Gaza. Les craintes d’une nouvelle guerre réveillent d’anciens traumatismes

La famille Shaheen mange devant sa maison, détruite en 2014. Jusqu’à maintenant, il été impossible de la reconstruire.
(Mohamed Al Hajjar – +972)

Par Amjad Yaghi

GAZA CITY – Dans le village d’Abasan, dans le sud de la bande de Gaza, la famille de Hussein Shaheen vit toujours dans les décombres. Leur maison a été détruite pendant la guerre d’Israël contre Gaza en 2014, et ils ne l’ont pas reconstruite depuis.

Depuis que les Gazaouis ont commencé la Grande Marche du Retour il y a plusieurs mois, Israël a riposté par la force, et les tensions sont à nouveau élevées. On rapporte qu’Israël et le Hamas seraient à un stade avancé de négociation d’un cessez-le-feu, mais l’incertitude constante de savoir si la situation changera pour le meilleur ou pour le pire, de savoir si les Gazaouis doivent se préparer à un répit ou à une intensification, suscite de profondes inquiétudes [article publié le 8 août 2018]. L’offensive militaire de 2014 et ses conséquences hantent toujours les habitants de Gaza et la possibilité d’une autre guerre ranime chez eux des souvenirs douloureux.

Shaheen, 38 ans, vit avec son épouse, Samaher Abu Jamea, 33 ans, et sa petite fille, Salma, dans des tentes qu’ils ont dressées au milieu des décombres. Après la guerre, ils se sont adressés au ministère palestinien des Travaux publics et du Logement à Gaza pour obtenir de l’aide pour reconstruire leur maison, mais sans succès.

«Depuis quatre ans, nous vivons et nous mangeons dans les décombres», raconte Jamea, avant d’ajouter: «Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises au ministère pour exiger qu’ils accélèrent la construction de notre maison, mais malheureusement, de nombreux obstacles se dressent sur leur chemin», faisant référence aux restrictions imposées par Israël sur l’entrée des matériaux de construction à Gaza.

Depuis la guerre de 2014, Israël a suspendu à plusieurs reprises les importations de matériaux de construction, ce qui a provoqué un retard dans la reconstruction de logements. Les restrictions imposées par Israël vont de la fermeture du point de passage de Kerem Shalom à Gaza, à l’interdiction de matériaux comme le ciment et la tuyauterie, en passant par la réduction du nombre de camions pouvant transporter des matériaux et des coupures dans l’approvisionnement de l’électricité, des carburants et de l’eau.

Selon Naji Sarhan, le sous-secrétaire du ministère des Travaux publics et du Logement de Gaza, 9’000 des 11’000 logements totalement détruits lors de la dernière guerre ont été reconstruits, et la moitié des 160’000 logements partiellement endommagés réparés en date de juillet 2018.

La situation politique a désarçonné les donateurs qui savent qu’en raison du bouclage il est difficile d’envoyer les matériaux de construction les plus essentiels. D’après Naji Sarhan, de nombreuses promesses internationales de fonds pour la reconstruction n’ont pas été tenues et en date du mois dernier (juillet), seulement 40% des 4 milliards de dollars promis pour la reconstruction avaient effectivement été fournis.

«Les gens de Gaza ne veulent pas d’une guerre, mais ils sont les victimes d’un blocus israélien étouffant qui s’est récemment encore intensifié», a expliqué Sarhan.

Cette intensification s’accompagne de sentiments de désespoir. Lorsqu’on promet aux gens l’accès à une réhabilitation et à de meilleures conditions de vie, mais que ces promesses ne sont pas tenues, ils perdent espoir. Lorsque quatre années s’écoulent et que les conditions de vie demeurent inchangées, il devient encore plus difficile de garder de l’espoir.

Les habitants de Gaza luttent pour reconstruire non seulement leurs maisons, mais aussi leur vie. Le quartier de Shuja’iyya à Gaza a été l’une des zones qui ont subi le plus de dégâts et de morts pendant la guerre de 2014: d’après les Nations Unies, 507 personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées dans ce quartier.

Cet été-là, Moeen Hilles a échappé au bombardement du quartier de Shuja’iyya avec sa famille de six personnes et a cherché refuge dans l’une des écoles de l’UNRWA sur la côte d’Al-Remal. Ses filles, Aya, huit ans, et Maryam, 11 ans, ont reçu un traitement psychologique pour le traumatisme qu’elles ont subi, mais même aujourd’hui, le fait d’entendre des bombardements les ramène à cette guerre qu’elles ont vécue.

Hilles explique: «Je suis impuissant devant leurs cris. Aya avait quatre ans, mais elle n’oublie pas la peur et la terreur qu’elle a subies lors de la guerre israélienne (…) Maryam pouvait entendre les avions et les chars d’assaut, ce qui est terrifiant pour des enfants. Les enfants ne veulent pas de guerre. Ils veulent grandir et vivre la vie qu’ils voient décrite sur les dessins animés.»

Selon Fadel Ashour, professeur de psychiatrie à la Faculté de médecine de l’Université Al-Azhar, la perspective d’une nouvelle guerre a intensifié l’anxiété post-traumatique chez les Gazaouis. Il explique que les traumatismes se sont accumulés au fil des générations et que des centaines de patients ont visité sa clinique au cours des derniers mois.

«Le grondement des avions de reconnaissance ainsi que la diffusion de mauvaises nouvelles suscitent un état de déséquilibre. Ils activent les symptômes du traumatisme précédent et la peur d’une récurrence», explique-t-il.

Ali Akram Abou Shanab, 21 ans, de Shuja’iyya, a vu sa grand-mère et son oncle mourir pendant la guerre de 2014: «Nous étions dans la maison familiale avec 17 personnes, dont la plupart des enfants, et mon père a décidé de nous faire sortir en trois groupes pour que notre départ se fasse avec le moins possible de dégâts humains. Au moment où nous partions, les bombardements se sont intensifiés.»

Alors qu’il fuyait les bombardements avec sa jeune sœur, il a vu s’effondrer une maison en écrasant sa grand-mère et son oncle: «J’étais bouleversé mais j’ai continué à courir pour fuir la maison et les corps de ma grand-mère et de mon oncle jusqu’à atteindre une ambulance qui m’a emmené à l’hôpital Shifa.»

Abu Shanab a eu du mal à terminer ses études secondaires en raison de son stress post-traumatique, mais en juillet, il a obtenu un diplôme d’excellence de l’University College of Applied Science.

Pour des personnes comme Abou Shanab qui ont trouvé les moyens de persévérer malgré les traumatismes, la possibilité d’une nouvelle guerre signifie potentiellement la perte de tout ce qu’ils ont pu accomplir malgré ces handicaps.

Il explique: «Je ne nie pas que je crains une guerre alors que nous ne nous sommes pas encore remis des souvenirs de la guerre passée, et que des maisons, la nôtre et celles de beaucoup d’autres gens, ont encore besoin d’être reconstruites». (Article publié sur le site du magazine israélien +972 en date du 8 août 2018; traduction A l’Encontre)

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