Le mur, 10 ans plus tard (VII): le village emprisonné… et un pogrom

Par Haggai Matar

Haggai Matar a été le témoin, le mercredi soir 23 mai 2012, de l’attaque contre des magasins et des immigré·e·s africains dans le quartier de HaTikva dans le sud de Tel-Aviv. Le mot d’ordre de la manifestation: «Les Soudanais au Soudan!». En effet, une partie de l’immigration africaine en Israël provient de deux pays dévastés par des conflits: le Soudan ou l’Erythrée. Des manifestants, selon les déclarations de la police israélienne, ont attaqué et pillé des magasins qui appartiennent à des Africains. Les slogans racistes ont fusé.

Quant au gouvernement israélien, il a pris la décision de construire, depuis novembre 2011, une nouvelle clôture – électrifiée, avec fil de fer rasoir (fil coupant) – de 250 kilomètres. Elle doit coûter quelque 300 millions d’euros. Les premiers 120 kilomètres ont été budgétés en fin 2011, pour une somme de 130 millions d’euros. A cela s’ajoutent les efforts de la police égyptienne qui n’hésite pas à tuer des migrants. De plus, le contrôle, au moyen d’une barrière souterraine, est toujours en vigueur entre Gaza et l’Egypte. Ces murs – qui se multiplient – traduisent, à eux seuls, le désastre historique provoqué par l’entreprise coloniale sioniste, qui s’inscrit dans l’histoire coloniale qui a marqué et marque la région. A cela s’ajoute le projet de construction d’une prison d’une capacité de 11’000 personnes – le plus grand «centre de rétention» de migrants du monde – dans le désert du Néguev, comme le rapporte le quotidien anglais The Guardian, en date du 17 avril 2012. Enfin, le gouvernement israélien menace de renvoyer les migrants dans la région du Darfour et dans le Sud-Soudan, alors que la situation est reconnue comme relevant d’un état de guerre. Ce qui provoque une véritable peur chez ceux et celles qui sont des réfugiés et le proclament à juste titre. Un statut et un terme qui devraient faire réfléchir, pour le moins, les Israéliens qui cultivent la mémoire historique, plus exactement une certaine histoire officialisée.

Haggai Matar, dans son texte concernant les manifestations xénophobes de Tel-Aviv, souligne que des attaques, avec des cocktails Molotov, ont eu lieu contre des centres pour réfugiés, dans le quartier de Shapira, il y a quelques semaines. Lors de la manifestation dans le quartier de HaTikva – il y avait, en fait, plusieurs manifestations, avec des tonalités différentes – des militants du Likoud développaient cette orientation: «la crise sociale dans ce quartier déshérité est le résultat de la présence des immigrés et de la “gauche”». Une sorte de pogrom, pour reprendre la formule de militants antiracistes, a eu lieu. Voilà une autre tragique ironie de l’histoire. Les lecteurs et lectrices peuvent en saisir quelques éléments au travers de ce diaporama: http://www.flickr.com/photos/activestills/7264579304/ (Rédaction A l’Encontre)

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Il n’existe pas d’autre lieu qui lui ressemble en Cisjordanie. Les résidents du village de Walajah font appel aux tribunaux, manifestent, lancent un théâtre protestataire et des spectacles musicaux – mais le mur qui finira par les encercler de tous côtés continue à grandir.

La dernière fois que j’ai visité Walajah, je ne suis parti qu’en fin d’après-midi, peu avant le crépuscule. Il était vendredi et la voiture roulait, sur un chemin en pente, vers le check-point qui donne accès à Jérusalem. Un panorama magnifique se déroulait tout autour de moi. Soudain j’ai vu des dizaines de Palestiniens portant des sacs qui marchaient dans la direction opposée. Au début j’ai pensé qu’il pouvait s’agir de travailleurs qui rentraient chez eux depuis la ville ou après une manifestation dont je n’avais pas été informé. Mais je me suis bientôt rendu compte qu’il s’agissait de tout autre chose: un peu avant le check point, j’ai remarqué un endroit sur les pentes de la colline, à ma droite, où des dizaines de familles faisaient des pique-niques entre de vieilles ruines et quelques fontaines. Les gens que j’avais aperçus le long de la route étaient simplement des familles qui revenaient chez elles, après une journée au grand air.

