Israël. A propos de la «Liste commune»

Ayam Odeh (à gauche), Hanin Zoabi (au centre) et Jamal Zahalka, devant  la Cour suprême le 15 février
Ayam Odeh (g.), Hanin Zoabi (c.) et Jamal Zahalka, devant la Cour suprême le 15 février

Par Michel Warschawski et par Elhanan Miller

Nous publions ci-dessous, pour information, un article de Michel Warschawski paru dans le Courrier de Genève et un «reportage» de The Times of Israël, en date du 8 mars 2015, quotidien sioniste, sur la « Liste commune» et son leader Ayam Odeh. (Rédaction A l’Encontre)

C’est sur un coup de tête que Benjamin Netanyahou a annoncé de nouvelles élections législatives qui auront lieu le 17 mars…

Avec une majorité confortable, même après le départ de son allié du centre droit Yesh Atid, Netanyahou pouvait tranquillement aller jusqu’à la fin de son mandat, et poursuivre sa politique jusqu’au-boutiste et suicidaire qui va jusqu’à provoquer une crise majeure avec l’allié étatsunien.

Un Likoud sans opposition

Tout laisse prévoir que ces élections vont être un coup pour rien, et qu’au lendemain du 17 mars ce sera du pareil au même. Pourtant, Netanyahou n’est pas apprécié, c’est peu de le dire, et sa politique intérieure et internationale n’est pas un succès: la croissance économique s’essouffle, le niveau de pauvreté a encore augmenté et l’isolement d’Israël sur la scène internationale est sans précédent. Sans oublier l’agression militaire contre Gaza, qui, pour l’État hébreu, a été un échec. Si tous les sondages donnent le Likoud gagnant, ce n’est donc pas tant à cause d’une éventuelle performance de la part de la coalition de droite, mais plutôt à cause de la nullité de ce qu’on appelle encore l’opposition. En réunissant leurs forces dans une seule formation politique, les Travaillistes menés par Ytzhak Herzog et le «Mouvement» de l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Tsipi Livni, pensaient gagner une majorité lors du prochain scrutin, mais ils n’ont pas réussi leur percée. L’électorat est moins bête que ce qu’on a l’habitude d’écrire dans les médias, et il comprend que la nouvelle coalition n’est qu’un Likoud B, qui non seulement n’a rien à opposer à Netanyahou, mais s’oriente ouvertement vers un gouvernement d’union nationale. Les électeurs préféreront toujours l’original à une pâle copie… Rajoutons que même s’il faisait un meilleur score que le Likoud, le tandem Herzog-Livni n’a pas les moyens de former une coalition majoritaire de centre gauche. Il n’y a donc rien à attendre de ces prochaines élections… sauf du côté de l’électorat arabe, et c’est bien dans ce secteur que nous sommes témoins d’une véritable révolution.

Dynamique unitaire autour de la «Liste commune»

En effet, l’amendement à la loi électorale concocté par le ministre des Affaires étrangères d’extrême droite, Avigdor Lieberman, qui a augmenté le minimum nécessaire pour avoir des élus, a obligé tous les partis arabes à s’unir dans un seul bloc électoral: communistes, nationalistes et islamistes se sont donc unis dans la «Liste commune» et, s’ils parviennent à mobiliser l’électorat palestinien d’Israël, peuvent obtenir 14 élus, certains rêvant même de 15, devenant ainsi la troisième formation à la Knesset. Cette dynamique unitaire a permis à quelques centaines de militantEs juifs de la gauche non sioniste de se retrouver ensemble pour soutenir une liste qui est la seule à se positionner en opposition au discours dominant et consensuel dans la population juive. La priorité est aujourd’hui de convaincre l’électorat arabe d’Israël d’aller voter, car au cours des deux dernières décennies l’abstention était de près de 50%. Si une dynamique de soutien à la «Liste commune» se concrétise, on peut légitimement espérer qu’elle se poursuive après les élections, mettant ainsi fin à une quinzaine d’années de recul dans la mobilisation populaire de la minorité palestinienne d’Israël. En ce sens, la constitution d’une liste arabe unifiée change la donne, et pas seulement sur le plan électoral.

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«Après avoir uni les Arabes derrière lui, Ayman Odeh veut mener l’opposition»

Par Elhanan Miller

Deux semaines avant les élections générales, le leader de la Liste commune (arabe), Ayman Odeh, est optimiste. Jeudi dernier (5 mars), l’avocat peu connu de 40 ans de Haïfa suscite les éloges des experts à travers le spectre politique pour son sang-froid devant une attaque cinglante de l’ancien ministre des Affaires étrangères et président d’Yisrael Beitenu, Avigdor Liberman, au cours. D’un débat politique en prime time sur la Deuxième chaîne.

