Egypte. Que défendent les étudiants islamistes d’Al-Azhar?

Le bâtiment de la faculté de commerce d'Al-Azhar en flammes. Qui sont les «incendiaires»?
Le bâtiment de la faculté de commerce d’Al-Azhar en flammes. Qui sont les «incendiaires»?

Par Ola Hamdi

Les étudiants islamistes de l’Université d’Al-Azhar ne décolèrent pas [voir ci-dessous l’article datant du 18 décembre 2013]. Tout au long de la semaine de fin décembre, ils se sont livrés à une véritable démonstration de force face à la police devant l’enceinte de leur établissement. Le bilan de cette semaine est lourd: un mort et des dizaines de blessés. Plusieurs dizaines d’étudiants ont en outre été arrêtés pour «possession illégale d’armes» et «trouble à l’ordre public».

Il est 10h30 lundi 30 décembre 2013, devant l’université. Les forces de l’ordre ont pris place devant l’enceinte pour assurer le bon déroulement des examens. On voit des véhicules blindés et des soldats munis de matraques et de bombes lacrymogènes. Après les accrochages de septembre dernier, au cours desquels 9 étudiants avaient trouvé la mort, la direction a décidé d’autoriser la sécurité à pénétrer à l’intérieur de l’enceinte universitaire. «L’université est devenue une véritable caserne. Les étudiants islamistes veulent à tout prix interrompre les cours et compromettre les examens», lance Mona, étudiante.

Les étudiants des Frères musulmans sont remontrés contre la direction d’Al-Azhar, la plus haute institution de l’islam sunnite, qui avait soutenu l’armée lors de la destitution de Mohamed Morsi le 3 juillet 2013. Ils demandent la démission du président de l’université, Ossama Al-Abd, et la libération de leurs collègues détenus par les services de sécurité.

A l’entrée principale, et devant la faculté de commerce, dont les locaux ont été incendiés samedi durant les accrochages, un groupe d’étudiants a pris place. Certains prennent des photos de l’incendie tandis que d’autres sont engagés dans une discussion. «Les examens devaient commencer à 10 heures. Il est 11h30 et personne ne nous répond. Va-t-on passer l’examen ou non?», demande Ali, étudiant en commerce, avec irritation. Son collègue Mohamad renchérit: «Les forces de l’ordre sont entrées à l’intérieur des facultés. Hier, un de nos collègues a été blessé par balle. Il n’avait rien fait.» Les étudiants affirment ne pas avoir incendié le bâtiment de la faculté de commerce. «L’incendie est dû aux bombes lacrymogènes lancées intensivement par la police en direction de la faculté pour disperser les étudiants», explique Ali. Une source de sécurité avait indiqué que les étudiants ont interrompu les examens et mis le feu au bâtiment.

A quelques pas de là, un groupe d’étudiants manifeste pour protester contre la présence de la sécurité au sein de l’université et dénoncer «la mort en martyrs de leurs collègues sous les balles de la police».

En se rapprochant de la faculté de commerce, la police tire des coups de feu en l’air pour disperser les étudiants et les empêcher d’atteindre l’avenue Al-Nasr, à l’extérieur de l’université.

Tout d’un coup, la pagaille s’installe. Les étudiants se mettent à courir dans toutes les directions et à lancer des pierres contre la police. De l’autre côté du campus, à la faculté d’agronomie, des affrontements ont également lieu. Certains étudiants ont trouvé des pierres sur le toit du bâtiment et se mettent à les jeter sur les forces de l’ordre. Ces dernières répliquent à coups de gaz lacrymogène. Un énorme nuage blanc couvre le campus universitaire.

«Le ministère de l’Intérieur est un voyou», scandent les étudiants. Ces slogans hostiles provoquent les policiers qui continuent à lancer des gaz lacrymogènes sans même recevoir l’ordre des officiers. De l’autre côté, les étudiants lancent des feux d’artifice. Et une véritable bataille s’installe sur les lieux.

