Palestine: dénier, de fait, l’ensemble des droits d’un peuple

Chadjaiya, le 20 juillet 2014
Chadjaiya, le 20 juillet 2014

Nous publions ci-dessous une partie d’un tract du Mouvement pour le socialisme (MPS) distribué lors de la manifestation de solidarité avec le peuple palestinien qui s’est déroulée à Lausanne le 22 juillet 2014. Ce tract était intitulé: «Gaza: une agression en toute impunité». Nous y avons ajouté quelques témoignages qui, malgré une parole qui s’épuise à attester l’atrocité, nous permettent de comprendre (c’est-à-dire de prendre avec) une partie des conditions de survie de celles et ceux à qui est dénié le statut d’être humain. En ce sens, au milieu des années 1960, alors que l’ampleur du drame historique était encore – malgré la Naqba de 1948 – peu saisie par la gauche dans les pays impérialistes, l’expression synthétique «le sionisme contre Israël» traduisait déjà une dynamique d’ensemble qui apparaît aujourd’hui avec évidence. Ainsi, dans une ruelle de la «Vieille-Ville» de Jérusalem, la reporter Florence Beaugé recueille la parole de «deux jeunes femmes en abayas noires [vêtement porté au-dessus des autres] qui s’expriment avec une rage contenue: “Les Israéliens parlent tout le temps de paix, mais ils tuent nos enfants! Chaque soir, nous regardons la télévision en famille. Mes enfants comprennent tout et ils ont déjà la haine des juifs”, dit l’une en montrant sa fillette de 5 ans. “Les Israéliens traitent mieux les animaux que les Palestiniens. Nous valons mieux que ça, tout de même!” ajoute son amie avec amertume.» (Rédaction A l’Encontre)

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Lundi 21 juillet, l’hôpital d’Al-Aqsa, situé dans le sud de la bande de Gaza, a été frappé. Un immeuble voisin, résidentiel, a aussi été frappé. Anal Charwan, médecin à l’hôpital Al-Shifa de Gaza, relate: «Dimanche, du monde est arrivé d’Al-Shuja’iyeh, où il y avait des attaques de missiles israéliens. Il y avait beaucoup de morts, beaucoup de blessés. Les maisons ont été détruites, tout le monde était à l’hôpital, marchait, s’asseyait sur le trottoir, sans rien faire. Il n’y a même pas de place pour accueillir les morts. Dans l’hôpital d’Al-Aqsa, qui a été frappé, on faisait de la chirurgie, de la réanimation, de la gynécologie aussi. Mais tous ces services ont été détruits.»

Islam Adhaïr vit à Rafah. Il témoigne: «C’est horrible ici, parce qu’on attend toujours notre bombe. La bombe qui va détruire notre maison. Il y a toujours des problèmes dans les services d’infrastructures, par exemple l’eau, l’électricité, les eaux usées aussi. On a juste quatre heures d’électricité par jour, qu’on utilise pour charger les portables, pour voir les infos par Internet et par la télévision.»

L’UNRWA, l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a annoncé que plus de 100’000 personnes étaient désormais déplacées et avaient trouvé refuge dans 69 écoles qu’elle gère. Mais Islam Adhaïr, lui, ne compte pas fuir: «Quitter ma maison, pour aller où? Il ne reste pas de places. Nous n’avons pas d’abris.» Monther, 27 ans, dans l’hôpital central Al-Shifa, le visage ensanglanté par un éclat d’obus, revit l’enfer qu’il a subi à Chadjaiya, faubourg de Gaza. C’était le dimanche 20 juillet. Ce faubourg a enduré l’agression la plus meurtrière, à cette date, de l’armée israélienne: «Peu après le premier repas du ramadan, les drones ont commencé à nous bombarder, puis les tanks, et les hélicoptères. On ne voyait plus rien, sauf la lumière des bombes. Il y avait des blessés, des morts – Monther se faufilait à travers les débris – mais je ne pouvais pas m’arrêter pour les aider. Les maisons étaient devenues des cimetières.» Nicolas Palarus, coordinateur de projet de Médecins sans frontières (MSF), explique au reporter de Libération (22 juillet 2014): «Israël prévient les habitants, à travers des tracts jetés par les avions, ou des appels téléphoniques. Ils ont demandé à la population de fuir la zone. Mais Chajaya est très densément peuplée. Ses habitants ne savent pas où aller, ni comment, puisque tout est bloqué. Et puis, beaucoup d’entre eux ne veulent pas quitter leurs maisons, où certains habitent depuis toujours. Nous [MSF], on est bloqués par les frappes, on ne peut pas se déplacer ou travailler, mais, au moins, on a la chance d’avoir un ailleurs, un dehors; alors que les habitants d’ici n’ont nulle part pour fuir. Une nuit, je me suis aperçu que quelque chose allait tomber lorsque j’ai été réveillé par un bruit que je n’entendais plus depuis des semaines: le bruit des voitures, de tous les gens qui se déplaçaient [en craignant l’offensive]. Après, sont venus les gens à pied, puis les animaux… L’attaque a été terrible, des quartiers entiers ont été rasés. La plus grande partie des victimes sont des civils. J’ai vu arriver des enfants morts décapités, eux ne sont pas des terroristes… Le vrai problème, c’est la masse des déplacés, entre 50’000 et 80’000. C’est ça qui est effrayant: leurs conditions de vie et d’hygiène. Les abris de l’ONU sont submergés. Pour vous décrire la situation, il y a deux écoles près de notre siège: la première a 600 places, dedans il y a 1340 personnes; dans la seconde, il y a de la place pour 200, mais 660 personnes y sont maintenant. Il y a une toilette pour 100 personnes environ. Les ordures ne sont pas ramassées. Il n’y a pas de savon, il n’y a rien. On a beaucoup de coupures électriques, ce qui rend dangereuses les interventions médicales. Les gens sont fatigués, ils ont peur, cela fait deux semaines qu’ils sont sous les frappes, ils sont épuisés.»

