Egypte. Sissi organise les législatives

Abdel-Fattah al-Sissi et Chérif Ismaïl
Abdel-Fattah al-Sissi et Chérif Ismaïl

Par Hoda Ahmed

L’Egypte a fait la une pour la «bavure» terrible de l’armée égyptienne dimanche 13 septembre: 12 touristes tués et 10 blessés pris pour des terroristes de Daech qu’elle poursuivait dans le Désert libyque (ouest de l’Egypte). Du coup, les derniers espoirs de voir le tourisme repartir s’envolent, ce qui ne va pas améliorer la situation économique.

L’Egypte vit sous perfusion: 30 milliards de dollars d’aide prodigués par les pays du Golfe depuis la chute de Morsi en juillet 2013. L’inflation annuelle est à 11% [l’indice officiel pour les biens de consommation urbains se situait à 9,8% en juillet 2015], le taux de croissance attendu en 2015 est de 3,8% après 4,7% en 2014. On parle de plus en plus de la dévaluation de la livre égyptienne [ce qui est déjà effectif sur le marché parallèle] et les revenus attendus de la réserve gazière découverte récemment au large des côtes égyptiennes ne seront pas là avant au moins trois ans.

Pourtant un train de mesures pris par le gouvernement en faveur des couches les plus pauvres lui permet de faire passer la pilule. En particulier il a été mis en place une carte à puce qui permet d’obtenir des produits de première nécessité à prix subventionné (bien que les subventions aient été abaissées cet été) comme l’huile, la farine, le riz et surtout le pain, ce qui fait qu’il n’y a plus de queues devant les boulangeries et le marché noir sur ces produits est devenu quasi impossible.

Des «élites» corrompues

Par contre, la corruption des élites est toujours bien vivace. Le ministre de l’Agriculture [Salah Helal] du gouvernement d’Ibrahim Mahlab a été arrêté pour corruption [pots-de-vin contre attribution à des hommes d’affaires de terres de l’Etat], le lendemain de sa démission forcée. Même si rien n’a été dit officiellement, il semble bien que le changement de gouvernement et de Premier ministre, remplacé par le ministre du Pétrole [Chérif Ismaïl], intervenu peu après, le samedi 12 septembre, à quelques semaines des législatives [dans la moitié des gouvernorats le vote aura lieu les 18 et 19 octobre, dans les autres les 22 et 23 novembre], soit dû au fait que plusieurs ministres étaient eux aussi impliqués dans des affaires de corruption [1]. Il n’existe aucun mécanisme permettant de la combattre efficacement d’autant que l’administration de contrôle est dirigée par une personnalité nommée par le président et que ses membres sont tous d’anciens de la police ou de l’armée, deux secteurs bien impliqués dans les trafics en tous genres.

Manifestation des fonctionnaires contre la Loi du Service public: 12 septembre
Manifestation des fonctionnaires contre la Loi du Service public: 12 septembre

Manifestation
de la fonction publique

Samedi 12 septembre, c’était aussi le jour prévu de la manifestation des fonctionnaires, appelée par un front Tadamon (Solidarité) de 35 syndicats indépendants contre la loi de la Fonction publique qu’ils contestent depuis sa promulgation. Leur rassemblement prévu dans le parc de Fostât, complètement excentré, a tourné court (45 minutes de sit-in) parce que les forces de l’ordre ont usé de tous les moyens pour le saboter: les bus venant de province ont été stoppés aux portes du Caire; toutes les rues alentour avaient été fermées et les manifestants contraints de marcher ont été forcés de faire des kilomètres pour entrer par la porte arrière du parc, ce qui en a découragé un bon nombre. Le ministère de l’Intérieur a même eu recours à des voyous, soi-disant habitants du quartier, qui manifestaient contre les syndicalistes et chantaient des chants à la gloire de l’armée. Grand retour en arrière! C’était digne de l’ère Moubarak.