«Nous n’avons pas le choix, nous devons continuer à lutter pour réclamer les droits de nos collègues morts en martyrs, et pour libérer ceux qui ont été arrêtés. Nous ne quitterons jamais le campus. S’ils veulent qu’on parte, ils doivent nous tuer», lance Mahmoud. Et de poursuivre: «A bas le pouvoir militaire!» Les Frères musulmans ont condamné dans un communiqué la «répression violente des manifestations estudiantines» en qualifiant le déploiement de forces de sécurité sur les campus universitaires de «tentative du pouvoir de réduire au silence les voix de l’opposition».

Pour importuner la direction de l’université qu’ils jugent «complice des militaires», les étudiants islamistes ont cherché par tous les moyens à compromettre les examens. «Certains d’entre eux sont entrés dans une salle d’examen et ont versé de l’huile sur les bancs pour empêcher que les étudiants n’y prennent place. Ils ont fermé la porte d’une autre salle avec des chaînes pour empêcher l’examen d’avoir lieu!», explique Salma, étudiante ne faisant pas partie du courant islamiste.

Mais pour la direction, les examens doivent avoir lieu. «Les responsables de la faculté d’agronomie nous ont dit que les examens n’ont pas été supprimés», explique Hassan, jeune étudiant en agronomie. Et d’ajouter: «Les forces de police nous disent: allez à l’examen et ne vous absentez pas. Et même si vous ne répondez pas aux questions vous serez reçus!» Pour encourager les étudiants à se rendre dans les salles d’examen, la direction de l’université est allée jusqu’à distribuer gratuitement des sandwichs!

Avenir en premier

Le tohu-bohu soulevé par les étudiants islamistes ne plaît pas à tout le monde. Et pour certains étudiants, c’est leur avenir qui compte en premier. «Nous sommes ici dans cette faculté pour apprendre et non pour manifester. Tout le monde doit laisser ses tendances politiques à la porte de l’université. Je veux terminer mes études pour travailler et aider ma famille. La politique ne va rien nous rapporter», lance Hamada, étudiant à la faculté de commerce. Certains étudiants ont dû quitter la cité universitaire pour être à l’écart des troubles et des menaces proférées par les Frères.

C’est le cas d’Abdallah, étudiant en agronomie. «J’ai essayé plusieurs fois d’expliquer à mes collègues que nous devons protéger l’image de notre université qui représente l’islam dans le monde. Notre université est fréquentée par des étudiants de 122 pays à travers le monde. Ce qui se passe en ce moment est inacceptable», estime Abdallah.

Les professeurs, eux, ont le même sentiment. «La cité universitaire est devenue un repaire de terrorisme. Nous avons demandé à la direction de l’université de fermer la cité», affirme Hassan Eweida, président du club des professeurs de l’université. Non loin de la faculté d’agronomie se trouve la faculté d’ingénierie, dominée par les islamistes. Les portes sont supervisées par la sécurité. Personne ne sait si les examens auront lieu.

A 14h, les affrontements reprennent. Les étudiants tentent cette fois d’occuper la rue Moustapha Al-Nahhas. Les habitants se sont rassemblés de l’autre côté de la rue pour voir le spectacle. Certains en ont assez de ce qui se passe. C’est le cas Sameh Saïd, propriétaire d’un petit magasin. «Nous ne pouvons plus vivre dans ces conditions, ces étudiants ne cessent de causer des troubles. Ce sont des terroristes comme tous les Frères musulmans. Cette université doit être fermée», dit-il.

Les étudiants islamistes défendent peut-être leurs droits. Mais au bout du compte ce sont les autres qui en paient le prix. (Al Ahram, 1er janvier 2014)

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Les manifestantes liées aux Frères, une minorité?

Par Chérine Abdel-Azim

«Courez vite, courez vite, ils vont sortir les canons à eau», s’écrie une jeune fille qui porte le niqab en voyant une voiture de police s’approcher des manifestants qui commençaient à bloquer la rue Youssef Abbass. Cette scène d’accrochages entre les étudiants pro-Morsi de l’Université d’Al-Azhar et les forces antiémeutes est devenue quasi quotidienne. Depuis la destitution de Mohamed Morsi, les étudiants ne cessent de manifester, et la récente promulgation d’une loi sur le droit de manifester n’a pas mis fin à cet état de fait.