Mais en voyant ces familles qui se détendaient, les enfants qui grimpaient sur les fontaines et les parents qui regardaient vers Jérusalem qui s’étendait à l’autre bout de la vallée, je me suis rappelé que, dans quelques mois à peine, plus aucune de ces personnes ne pourrait se rendre dans ce petit coin de paradis. En effet, Walajah sera encerclé à 360° par le mur de séparation et les pentes de cette colline deviendront un parc de loisir pour les résidents de notre capitale. Le fait de perdre cet endroit qui se prête si bien à des pique-niques en famille n’est peut-être pas la conséquence la plus grave pour ce village destiné à se transformer en une grande prison. Toutefois, en cette belle après-midi de printemps même cette conséquence mineure (la «suppression» de ce lieu pour des pique-niques en famille) me paraissait terrible.

Le Tribunal a donné son verdict, le monastère sera coupé en deux et le village encerclé

Le tracé du mur autour de Walajah est à peu près le pire en Cisjordanie. Israël a promis qu’il y aurait un tunnel souterrain qui relierait le village à Beit Jala, une localité voisine et que les agriculteurs pourraient encore avoir accès à leurs terres. Le village sera néanmoins entouré de tous les côtés d’un mur de béton mesurant entre deux et huit mètres de haut. Les villageois perdront le libre accès à leurs terres ainsi que toute possibilité d’expansion ; la vue imprenable dont ils jouissent actuellement ne sera qu’un souvenir et la zone de loisirs sera désormais utilisée pas d’autres gens qu’eux.

La couleur rouge et violet indique le mur qui entoure al-Walajah

Le village d’origine de Walajah datait du XVIe siècle, il était situé à plusieurs kilomètres au nord-ouest de son emplacement actuel. En 1949, ses résidents ont fui devant l’armée israélienne et traversé la vallée de Emek Refa’im avant de reconstruire leur village sur leurs propres terres agricoles dans ce qui était alors la Jordanie. Leur village d’origine est maintenant réduit en ruine, sous une forêt d’arbre financée par le Fonds national juif et le kibboutz de Aminadav. En 1967, une partie du (nouveau) village a été annexé à Jérusalem et une partie de ses terres a servi à construire les colonies de Gilo et de Har Gilo. Pourtant, les villageois n’ont pas reçu des papiers d’identité israéliens (comme c’était la norme dans les parties de Jérusalem qui étaient complètement annexées).

Ce n’est en 2006-2007 que les autorités israéliennes ont bouclé les détails et approuvé le tracé du mur à Walajah, tel qu’il est actuellement. Depuis 2007, le village a été bloqué étant donné une bataille judiciaire contre ce tracé. Outre le fait qu’il encercle l’entièreté du village, ce tracé coupe également en deux un monastère, séparant les moines des sœurs et laisse une maison du «mauvais» côté du mur, ce qui nécessitera la construction d’une barrière spéciale autour de cette maison et un tunnel souterrain supplémentaire pour la relier au village. Au début, la Cour suprême avait arrêté la construction du mur, mais en 2011 elle a autorisé l’Etat à poursuivre sa construction, même si une décision finale sur le tracé est encore pendante. Depuis lors, les bulldozers sont revenus au village et les résidents essaient de se battre contre le mur et le parc de loisirs et une nouvelle colonie qui sont prévus sur leurs terres.

