Souiller l’Holocauste

Mairead Corrigan-Maguire

Par Mairead Corrigan-Maguire

En 2009, le ministre des Affaires étrangères d’Israël, Avigdor Lieberman [ministre à ce poste depuis le 31 mars 2009 et nommé vice-premier ministre à la même date], a ordonné à toutes les ambassades étrangères de distribuer une photographie datant de 1941 qui montre le dirigeant palestinien en exil à cette époque, Haj Amin Al Husseini, rencontrant Hitler [1]. La motivation derrière cette consigne de Lieberman était en rapport avec les critiques à l’échelle internationale suscitées par la décision d’Israël d’étendre ses colonies illégales sur le territoire occupé de Jérusalem-Est: le message – pas trop subtil – était que toute mesure politique contre les Palestiniens était justifiée dans la mesure où les Palestiniens étaient des nazis.

Cette semaine, le Freedom Center David Horowitz [2] a perpétré la même distorsion historique dans une annonce où il compare les professeurs d’université qui soutiennent la campagne de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions (BDS) contre l’Etat d’Israël à la persécution des nazis contre les juifs. Une telle comparaison ne tient compte ni du contexte politique et de celui des droits humains dans lequel l’appel BDS a été lancé, ni de son objectif ultime qui est d’obtenir d’Israël qu’il se plie aux normes internationales ayant trait à la défense des droits humains. C’est ainsi que les partisans de BDS sont vilipendés en tant qu’anti-juifs et que leur opposition à la politique illégale d’Israël est dénoncée comme exprimant une «haine à l’égard de l’Etat juif». Au moyen d’une série d’affirmations outrancières, leur soutien aux droits humains des Palestiniens est mis en rapport avec la politique des nazis, avec des appels au génocide et avec les meurtres de Toulouse [3].

La vérité est que l’appel pour BDS n’est antisémite ni dans son dessein ni dans ses effets. Il reflète simplement la reconnaissance du fait qu’après 20 ans d’échec des négociations et presque 44 ans d’occupation militaire et de colonisation illégale, le moyen par lequel les Palestiniens peuvent obtenir leurs droits et leurs libertés fondamentaux repose sur les initiatives de la société civile internationale.

L’obligation d’agir est elle-même inscrite dans le préambule de la Déclaration universelle des droits humains: «L’Assemblée Générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction.»

Et bien évidemment si les Etats prenaient leurs propres obligations au sérieux, la société civile internationale n’aurait pas besoin de s’engager dans de telles actions. Mais jusqu’à ce que soit le cas, nous sommes tous dans l’obligation de revendiquer les droits humains pour tous et toutes, indépendamment de la «race», des croyances ou de la classe sociale. Les partisans de BDS remplissent ce mandat et s’ils sont délibérément présentés sous un faux jour comme des nazis – ceux qui ont commis les plus vils sévices contre des êtres humains et leurs droits – cela montre peut-être qu’ils constituent une menace pour ceux qui défendent une situation injuste.

Mais sur le terrain la réalité est autre: tant qu’Israël poursuivra sa colonisation délibérée de la Palestine, ses violations des droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels ne feront qu’augmenter. Dans cette situation les appels pour BDS vont non pas diminuer mais plutôt prendre de l’ampleur, et les tentatives calomnieuses pour défendre l’injustice et pour réduire au silence les gens ayant une conscience en semant la crainte et la diffamation vont non seulement échouer, mais sont soi extrêmement dangereuses. En criant mensongèrement à l’antisémitisme là où il n’existe pas, ces calomnies dévalorisent la notion même d’antisémitisme et vont dans le sens des projets antisémites visant à rendre l’antisémitisme à nouveau respectable. Déjà maintenant elles souillent et banalisent la mémoire de l’Holocauste en l’utilisant comme moyen pour défendre une situation aujourd’hui injuste.

Dans son commentaire sur le stratagème d’A. Lieberman d’utiliser une photo de l’ère de l’Holocauste pour défendre la situation illégale actuelle, un commentateur israélien a noté que les diplomates d’Israël l’avaient accueilli avec «des rires, du scepticisme et une impression d’une erreur de communication qui ne contribue en rien à faire avancer le débat». On peut espérer qu’on pourra dire la même chose au sujet des calomnies actuelles d’Horowitz, mais ses attaques calculées contre l’intégrité de personnes sont peut-être bien plus menaçantes. (Traduction A l’Encontre)

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[1] Sur ce thème, pour disposer d’une compréhension des événements et de leur contexte, voir l’ouvrage de Gilbert Achcar, Les Arabes et la Shoah, Paris, Sindbad, 2009. Voir aussi le compte rendu de cet ouvrage sur ce site «Hitler, les Arabes et les Juifs» par Nora Benkorich. (Réd.)

[2] Un centre dont la fonction est définie de la sorte dans sa propre présentation: «La défense des sociétés dont les fondements moraux, culturels et économiques se trouvent sous l’attaque des ennemis de gauche et islamistes dans le pays [aux Etats-Unis] et à l’étranger». Hollande est déjà une de leurs cibles. Occupy est dénoncé comme un mouvement «communiste», ce qui prend une tonalité particulière, au sens de «mieux mort que rouge», pour faire référence à la période mccarthyste. (Réd.)

[3] Le lundi 19 mars 2012, l’école juive de Toulouse Ozar Hatorah a été attaquée par Mohamed Merah, qui a assassiné quatre personnes, dont trois enfants. Ce dernier avait assasiné antérieurement deux soldats dans la ville de Montauban, le 15 mars: Abel  Chennouf et Mohamed Legouad. Le caporal Loïc Liber a été très gravement blessé, paralysie complète. (Réd.)

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Mairead Corrigan-Maguire a reçu le Prix Nobel de la paix en 1976 pour son activité en faveur de la paix en Irlande du Nord. C’est une adepte de la non-violence. Elle a soumis cet article au New York Times. Il a été refusé. Il est paru en date du 3-4 mai 2012 sur le site  Counterpunch.

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