Les législatives

Dans ce climat délétère, les élections législatives ne passionnent pas les foules [2], d’autant que le système de scrutin est très compliqué. Pour 596 sièges, 448 soit 75% sont réservés aux candidatures individuelles, 120 sièges soit 25% pour le scrutin par liste, et 28 sièges soit 5% pour des personnes désignées par le président. 5420 candidatures ont été retenues pour les sièges individuels et 9 listes de parti ou coalition pour les sièges de listes.

L’émiettement des forces politiques est extrême, et il règne pour l’instant une certaine confusion concernant les listes qui seront effectivement en présence. Les deux principales devraient toutefois être:

• Celle qui soutient le régime avec d’anciens du PND [Parti national-démocratique, créé en 1978 par Sadate; suite à son assassinat, Hosni Moubarak en prend la direction; le PND était membre de l’Internationale socialiste]. Toutefois, pour éviter tout risque de concurrencer Sissi, les juges «indépendants» ont écarté la candidature d’Ahmed Chafik [ministre de l’Aviation dès 2002, premier ministre du 31 janvier au 3 mars 2011 et ancien candidat à la présidentielle lors des élections de 2012: il avait réuni 42,87% des suffrages face à Mohamed Morsi au second tour].

• Celle des salafistes du parti El Nour qui, en l’absence totale des Frères musulmans éradiqués de la scène politique par les emprisonnements et les condamnations à mort, ont quelques chances d’obtenir un bon score pour les candidatures individuelles, d’autant que pour se dédouaner ils ont pris soin de faire figurer des femmes et des coptes parmi leurs candidats.

Ce type de scrutin et l’émiettement actuel de la gauche feront le jeu des felouls (vestiges) du régime Moubarak qui ont l’argent, disposent de réseaux et des médias, ainsi que celui des islamistes.

On est bien dans une période de reflux. Symbole très fort, la place Tahrir a été «embellie» par un monument à la gloire de la police. Sur injonction gouvernementale, l’Université Américaine du Caire détruit le mur de la rue Mohamed Mahmoud, haut lieu des manifestations anti-SCAF (le Conseil supérieur des forces armées qui a été aux manettes après la démission de Moubarak) et qui était couvert de graffitis à la gloire de la révolution de janvier 2011. Certes les mouvements sociaux ne vont pas cesser, les causes socio-économiques sont trop profondes, mais la répression impitoyable contre toute opposition et l’absence d’alternative à gauche rendent peu probable un quelconque tournant politique à court ou moyen terme. (20 septembre 2015, Alexandrie)

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[1] Magued Osman, directeur du Centre égyptien de recherche sur l’opinion publique, Baseera, affirme dans Al-Ahram Hebdo du 16 au 21 septembre: «Il y a ce qu’on peut appeler la « grande corruption » et la « petite corruption ». La grande corruption est celle qui est liée au blanchiment d’argent ou, par exemple, celle qui est liée à l’allocation des terres qui a eu lieu tout au long des trente derrières années. La distribution de ces terres a rapporté beaucoup d’ar­gent à des personnes qui les ont achetées à bas prix sur la Côte-Nord et la mer Rouge avant de les revendre beaucoup plus cher. La petite corruption concerne, par exemple, les leçons privées que donnent les enseignants, en dehors de l’école, ce qui constitue une forme de corruption assez répan­due. Le fait de payer pour finaliser des procédures gouvernementales, pour obtenir un quelconque droit ou pour un droit non mérité comme les per­mis de construction ou de voitures, fait également partie de cette petite corruption. Ce type de corruption touche tous les citoyens, dont une partie importante de leur revenu est utilisée pour payer des pots-de-vin. Cette corruption pèse surtout sur les classes pauvres.» (Réd. A l’Encontre)

[2] Selon le quotidien en ligne Ahramonline, en date du lundi 28 septembre, la moité des candidats aux sièges réservés aux indépendants viennent des milieux d’affaires. Selon une étude publiée dans le quotidien en langue arabe Al-Ahram du 22 septembre, des puissants businessmen, anciens membres du parti de Moubarak, vont se présenter pour la première fois. Les noms d’Akmal Qortam (pétrole) et de Zaki al-Sewedey (électricité) sont entre autres mentionnés, à côté du magnat de l’industrie alimentaire, Farag Amer. (Réd. A l’Encontre)

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