Telecom Egypt: une grève révélatrice

Par Dahlia Réda

Manifestation devant Telecom Egypt

Depuis des mois, les employé·e·s de la firme Telecom Egypt ont mené des actions portant sur l’exigence d’un renvoi d’une direction accusée de détournement de fonds et sur l’augmentation de leurs salaires. Le 12 octobre 2011, les employés du centre Opéra du Caire ont séquestré le PDG Mohamad Abdel-Réhim. Le jeudi 13 octobre, la police est intervenue. Elle a abattu un mur et a «libéré» le PDG. De suite, cinq salariés ont été arrêtés et déférés devant le procureur du Caire. La mobilisation a acquis une nouvelle dynamique suite à cette arrestation et à la vigueur du crime imputé. Le PDG accusait les employés de «tentative d’assassinat»! L’accusation a été finalement retirée.

Il est significatif que cette lutte, parmi d’autres, porte sur la gestion des entreprises et sur la corruption qui y est liée: les salarié·e·s de Telecom Egypt exigent que les livres de compte leur soient livrés, afin de faire le point sur les revenus, les dépenses et autres opérations financières.

Le gouvernement, pour mettre fin à la grève, a affirmé qu’il allait réduire les salaires des dirigeants. La réponse des grévistes: «Nous n’arrêterons pas la grève, jusqu’à ce que la direction parte. Cette direction a détruit le service des lignes fixes pour ses opérations dans la téléphonie mobile.» (AlMasry AlYoum, 18 octobre 2011)

Les mobilisations contre la corruption et contre les dirigeants issus de l’ancien régime – de même que sur les conditions de travail et de salaires – continuent à se développer dans de nombreux secteurs. Y compris les «policiers de base» ont commencé une grève le 24 octobre 2011. Ils exigent le départ du ministre de l’Intérieur Mansour El-Essawy qui a construit sa carrière sous le régime Moubarak (AlMasry AlYoum, 25 octobre 2011).

A l’ombre des grandes manœuvres pré-électorales et des alliances qui se font et se défont, la mobilisation sociale et la question du renforcement des syndicats indépendants restent à l’ordre du jour. Cela au même titre que la dénonciation de la politique répressive du Conseil supérieur des forces armées (CSFA). A cela s’ajoutent les «négociations» sur le rôle et la place à assurer aux militaires actifs et à ceux, «retraités», qui disposent d’une base solide dans l’économie contrôlée par les forces armées. (Rédaction)

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 L’annonce d’une restructuration salariale par l’administration de Telecom Egypt [TE est le plus ancien et principal opérateur de ligne fixe en Egypte; il compte quelque 12 millions d’abonnés ; il participe à hauteur de 44% du capital de Vodafone] n’aura pas suffi à apaiser la colère des employés.

«Nous revendiquons la dissolution du conseil d’administration, accusé de corruption, la démission du directeur général Mohamad Abdel-Réhim et la libération des 5 collègues condamnés en prison», a précisé Ahmad Galal. Cette déclaration du coordinateur général de la «Coalition de TE pour un vrai changement» est survenue le 20 octobre 2011, après l’échec des négociations entre la coalition des ouvriers et les autorités. La coalition refuse, en effet, de négocier avec le conseil d’administration actuel de TE. Elle a ainsi appelé le gouvernement à substituer le conseil par un autre plus crédible, et a proposé de nommer à sa présidence l’ex-ministre des Télécommunications par intérim Hazem Abdel-Azim. Les employés estiment primordial d’évincer le président actuel Mohamad Abdel-Réhim en raison de son implication dans des affaires de fraude, et parce qu’il faisait partie du Parti National Démocrate (PND), au pouvoir durant l’ancien régime de Moubarak.

Deux jours après l’échec des négociations, des centaines d’employés de TE, l’unique opérateur de ligne fixe en Egypte, se sont réunis en signe de protestation. Selon Galal: «Le rapport issu de l’Organisme central des comptes a dévoilé l’implication de l’administration de TE dans des projets qui ont entraîné la perte de plus de 2 milliards de L.E. [294 millions CHF], notamment ceux de Lakom, la filiale de TE et d’Orascom Telecom [le détenteur du groupe Orascom, le milliardaire Naguib Sawiris, s’est annoncé, parmi d’autres, pour le rachat d’Orange Suisse, qui appartient à France Télécom] en Algérie, avec un déficit de 450 millions de L.E.» «Cette société aurait été créée à l’origine par TE, afin de favoriser d’une façon frauduleuse Orascom Telecom», dévoile Chérif Mansour, un technicien auprès de TE. Le rapport a également épinglé le gaspillage de plus de 1,6 million de L.E. chaque mois, versées comme salaires aux 14 conseillers du PDG.