«Pourquoi êtes-vous venu à ce studio et non à un studio à Gaza?», a accusé Liberman. «Pourquoi ne vous présentez-vous pas aux élections à Ramallah plutôt qu’à la Knesset israélienne? Pourquoi êtes-vous ici? Vous n’êtes pas le bienvenu ici.»

Odeh assis serré sur son siège, souriait malgré son malaise visible. «Comme il est écrit dans le livre des Proverbes, «Celui qui creuse une fosse, y tombera», dit-il calmement. «Je suis le bienvenu dans ma patrie. Je fais partie du paysage, je fais partie de la région. Je lui ressemble. Je crois que nous devons changer notre attitude ; remplacer la démagogie par le dialogue.»

La position conciliante d’Odeh à la télévision n’était pas destinée à masquer la profonde crise de la société israélienne avant les élections du 17 mars, a-t-il déclaré au Times of Israel cette semaine. Si le racisme à l’encontre des citoyens arabes existe dans les marges de la politique israélienne, il imprègne désormais le discours de hauts dirigeants du pays.

«En 1961, [le conseiller de David Ben Gourion, Uri] Lubrani a affirmé qu’il voulait des Arabes comme bûcherons et porteurs d’eau», a déclaré Odeh, se référant à la soumission biblique des Gabaonites dans le livre de Josué.

«Mais c’était juste un fonctionnaire. Aujourd’hui, ce n’est pas Lubrani, c’est le Premier ministre qui dit que le vrai danger pour l’Etat d’Israël n’est pas les Arabes dans les territoires, mais les Arabes résidant en Israël. C’est [Avigdor] Liberman, un ministre influent, qui veut dépouiller certains citoyens arabes de leur citoyenneté. C’est [le chef de HaBayit HaYehudi Naftali] Bennett, qui s’en prend à nous.»

Les trois partis arabes actifs dans la Knesset passée n’ont pas eu à s’unir dans la Liste commune (arabe) afin de franchir le seuil électoral élevé par la loi de 2 % à 3,25 % en mars dernier, insiste Odeh.

Deux blocs – l’un composé du parti Hadash d’Odeh et de Taal d’Ahmad Tibi, et l’autre du nationaliste Balad et du Mouvement islamique – ont finalement décidé d’unir leurs forces suite à une pression du public.

«Nous [les Arabes] nous sentons menacés. C’est une unité de menacés, marginalisés, opprimés», dit-il.

Les plus récents sondages donnent à la Liste commune (arabe) 13 sièges aux élections, ce qui en ferait la troisième plus grande faction au Parlement après l’Union sioniste et le Likud. Selon l’analyse d’Odeh, cela ferait certainement de lui le chef de l’opposition.

«Je crois que si Herzog ou Netanyahou sont chargés de former le gouvernement, ils seront tous deux dirigeants d’un gouvernement d’union nationale. Cela signifie que nous mènerons l’opposition, qui est un podium extrêmement important. Chaque invité étranger qui visite le pays, y compris les chefs d’Etat, rencontre le chef de l’opposition. C’est une occasion pour nous de soumettre nos problèmes, les problèmes de la population arabe», dit-il.

Un succès encore plus important serait que la Liste majoritairement arabe d’Odeh entre au gouvernement, pour la première fois dans l’histoire israélienne. Mais il affirme que les conditions ne sont pas encore mûres pour cela.

«Nous voulons créer un Etat palestinien dans les frontières de 1967 aux côtés de l’Etat d’Israël», dit-il. «Ce gouvernement consacrerait une partie de son budget à la soi-disant sécurité, donnant des milliards aux colonies au lieu de l’éducation, la santé et le bien-être, en particulier dans le secteur arabe. Il entrerait en guerre avec le peuple palestinien, et démolirait nos maisons à l’intérieur d’Israël. Ainsi, ni l’ordre du jour, ni les objectifs budgétaires, ni la conduite de tout gouvernement ne nous permettrait d’en faire partie.»

Il ajoute, cependant, «je crois que certains problèmes pourraient survenir au sein de la coalition un an ou deux pendant son mandat. Alors seulement nous étudierons la question [de rejoindre le gouvernement]».

S’exprimant des heures avant l’allocution de Netanyahou devant le Congrès américain, Odeh déclare qu’aucun leader mondial ne partage la position intransigeante de Netanyahou sur l’Iran, tout comme aucun ne partage son refus de négocier la formation d’un Etat palestinien.

«Netanyahou a choisi ce moment pour présenter la question [iranienne] parce qu’il veut détourner l’attention des problèmes intérieurs tels que la pauvreté, le logement et la santé, vers la sécurité. La droite partout dans le monde gagne plus en formant un programme sécuritaire, alors que la gauche gagne avec un agenda social.»

Odeh croit avec force en une coopération judéo-arabe sur les questions sociales, et dans un discours lors de la récente Conférence de la démocratie d’Haaretz, il a exprimé sa déception sur l’incapacité de son parti à attirer plus de membres et sympathisants juifs.

