Le Parti national démocratique de Moubarak ou les Frères musulmans. Du déjà vu?

Ahmed Chafik (gauche) et Mohamed Morsi (droite)

Par Dina Ezzat

Pour de nombreux révolutionnaires, les résultats du premier tour (voir ci-dessous, les graphiques les plus importants, avec la translittération des noms en anglais) du scrutin présidentiel les ramènent à la case départ: devoir choisir entre une théocratie religieuse ou un État policier. (Voir aussi sur ce site l’article publié en date du 25 mai 2012: «Election présidentielle: vers quelle “normalisation?”».)

L’issue du premier tour des élections présidentielles, qui se sont déroulées entre le 11 mai – pour les Egyptiens expatriés – et les 23 et 24 mai, est marquée par l’élimination des deux favoris des sondages de la phase préélectorale: Amr Moussa, placé en tête par de nombreux sondages d’opinion et Abdel Moneim Aboul-Fotouh, placé régulièrement en deuxième position.

Au lieu de cela, Moussa, un ancien Ministre des Affaires étrangères et Secrétaire général, de la Ligue arabe, a perdu la majeure partie de ses votes – y compris la plupart du vote copte et de celui des Soufis – au profit d’Ahmed Chafik, ancien Premier Ministre, cacique du régime Moubarak.

Pour sa part, Aboul-Fotouh, un ancien membre éminent des Frères musulmans (FM) – qui a été exclu suite à sa décision unilatérale de se présenter à l’élection présidentielle – a perdu beaucoup de ses partisans présumés chez les Salafistes au profit de Mohamed Morsi, candidat officiel des Frères musulmans, alors que leur soutien préalablement déclaré au renégat de la Fraternité (FM) l’avait privé d’une bonne partie du vote libéral et de celui de la gauche . [Morsi a obtenu, selon les résultats officiels, 5,76 millions de voix]

Lors du deuxième tour, les 16 et 17 juin, Chafik [qui a obtenu officiellement 5,5 millions de voix], ultime Premier ministre de Moubarak, sera donc opposé à Morsi, candidat des Frères musulmans.

«En fin de compte nous sommes confrontés au même vieux dilemme d’un concurrent des Frères musulmans opposé à un autre soutenu par le défunt National Democratic Party (NDP) et ses alliés», a commenté Amr El-Choubaki, analyste politique principal au Centre d’Etudes politiques et stratégiques Al-Ahram.

On se retrouve pris entre le marteau et l’enclume, disent la plupart des analystes politiques et presque tous les militants.

Morsi, explique Amr El-Choubaki, est le candidat d’un groupe politique islamique qui a une large base de soutien, mais qui a ignoré les dispositions légales lorsqu’il a refusé de régulariser son statut d’ONG. Il ajoute que ça n’est pas de bon augure quant au type d’État qu’ils vont soutenir, «tout simplement parce que leur point de départ est qu’ils sont au-dessus des lois.»

Pour El-Choubaki, Chafik n’est pas un meilleur choix étant donné qu’il était le dernier Premier ministre du Président Hosni Moubarak et qu’il est soutenu par l’appareil de sécurité et les institutions de l’État qui ont pendant longtemps soutenu le régime de Moubarak. Il ajoute: «On ne peut ignorer le soutien direct et massif que Chafik a reçu des supporters du défunt NDP.»

Samedi 26 mai, comme les premiers résultats laissaient clairement paraître que la compétition serait entre Morsi et Chafik en juin, chacun essayait d’attirer autant de soutiens que possible. Les Frères musulmans se sont adressés à tous les candidats importants et aux principales personnalités politiques pour tenter de bâtir un consensus national qui pourrait aider leur candidat à paraître comme un opposant à l’ancien régime.

Cependant, trois des principaux anciens candidats – Hamdeen Sabbahi [gauche nationaliste qui recueilli 4,82 millions des voix], Aboul-Fotouh et Amr Moussa – ont décliné l’invitation faite samedi par la Confrérie pour former un front uni contre Chafik, déclarant qu’ils trouvaient confus l’ordre du jour proposé pour la rencontre.

Dans le même temps, plusieurs forces politiques ont dit qu’ils n’attendent pas de la Confrérie d’abord des postes honorifiques, tels que des postes de vice-président ou certains postes ministériels, mais plutôt un engagement clair par rapport à une rédaction de la Constitution [qui n’existe pas] sur une véritable base de réconciliation, ainsi que l’adoption d’une approche participative dans la gestion de l’État.

«Nous avions dit que nous sommes ouverts à l’examen de toutes les exigences des forces nationales et à la recherche d’un accord de réconciliation» a déclaré Essam El-Erian, l’une des figures dirigeantes des FM. Selon El-Erian, la Confrérie tente de surmonter les craintes parce qu’elle «croit en la valeur réelle d’un consensus national.»

La réunion susmentionnée qui devait avoir lieu samedi soir a été conçue par les Frères musulmans comme devant offrir des garanties aux forces politiques concernées. «Mais cette réunion n’a pas suscité de réaction car la Confrérie ne se montre pas suffisamment sérieuse dans ses réponses aux exigences des forces politiques», dit une personnalité publique qui a soutenu activement la ligne de réconciliation nationale mise en avant par les Frères.

Plusieurs autres personnalités ont proposé de coopérer en donnant un coup de pouce pour la construction d’une coalition nationale sur la base de l’engagement de la Confrérie à partir d’un document clair et incontestable prenant en compte toutes les exigences des forces nationales.

«Nous sommes inquiets à propos des intentions de la Confrérie, mais nous ne pouvons pas négliger le fait que Chafik est le candidat du défunt parti au pouvoir», déclare une des personnalités publiques qui s’efforce de solliciter l’adhésion à l’appel des Frères musulmans de la part d’autres personnalités dirigeantes et d’anciens candidats aux élections présidentielles

A l’opposé, Abdallah Abdel-Salam, analyste politique ancien membre du NDP, déclare à Ahram Online qu’il ne voit rien de mal dans le fait que Chafik bénéficie de l’appui de l’appareil d’Etat maintenu, ainsi que celui des principaux groupes d’intérêt, y compris les principaux hommes d’affaires membres de l’ex-NDP.

Pour Abdel-Sallam, c’est Moubarak qui a été renversé, mais l’Etat lui-même a survécu, et si Chafik est finalement élu président, il devra gouverner conformément à la nouvelle configuration politique. Selon Abdel-Sallam: «Chafik ne tentera pas du tout de rétablir l’ancien régime comme beaucoup de gens le craignent; il essaiera plutôt de prouver à tous ceux qui ont peur qu’il est le président de tous les Égyptiens; il proposera même à certaines personnalités de la révolution de participer à un consensus national».

C’est aussi ce qu’on entend en provenance des cercles proches de Frères musulmans en ce qui concerne les intentions de Morsi. «Mohamed Mursi a déjà fait la tournée des représentants de toutes les forces nationales pour les assurer de son intention d’être un président de tous les Egyptiens, en n’excluant aucune force politique sauf le noyau dur du régime déchu», déclare Hamdi Hassan, un membre clé de la Confrérie.

Pour de nombreuses forces révolutionnaires et pour certains Egyptiens ordinaires, l’exercice du pouvoir par Chafik ou par Mursi est un cauchemar. Comme un certain nombre de militants et de personnalités politiques l’ont déclaré, entre l’homme de la Confrérie et celui de Moubarak, le choix est difficile parce que, pour eux, c’est un choix entre aller vers une théocratie rigide et le retour à un État policier oppressif et corrompu. (Traduit par Pierre-Yves Salingue pour A l’Encontre)

 

 

 

 

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