Entre les séances de tribunal, un petit groupe de villageois s’efforce de mener une lutte populaire contre le mur. A plusieurs reprises des activistes israéliens et internationaux ont aidé à stopper sa construction pendant un temps, jusqu’à ce qu’ils soient arrêtés. Mais le village n’a finalement pas réussi à mener des manifestations régulières comme celles qui ont lieu à Jayous, Budrus, Bil’in et Ma’asara.

Parfois les villageois organisent un spectacle de musique ou de théâtre sur le tracé du mur ou une autre forme de protestation créative et artistique. Au cours de ces derniers mois des membres du Theâtre de la liberté de Jenine ont joué avec une technique de play-back devant la maison laissée isolée à l’extérieur du mur. La police a tenté d’empêcher des supporteurs d’y participer, mais la plupart ont réussi à contourner le barrage et à atteindre le spectacle. C’est après cet événement que j’ai vu les familles pique-niquer, ce que je décrivais plus haut.

Un microcosme de la Palestine

Lorsque j’avais participé à une manifestation à Walajah en 2007, j’avais été très heureux d’apprendre qu’une des dirigeantes locales de la lutte était Sheerin Al-Araj. Al-Araj avait été un de mes guides dans l’université «Nir» d’été israélo-palestino-jordanienne à laquelle j’ai participé à la fin des années 1990. Depuis lors, elle avait travaillé en tant que militante indépendante des droits humains et avait, entre autres, été envoyée par les Nations Unies pour les missions humanitaires au Soudan, au Liban, en Ethiopie et en Irak. Lorsqu’elle est chez elle, elle essaie de défendre ses propres droits humains et ceux de ses voisins.

«La vérité est que nous ne sommes pas très doués pour les manifestations par ici», avoue-t-elle en riant. «Mais nous faisons d’autres choses. Nous voyons que nous serons bientôt encerclés de toute part, alors nous avons commencé à aider les gens, et surtout les femmes, à se préparer à vivre avec les nouvelles restrictions que nous connaîtrons lorsque le mur sera complété. En attendant, nous nous adressons également à des journalistes et des diplomates, nous avons reçu des représentants de l’Union européenne et des Etats-Unis à nos sessions de tribunal. Mais je ne pense pas que tout cela pourra stopper la construction maintenant, et nous perdrons probablement toutes nos terres. C’est parce que la situation est si extrême ici que j’ai l’impression que c’est comme un microcosme de la Palestine. Personne n’exige qu’Israël rende des comptes pour ses actions, ce pays jouit du soutien total des superpuissances et tant que ce sera le cas il continuera à perpétrer ses crimes. Néanmoins, je suis sûre que cela changera un jour. Cela prendra peut-être 10 ou 15 ans, mais les choses changeront et lorsque ce sera le cas, les Israéliens devront probablement affronter non seulement les Palestiniens mais aussi l’ensemble du monde arabe. J’espère vraiment que les Israéliens comprendront cela et trouveront une solution qui ne nous conduira pas à nous entre-tuer – mais pour le moment je ne les vois pas essayer de changer leurs desseins.»

Et pendant que j’écoute Al-Araj, je vois les parties du mur qui sont déjà en place, le tracé où sera construit le reste et à l’arrière-plan, Jérusalem. Il suffit de cinq minutes en voiture, y compris le passage du check-point, pour atteindre le principal stade de football de Jérusalem («Teddy»).

J’essaie d’imaginer à quoi ressemblera la vie dans le village lorsqu’il n’y aura qu’un seul tunnel pour le relier au reste du monde. Que se passera-t-il si le tunnel s’effondre ou est inondé ?

Plus simplement : comment sera-t-il possible de vivre entouré d’un mur ? Cela me rappelle mes jours en prison, où, certains jours, ma seule consolation était de regarder le seul bout de nature qui reste à un prisonnier: le ciel. Mais ce ciel est en train de s’obscurcir, des nuages deviennent rouges dans le crépuscule brûlant. La colère prédite par Al-Araj semble désespérément réaliste. (Traduction A l’Encontre)

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Cet article, comme les autres de la série, a été publié sur le site +972.

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