Avant les élections, Odeh a mis au point un plan global de 10 ans pour s’attaquer à des questions pertinentes pour le secteur arabe, telles que l’emploi des femmes, la réhabilitation des conseils régionaux défaillants, la reconnaissance des communautés bédouines non reconnues dans le Néguev, les transports publics dans les villes arabes et l’éradication de la violence.

«J’ai recensé 80 questions sociales et amené les économistes à montrer comment les Juifs peuvent bénéficier de la gestion de ces questions en deux ans. Un Arabe qui travaille et paie des impôts est bon pour tout le monde. Un Arabe qui ne travaille pas et reçoit des allocations de la sécurité sociale est mauvais pour tout le monde. Mon projet phare est un plan gagnant-gagnant pour remplacer le discours perdant-perdant», dit-il.

En un an, Odeh – qui a servi de conseiller municipal à Haïfa et de secrétaire général de son parti en 2006 – prévoit d’organiser une chaîne humaine de Nazareth à Jérusalem, comprenant des Juifs et des Arabes, pour convaincre l’opinion publique israélienne de la nécessité de l’égalité civile.

«Tout comme les Juifs aux États-Unis ont rejoint Martin Luther King, je suis sûr que des centaines de milliers de Juifs se joindront à la lutte pour l’égalité civile en Israël.»

Commentant la décision de la Cour suprême israélienne de permettre à la députée Hanin Zoabi [député à la Knesset depuis 2009, membre de la flottille pour Gaza en 2010, exclue du Parlement pour ses déclarations lors de «l’opération bordure protectrice»] d’être candidate pour la Knesset en dépit d’une décision de la Commission électorale centrale d’interdire sa candidature, Odeh remercie le procureur général Yehuda Weinstein et la Cour de «défendre ses droits».

«Je ne suis évidemment pas à l’aise avec son style. Nous appartenons à des partis différents [avant la formation de la Liste commune]. Cependant, je ne peux pas accepter l’équation selon laquelle ceux qui tentent de promouvoir le projet de loi sur la nationalité [strictement juive] sont [considérés] comme appartenant au courant général et centristes; tandis que [Zoabi] qui exige un Etat pour tous ses citoyens, Juifs et Arabes, est illégitime et doit être répudiée du champ politique. Je rejette cette hégémonie. Je ne peux ne pas être d’accord avec elle, mais c’est son droit de se porter candidate. La démocratie n’est pas d’accepter les gens avec lesquels vous êtes d’accord, mais plutôt ceux avec lesquels vous n’êtes vraiment pas d’accord.»

Zoabi, numéro 7 sur sa liste, n’est sûrement pas le seul membre de la Liste (arabe) qui est en désaccord avec le libéral Odeh.

Le mélange bizarre de nationalistes arabes, islamistes (dont deux maintiennent les mariages polygames, en opposition à la loi israélienne), et de socialistes dévoués a fait beaucoup spéculer que le parti se désintégrera après les élections.

Néanmoins, Odeh croit que l’ «obsession» de la majorité juive à l’égard de Hanin Zoabi provient d’une faille dans la psyché collective de la société israélienne.

«Les Juifs sont si immensément puissants, mais en quelque sorte se sentent faibles. Ils sont une majorité, mais se comportent comme une minorité. Prenez la question des droits collectifs mentionnés dans le projet de loi sur la nationalité, par exemple. Habituellement, les droits collectifs sont décidés au stade de la formation de l’indépendance et sont donnés à des minorités, pas au groupe majoritaire. Essayez de taper dans Google ‘droits collectifs de la majorité’ et vous trouverez quelque chose de faux. Il n’y a qu’en Israël que les gens essaient sans cesse de conserver précieusement les droits collectifs de la majorité. Il y a quelque chose de psychologiquement problématique ici.»

Les Juifs israéliens devraient simplement «se calmer» et permettre une expression arabe dans les symboles nationaux du pays.

«Je veux des Juifs dans les symboles nationaux, mais je veux y voir mon visage aussi. Cela ne devrait déranger personne. Nous formons 20 % de la population, de sorte que nous devrions être représentés dans 20 % des avis».

La liste commune (arabe) reconnaîtra-t-elle jamais Israël comme Etat-nation du peuple juif? Sur ce point, Odeh est quelque peu insaisissable.

«Je crois que le peuple juif a un droit à l’autodétermination, que l’État d’Israël a rempli. L’Etat palestinien est destiné à réaliser le droit à l’autodétermination du peuple arabe palestinien, et c’est tout. En d’autres termes, le fait que les Juifs d’Israël jouissent du droit à l’autodétermination ne signifie pas qu’ils doivent pratiquer la discrimination envers les Arabes.»

«Je n’accepterais certainement pas que dans mon pays – qui est aujourd’hui une patrie commune à nos deux peuples – l’Etat soit défini et agisse comme l’Etat d’une seule nation. Je veux me voir partout et être un partenaire à part entière.»

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