Le mur après 10 ans (VI) : Qu’est-ce que la lutte a obtenu?

Des Palestiniens "regarde" le début de la construction du mur à Wadi a-Rasha

Haggai Matar

Le fait de rappeler les 10 ans passés depuis la construction du mur implique également de commémorer les presque 10 ans de luttes contre sa construction, comme nous l’avons décrit dans l’article précédent. Lorsqu’on examinera ce à quoi a abouti la construction du mur, on devra aussi se demander ce que la lutte contre sa construction a accompli. Cela surtout au vu du prix élevé payé par tant de personnes, alors que le mur ne suit toujours pas Ligne verte [ligne de démarcation datant de 1949].

La première réponse, la plus évidente, est simple: dans beaucoup de villages, les soulèvements ont permis de modifier le tracé du mur et de regagner une partie des terres, sur décision soit de l’appareil de sécurité, soit de la Cour suprême. Mais lorsqu’on pose la question à des militants palestiniens reconnus sur ce qu’ils ont gagné, leurs réponses sont beaucoup plus liées à des principes. Certains mentionnent la création d’une alternative non-armée pour l’ensemble de la lutte palestinienne, d’autres soulignent l’importance des liens que cette lutte a permis de forger entre des Israéliens et des Palestiniens, liens qui ébranlent profondément la séparation politique que le mur cherche à imposer. Certains mentionnent également la solidarité internationale pour la cause palestinienne suscitée par ces manifestations. Malgré le fait que ces actions se poursuivent depuis une décennie, aucun de ces militants n’envisage de passer à la résistance armée.

«Montrer au monde que nous sommes non pas les terroristes mais bien les victimes de la terreur»

«Depuis que notre lutte a commencé, la réponse de l’armée a été brutale: beaucoup de moutons et de poules sont morts à cause des grenades à gaz lacrymogène tirées dans les basses-cours; des personnes ont été blessées et arrêtées, le prix était trop élevé – alors j’ai décidé d’arrêter de manifester» explique Sharif Khaled, un des principaux militants des protestations de Jayous qui ont duré de septembre 2002 jusqu’en 2004. Elles ont brièvement repris en 2008, lorsqu’Israël a déplacé le tracé du mur sur des terres appartenant au village, en en rendant qu’une partie.

« étaient avant tout un instrument permettant aux gens d’exprimer leurs sentiments. Elles nous ont également permis d’entrer en contact avec des militants israéliens et étrangers. Mais l’armée n’en a tenu aucun compte, c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas pu continuer. Je pense néanmoins que c’était – et reste encore – la meilleure manière de transmettre un message à Israël. Même si on a mis un terme à nos manifestations, c’est grâce à elles que nous continuons à rencontrer des Israéliens, que nous avons davantage de soutien lors des procédures judiciaires et que nous sommes interviewés par des journalistes du monde entier, tout comme vous [les Israéliens]. Et tout cela fait aussi partie de la résistance non-violente et est un moyen de faire connaître notre message».

Raad Amer, un des fondateurs de la tente de protestation de Mes’ha en 2003, ajoute : «L’idée d’accepter la participation d’Israéliens et d’activistes internationaux et de camper avec eux en 2003, au plus fort de la deuxième Intifada, a été un défi important, et cette initiative a eu un grand succès grâce au respect et à la compréhension commune des besoins des différents participants. On peut aussi ajouter que cela a permis d’attirer l’attention internationale au moment de la guerre en Irak, d’obtenir le soutien de la Cour internationale de Justice et de promouvoir des actions non-violentes contre l’occupation

Dans le village de Ma’asara, les résidents ont protesté contre le mur toutes les semaines pendant plus de cinq ans. Au début ce sont surtout les femmes qui manifestaient et engageaient des actions directes pour stopper les bulldozers. Mais avec le temps la construction du mur dans cette région a été stoppée; maintenant les manifestations sont centrées surtout sur des longues conférences trilingues adressées à la fois aux militants qu’aux soldats qui sont sur place. Ici les organisateurs sont fermement engagés dans la non-violence. Et ils ne jettent pas de pierres aux soldats même s’ils attaquent les manifestations.

