers de civils.

Les frappes américaines, suspendues après que des responsables russes ont alerté la coalition, ont fait entre 60 et 90 morts selon les sources. Les rapides regrets exprimés par les Etats-Unis et l’assurance du commandement des forces américaines au Moyen-Orient que «la coalition ne ciblerait jamais intentionnellement une unité militaire syrienne» n’ont pas suffi à calmer Moscou. Accusant la Maison Blanche de «défendre l’Etat islamique», à l’unisson du régime syrien, selon qui le raid était «délibéré», la diplomatie russe a convoqué une réunion d’urgence du Conseil de sécurité, pour pousser son avantage.

• La séance, tenue samedi soir, à New York, a donné lieu, selon un participant, à «un niveau d’invectives rarement atteint». Plutôt que d’entrer dans la salle du Conseil, l’ambassadrice américaine, Samantha Power, s’est dirigée vers l’espace réservé aux déclarations à la presse. Après avoir réitéré les regrets de Washington, la diplomate a étrillé le «moralisme» et le «cynisme» de Moscou, soutien d’un régime qui «frappe volontairement des cibles civiles avec une régularité effrayante (…) et a torturé des milliers de prisonniers». Et pourtant, a-t-elle ajouté, «face à tant d’atrocités, jamais la Russie n’a exprimé sa consternation ni demandé une réunion d’urgence du Conseil».

L’ambassadeur russe, Vitaly Tchourkine, est alors sorti de la salle du Conseil de sécurité, pour répliquer à Mme Power. Cet incident est «un mauvais présage» pour le maintien de l’accord américano-russe en Syrie, a-t-il estimé, tout en se refusant à le déclarer caduc. «J’espère que [les Etats-Unis] vont trouver un moyen de nous convaincre et de convaincre tout le monde qu’ils sont sérieux à propos d’un règlement politique en Syrie et à propos de la lutte contre les terroristes», a-t-il ajouté.

Moscou reproche aux Américains de ne pas suffisamment faire pression sur les groupes rebelles syriens pour que ceux-ci, conformément à l’accord de Genève, se dissocient du Fatah Al-Cham. Bien qu’il affirme avoir rompu avec Al-Qaida, l’ex-Front Al-Nosra reste considéré par Washington comme un groupe terroriste. L’arrangement Kerry-Lavrov, dont les détails sont secrets, prévoit qu’au bout d’une semaine de calme, Russes et Américains échangent des renseignements dans l’optique de frappes conjointes, contre cette formation ainsi que contre l’EI.

• Washington, pour sa part, s’agace de l’absence de progrès sur le volet humanitaire de l’accord. Les convois d’aide des Nations unies sont toujours bloqués sur la frontière turco-syrienne, alors qu’ils étaient supposés rentrer dans Alep-Est, tenu par la rébellion et où plus de 200’000 civils sont assiégés, dès les premiers jours de la trêve. «Il était prévu que des camions partent pour Alep tôt ce matin [dimanche 18 septembre], mais on a dû renoncer à nos plans au milieu de la nuit, en raison du bombardement de Deir Ez-Zor, du manque d’assurance des parties et de frappes près de la route que doit emprunter le convoi», confie une source onusienne.

• Dimanche, pour la première fois en une semaine, plusieurs quartiers d’Alep-Est ont été bombardés, faisant au moins un mort. Des barils d’explosifs largués par des hélicoptères de l’armée syrienne ont également tué neuf civils dans la province de Deraa (sud).

Plusieurs réunions sont prévues, lundi 19 et mardi 20 septembre, dans les coulisses de l’ONU, pour tenter d’endiguer cette escalade. Le ministre des affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, tout juste arrivé à New York, a estimé qu’il fallait «s’accrocher à cet accord et le faire vivre à tout prix», à condition, toutefois, qu’Américains et Russes acceptent d’en dévoiler «les termes principaux».

Le temps presse. Sergueï Lavrov et John Kerry sont convenus d’organiser une grande réunion publique sur la Syrie, mercredi 21 septembre. Ils espéraient pouvoir y annoncer une reprise des pourparlers de paix, cinq ans et demi après le début du conflit. Les deux hommes risquent en fait d’y faire, devant le monde entier, la démonstration de leurs désaccords. (Article publié dans le quotidien Le Monde, daté du 20 septembre 2016, en page 2)

 

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