En Cisjordanie occupée, la révolte grossit. Le 21 juillet, à Ramllah, Adil, une étudiante palestinienne, traduit de la sorte une déception profonde face à l’Autorité palestinienne (AP): «La seule chose que l’on peut faire, c’est résister. Il faut résister contre cette vie, c’est aussi simple que ça! Nous devons faire quelque chose, nous devons changer les choses ici. Nous avons le droit de vivre et toutes les lois en place sont à bannir.» Elle fait référence à «l’ordre» que l’AP impose. Saleh Amra, un jeune homme venu manifester, est d’avis qu’il faut lancer la troisième intifada: «J’espère que cela se produira. Il est temps, nous en avons assez de ce qui se passe. Nous n’avons plus rien à perdre: les frontières sont fermées, la population n’a pas assez d’argent pour vivre, les gens meurent de faim partout, pas seulement à Gaza. Et ce qui se passe doit être dénoncé…» Au-delà de la question, qui appartient à la population palestinienne, d’une troisième intifada ou non, cette réaction traduit un fait élémentaire: la guerre menée par l’Etat sioniste ne se limite pas au «Hamas» ou à «Gaza», mais elle vise le peuple palestinien, avec sa profonde composante de résistance à cette politique colonialiste avec ses traits historiques qui tendent à nier l’existence même d’une population sur un territoire.

Un soutien durable – en Suisse et dans les pays dits occidentaux – aux droits légitimes du peuple palestinien nécessite, sans cesse, une compréhension de la politique et des actions de l’Etat sioniste et des luttes des opprimé·e·s et des exploité·e·s dans toute la région. On ne peut taire l’enfer vécu par les Palestiniens du camp de Yarmouk, dans la Syrie du dictateur Bachar el-Assad. C’est ce que nous rappelle le tragique témoignage suivant. Walid Habib, un rescapé de Chadjaiya, s’exclame: «Nous avons reçu des tracts pour évacuer, il y a quelques jours, mais je ne m’attendais pas à un tel carnage. C’est comme si nous étions à Alep. Je n’ai plus d’espoir – Walid cherche son frère disparu –, je vais aller directement à la morgue.» (Le Monde, 22 juillet 2014) Alep – la ville la plus historique de Syrie, qui n’est ni une capitale politique ou religieuse – est soumise, encore aujourd’hui, à une pluie de barils de TNT qui la réduit à une ruine. Il y a là un crime contre l’humanité, dans toutes ses dimensions (voir sur ce site l’article publié en date du 20 juillet).

Il faut éreinter cette impunité

Dès 1991, le droit de circuler librement a été supprimé pour les Gazaouis, alors qu’il était «affirmé» dans les accords dits d’Oslo en négociation. L’évacuation en septembre 2005 de Gaza par les colons israéliens et l’armée est un leurre. Gaza reste occupée: eau, électricité, matériaux de construction, médicaments, accès à la mer, etc., tout reste sous contrôle de l’Etat israélien et de ses forces dites de sécurité. Mads Gilbert, médecin norvégien – ex-rapporteur pour l’UNRWA et chirurgien opérant actuellement à Gaza –, écrivait avant cette nouvelle agression que «les enfants palestiniens de Gaza sont en majorité touchés par le régime de dénutrition imposé par le blocus d’Israël». Il constatait des enfants en sous-poids, du nanisme, des syndromes de tuberculose.

Karen Koning AbuZayd, ex-directeur de l’UNRWA, écrivait en 2008: «Gaza est en voie de devenir le premier territoire réduit à l’état de dénuement, avec l’accord, ou au moins la connaissance – et certains pourraient dire l’encouragement –, de la communauté internationale.» L’impunité des pires politiques de l’Etat sioniste est assurée.

Une campagne visant à délégitimer les actes du gouvernement israélien et faisant apparaître l’Etat pour ce qu’il est doit se développer. Cette campagne peut s’appuyer sur le rapport de Richard Goldstone, demandé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, sur l’opération «Plomb durci» (décembre 2008-janvier 2009), sur les nombreux rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch. Elle peut trouver des relais dans un secteur, certes minoritaire aujourd’hui, de la société israélienne, dans ses diverses composantes.

Cette campagne peut se concrétiser en termes de demande de sanctions, de boycott, de désinvestissement (BDS). Elle peut s’inscrire dans la défense des droits spécifiques des réfugiés dans toute la région: réfugiés palestiniens, réfugiés syriens, irakiens, bahreïnis… Au même titre qu’une campagne contre le racisme à coloration confessionnelle qui frappe des millions d’habitants au Maghreb et au Machrek. C’est dans ce sens que la défense internationaliste des droits du peuple palestinien (y compris de ceux exilés par la force) peut affirmer ses valeurs universalistes, donc s’opposant à tout racisme, quel qu’il soit. (MPS, 22 juillet 2014)

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