Selon Um-Hassan Beirjieh, une des principales activistes femmes du village: «Ce à quoi nous tenons le plus dans cette lutte c’est la possibilité de faire entendre notre voix dans le monde, d’insister sur le fait que nous ne sommes pas des “terroristes” mais plutôt les victimes de la terreur. Après cinq années de manifestation, nous pouvons constater le soutien croissant dont nous bénéficions dans le monde: on montre de plus en plus que c’est l’armée israélienne – et pas nous – qui est à l’origine de la violenc. C’est là un message que nous continuerons à envoyer par l’intermédiaire de nos manifestations aussi longtemps qu’il y aura sur nos terres des colons qui nous empêchent de former un Etat indépendant. »

Du football par-dessus le mur à Bil’in

Parmi toutes les localités qui ont repris l’appel contre le mur, il en est une qui est devenue célèbre à l’échelle internationale et qui, aujourd’hui, plus qu’aucune autre symbolise la lutte populaire: le village de Bil’in. Les raisons de cette place centrale que Bil’in a prise dans la lutte contre le mur sont multiples. Il y a les manifestations hebdomadaires qui y ont été conduites durant plus de sept ans; le documentaire primé Bil’in Habibti (Bil’in mon amour) qui y a été réalisé; ou encore les deux membres d’une même famille, Bassem et Jawaher Abou-Rahm, qui ont été assassinés par l’armée alors qu’ils manifestaient pacifiquement. Il y a aussi l’incroyable inventivité qui s’est manifestée dans les protestations au cours des années.

Pour résumer certaines des trouvailles qui ont émaillé les luttes à Bil’in, il faut mentionner les tentatives de jouer au football avec les soldats de l’autre côté du mur lors de la coupe du monde de foot afin de contrefaire une publicité diffusée par Cellcom, un des principaux opérateurs israéliens de téléphones mobiles. Les costumes pour le déguisement faisaient allusion au film populaire Avatar [film américain de science-fiction]. L’enfermement de militants palestiniens dans des cages qui étaient fixées au sol sur le passage des bulldozers. Des compétitions de cerfs-volants. La construction d’un grand modèle de bateau après «l’incident de la flottille» [attaque par l’armée israélienne contre la flottille visant à briser le blocus de Gaza, en mai 2010]. Des cortèges de nuit avec des bougies en réponse aux raids nocturnes de l’armée [entre autres sur Gaza]. Le survivant de l’Holocauste qui est venu jouer au piano sur le tracé du mur. L’organisation d’une conférence annuelle sur la non-violence en invitant, entre autres, «les Aînés» : Desmond Tutu et Jimmy Carter. Les manifestations à Bil’in se sont poursuivies chaque semaine jusqu’à ce jour, même après que la Cour suprême a décidé qu’une partie des terres devait être rendue.

Il faut cependant souligner que contrairement à Ma’asara, la plupart des manifestations à Bil’in finissent par des jets de pierres contre les soldats lorsque ces derniers attaquent les manifestations non-violentes avec des grenades de gaz lacrymogène. Récemment il a été prouvé devant le tribunal que lorsque les Palestiniens évitent de lancer des pierres, des agents provocateurs des forces de sécurité israéliennes le font à leur place.

«Il y a beaucoup de raisons de poursuivre notre combat» explique Mohammed Khatib, un des dirigeants du comité populaire local. «Ce sont les victoires qui nous ont donné l’espoir, mais il y a aussi le soutien que nous recevons dans le village, la coopération avec les Israéliens et les militants internationaux, ainsi que l’impact que nous avons sur l’ensemble de la lutte palestinienne qui est actuellement en train d’adopter notre stratégie.

Une autre raison est que Bil’in est maintenant un symbole national qui doit être maintenu. Mais la lutte continue surtout parce que nous n’avons pas encore atteint nos objectifs: non seulement une partie de nos terres se trouve encore de l’autre côté du mur, mais l’armée ne nous permet pas de construire quoi que ce soit sur les terres qui nous ont été rendues: tout ce que nous construisons est immédiatement démoli. Il s’agit donc d’une lutte contre l’ensemble de l’occupation, et celle-ci est loin d’être terminée

«Notre rêve est qu’un jour nous puissions créer un parc sur ces terres, avec un centre d’études académiques consacré au combat non-violent et à des études sur la paix. Ce serait également un beau coin où les familles pourraient se promener dans un beau paysage, avec des animaux partout. Nous espérons que nous aurons notre propre Etat libre et que nos enfants ne vivront pas la vie que nous avons connue sous l’occupation. N’est-ce pas une raison suffisante pour poursuivre le combat?» (Traduction A l’Encontre)

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