La crise actuelle s’est déclenchée le 12 octobre 2011, lorsque des centaines d’employés du central téléphonique de l’Opéra de TE se sont réunis pour signifier leur mécontentement à l’égard de Mohamad Abdel-Réhim, en visite sur les lieux ce jour-là. Le ton de la contestation s’est rapidement intensifié et les employés ont pris le président en otage afin de le forcer à se soumettre à leurs réclamations.

Pour se défendre, Abdel-Réhim a fait appel à la police militaire qui a dépêché le lendemain sur place des forces de sécurité. Suite à sa libération, la police a incarcéré 5 employés impliqués dans l’affaire et accusés de tentative d’assassinat. Depuis ces événements, une grève partielle au sein de l’entreprise a débuté. Sur un total de 72 centraux (une trentaine de centraux principaux et 42 succursales dans plusieurs gouvernorats du pays), 60 se sont associés aux protestations ainsi que les employés du service du répertoire téléphonique. «La grève est partielle, elle n’inclut qu’une partie des effectifs de chaque central, l’important étant de garder le service opérant pour l’intérêt du consommateur», précise Mansour, qui tient à ajouter: «Ce qui nous importe, c’est de s’opposer à la corruption.»

Menace d’interruption d’Internet

Par ailleurs, selon les protestataires, les autorités n’ont pas su régler la crise. Une semaine après son déclenchement, le PDG de TE, Oqeil Béchir, a tenu une conférence de presse au siège de la société à Smart Village, qualifiant les voix contestataires au sein de l’entreprise de «minoritaires». «Leurs revendications ne reflètent l’avis que d’une petite tranche des employés. Le salaire de la majorité s’élève à plus de 1800 L.E. [265 CHF] par mois au minimum et 4000 L.E. [588 CHF] maximum. Des salaires qui dépassent ceux des sociétés homologues comme Xceed et Vodafone», a-t-il affirmé. De plus, Abdel-Réhim et Béchir se sont défendus en soulignant que la société n’avait pas enregistré de pertes durant les dernières années. «Au contraire, elle a enregistré des profits atteignant 3,3 milliards de L.E. durant 2009/2010 et 1,9 milliard de L.E. durant les 6 premiers mois de 2011», ont-ils annoncé. Béchir a souligné que l’entreprise avait réussi à rembourser plus de 21 milliards de L.E. d’arriérés d’impôt au Trésor public, notamment en se faisant verser des factures importantes non payées jusque-là. Ainsi, la société disposait à la fin 2010 de plus de 4 milliards de L.E. de liquidités, contre 6,5 milliards de L.E. de dettes en 2005. Suite à ces annonces, le ministre des Télécommunications, Mohamad Salem, s’est entretenu avec les dirigeants de TE, en indiquant vouloir conserver le conseil d’administration en place, ainsi que son président et le PDG à leurs postes, négligeant ainsi les réclamations des employés.

Par crainte de l’étendue de la grève, TE a transmis tous les appels du répertoire au centre d’appels de Xceed [sous-traitant de TE dans le domaine des call centers]. Afin de faire pression, les employés de TE ont pour leur part menacé de couper le réseau Internet la semaine prochaine, si le gouvernement continue d’ignorer leurs revendications. Le régulateur de TE, dépendant de l’Organisme étatique de contrôle des télécommunications, n’a pas pu satisfaire les deux parties. En charge du contrôle qualitatif, le régulateur ne peut, en effet, pas statuer sur les demandes des employés. «Nous ne contrôlons que le service et son prix», assure Amr Badawi, président du régulateur.

Pour sa part, Mohamad Abou-Krich, président du syndicat indépendant des employés de TE, a souligné que cette menace d’interruption d’Internet n’était qu’une pression sur le gouvernement pour l’obliger à vite régler la crise. Selon lui, des solutions rapides doivent être trouvées quant à la libération des 5 condamnés emprisonnés, ainsi qu’à propos de la lutte contre la corruption.

Il semble toutefois qu’une lueur d’espoir soit en vue. Mohamad Hélmi, employé de TE et membre de la coalition, a averti qu’un règlement de la crise était attendu très prochainement. «Mohamad Abdel-Réhim a promis que les prochains jours verront la libération des 5 employés en prison, afin de mettre fin à la grève», souligne Mansour, qui ajoute que cette mesure ne suffirait pas pour apaiser les protestataires qui attendent de pouvoir négocier avec un nouveau conseil d’administration nommé très prochainement. «Nous ne terminerons la grève que lorsque toutes nos revendications auront été satisfaites», résume-t-il.

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Dahlia Réda a publié cet article dans Al Ahram Hebdo.

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