Le long du mur, avec les Combattants pour la paix

mur-bethleemPar Camille Laurens et Gisèle Sapiro

Nous longeons le mur de séparation qui borde les nouvelles routes construites pour relier les colonies de la zone C des territoires occupés de Cisjordanie à la ville de Jérusalem, dans la fourgonnette des Combattants pour la paix. Cette organisation fondée en 2005 est animée, entre autres, par deux pères, Bassam et Rami, un Palestinien et un Israélien, qui ont tous deux perdu leur fille, le premier par un tir de soldat, le second dans un attentat. Ils se sont associés pour promouvoir le dialogue et la paix entre les deux peuples. L’objectif est de constater et faire connaître ce qui se passe sur le terrain, précise Adi, l’une des trois membres du mouvement qui nous accompagnent. Adi une étudiante, comme Teddy. Au volant, Michal, qui travaille comme conseillère dans le domaine de la santé mentale. C’est la sociologue Eva Illouz qui nous a invitées à nous joindre à cette «excursion politique».

A l’entrée de Bethléem, en se rendant vers la Tombe de Rachel, un des Lieux saints que se disputent les parties, on aperçoit un groupe de travailleurs palestiniens qui attend, tête baissée, de passer le check-point pour pouvoir rentrer chez eux après une rude journée de travail. Bethléem, comme la plupart des villes de Cisjordanie, se situe depuis les accords d’Oslo dans la zone A, qui relève de l’Autorité palestinienne. Elle représente 18% des Territoires. Le mur la sépare de la zone C où sont implantées les colonies, et qui est entièrement sous contrôle israélien. Cette zone C couvre environ 60% des Territoires. La Tombe de Rachel, qui devait être initialement incluse dans la zone A, y a été rattachée suite aux protestations de groupes juifs religieux. Elle est enclavée par le mur. En zone B, qui regroupe les habitations rurales, l’administration civile est assurée par l’Autorité palestinienne, mais Israël garde la prérogative en matière de sécurité.

Le mur. Côté colonies, il se pare de la pierre de Jérusalem. Côté villages palestiniens, il dévoile l’affreuse nudité du béton armé. Puis ça s’arrête, sur quelques centaines de mètres, et ça reprend. Le mur. Il sillonne les territoires, encercle les zones d’habitation, quadrille l’espace, conquiert des terres en mal d’exploitation. La plupart des juifs israéliens qui souhaitent la paix et soutiennent la création d’un Etat palestinien (52% selon les derniers sondages) pensent qu’il suffira de suivre la ligne verte, en la contournant pour annexer les groupes des colonies des Gush Etzion, au sud de Jérusalem; or, sur le terrain, la situation apparaît beaucoup plus compliquée, nous explique Adi, qui commente en anglais et en hébreu ce qui défile sous nos yeux.

Du haut de la colline d’Hérodion, on voit les terrasses de construction de la colonie de Tekoa, qui se rattache à Gush Etzion. Il y a les constructions autorisées par le gouvernement israélien, bien qu’elles soient illégales selon le droit international; et il y a celles qui ne le sont pas, mais qui parviennent le plus souvent à s’imposer. De 1967, date de la conquête des territoires, à 1978, les saisies de terres étaient justifiées par des raisons militaires. En 1979, un groupe de généraux israéliens à la retraite a récusé l’argument sécuritaire lors d’un recours contre la colonie d’Elon Moreh auprès de la Cour suprême de justice, invalidant désormais ce type de justification. Qu’à cela ne tienne: on alla exhumer une loi ottomane selon laquelle les terres non exploitées depuis trois ans peuvent être appropriées par l’Etat, devenir «terres d’Etat».

Nous voici à Al-Walajah. Ici, dit Adi, la logique de l’occupation est poussée à l’extrême. Ce village palestinien de 2000 habitants, situé à quelques kilomètres de Bethléem, va bientôt être encerclé par le mur. Il n’y aura plus qu’une sortie, contrôlée par des soldats israéliens. «Imaginez que votre fille aille à l’école dans le bourg voisin, comment va-t-elle rentrer en cas de bouclage?» poursuit Adi. La maison d’Omar, située à l’extrémité du village, sur le bord d’une colline, ne peut être «emmurée» pour des raisons géologiques. Les autorités israéliennes ont tenté en vain de convaincre ce père d’une famille de trois enfants de s’en aller: ni l’argent ni les pressions ne l’ont décidé à quitter la terre de son père et de son grand-père. L’ordre de démolition de sa maison, émis par le ministère de la Défense, a été débouté en justice. Une solution a finalement été trouvée: creuser un tunnel – coût: environ 5 millions de shekels (un million d’euros) – pour relier au village la maison qui va être encerclée… par une barrière électronique!

Mohammed Oweda nous a rejoints devant la maison d’Omar. Il nous conduit à la dernière étape de notre parcours, l’hôtel Everest, à Beit Jala, où nous allons prendre le thé. Mohammed est un travailleur social et un poète, un bénévole et un combattant pour la paix. Il vit à Jérusalem-Est. Les Palestiniens de Jérusalem-Est ont le statut de «résident permanent», nous raconte-t-il. Un statut qu’ils peuvent perdre s’ils quittent la ville plus de trois ans. Par exemple, s’ils partent faire des études à l’étranger. La précarité de ce statut pousse certains d’entre eux à demander la citoyenneté israélienne afin d’obtenir un passeport, mais la procédure est compliquée.

Nous parlons de Mahmoud Darwich. Mohammed est un fou de Darwich. Dans son émission de radio, il met ses poèmes en musique. Au moment de partir, il nous prête un disque à écouter en route, mais le lecteur de la fourgonnette ne peut le lire. Après la rencontre, il nous enverra par mail ce poème de Darwich en traduction française:

Orgueilleux

Orgueilleux
Orgueilleux
Quel que soit ton éloignement
Tu resteras à mes yeux et à mes sens
Un ange
Tu demeures, comme notre amour
A voulu que je te voie
Ton zéphyr est en ambre
Ton sol est du sucre
Et moi je t’adore
Tes mains un bosquet
Et pourtant je ne chante pas
Comme tous les rossignols
Les chaînes m’apprenaient la révolte
Je me révolte, je me révolte
Parce que je t’adore
Mon chant épine à fleurs
Mon silence est l’enfance d’un tonnerre
Un passage serpentin
Du sang de mon cœur
Tu es la terre et le ciel
Et ton cœur est vert
Et l’éloignement, en moi, rapprochement
Comment ne devrais-je pas t’aimer
Tu demeures, comme notre amour, a voulu que je te voie
Ton zéphyr est en ambre
Ton sol est du sucre
Et ton cœur est vert
Et je suis l’enfant de l’amour
Entre tes bras doux
Je grandis et vieillis.

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Camille Laurens est écrivaine, Gisèle Sapiro, sociologue au CNRS. Article publié dans le quotidien français Libération, le 31 mai 2013.

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