C’est au sein même de l’Université d’Al-Azhar dans le quartier de Madinet Nasr qu’ils ont choisi de manifester ce jeudi 12 décembre. Pour la première fois, les étudiantes étaient plus nombreuses à manifester que les garçons. En ce jeudi 12 décembre, la rue Youssef Abbass, qui sépare les deux bâtiments du campus, est bloquée par les filles d’Al-Azhar, empêchant la circulation des voitures et des piétons.

L’usage des canons à eau par la police n’a pas mis fin aux manifestations. Les manifestantes scandaient des slogans hostiles à la police et des accrochages n’ont pas tardé à avoir lieu. Face à l’obstination des manifestantes, les forces de l’ordre utilisent des gaz lacrymogènes, et une fumée blanche se dégage. Mais les manifestantes retirent de leur sac des bouteilles de boissons gazeuses et s’aspergent leur visage avec. Un moyen utilisé pendant la révolution du 25 janvier 2011, qui permet de réduire l’effet de ces gaz.

Dans l’autre bâtiment du campus, un groupe d’autres femmes et filles apparaît. Elles sont en colère contre le comportement des manifestantes. «Ces filles sont mal élevées. Elles ne respectent ni notre âge ni notre avis. Elles nous obligent à quitter nos bureaux par force et si on refuse, elles commencent à nous insulter et vont même jusqu’à retirer nos voiles pour nous obliger à partir», se plaint Soad, fonctionnaire à l’université qui courait, étouffée par l’odeur des gaz. Pour éviter l’effet des bombes lacrymogènes, il faut s’éloigner de 10 mètres environ jusqu’à la rue Moustapha Al-Nahass, parallèle à l’université. Là, des centaines de filles, munies de leurs valises, se sont évadées de la résidence des filles en pleurs. «Pourquoi font-elles cela? Moi, je n’ai ni les moyens ni la possibilité de faire quotidiennement le déplacement dans mon gouvernorat pour éviter ces accrochages. Déjà, mon père s’est débrouillé difficilement pour payer les 250 L.E. de frais de séjour dans cette cité», crie Neama, jeune étudiante. Et d’ajouter: «Je ne comprends pas pourquoi elles ne veulent pas comprendre que Mohamed Morsi ne va jamais revenir au pouvoir. Pourquoi insistent-elles pour s’en prendre au peuple égyptien qui l’a destitué?»

Avant de finir sa phrase, Neama est attaquée par des filles qui commencent à lui crier dessus: «Dr Morsi est ton président et tu auras affaire à nous une fois qu’il sera de retour», lance l’une d’elles, qui n’hésite pas à gifler la jeune fille. Cette réaction violente de la part de la jeune fille, qui a disparu, a choqué les autres personnes présentes. «Désolée, tous les comportements de ces filles n’ont rien à voir avec les mœurs et les principes de l’islam. Les Frères se servent des universités pour créer une tension entre la police et le peuple», ajoute Doha, collègue de Neama en essayant de la calmer.

Sur la route, le pare-brise d’un camion de police est brisé, et deux soldats sont blessés lors d’autres accrochages, mais cette fois-ci entre les garçons d’Al-Azhar et la police. Après une heure de pagaille, la police réussit à les disperser et la voie est enfin ouverte à la circulation.

Les garçons décident de quitter les lieux, tandis que les filles poursuivent leur rassemblement à l’entrée de la cité universitaire. Elles essaient de provoquer les soldats soit en les insultant ou en levant les quatre doigts. Mais en vain. Alors, elles commencent à jeter des pierres en direction des voitures de police. Les policiers, à leur tour, leur lancent des pierres. Des filles aux balcons de la cité se mettent à faire la même chose. «La victoire de Dieu est proche», s’écrie un groupe de filles qui venaient de terminer leur cours et qui ont rejoint leurs camarades. Héba, une voilée, en dernière année de médecine, explique en ramassant quelques pierres: «Notre cause ne concerne plus le retour de Morsi. Notre but c’est la dignité humaine et le respect du citoyen.» Et elle poursuit sa marche. Au fur et à mesure que les filles terminent leurs cours, elles rejoignent leurs camarades.

Même si les partisans de la confrérie occupent quotidiennement le devant de la scène à l’Université d’Al-Azhar, cette dernière est actuellement divisée en deux camps opposés. La grande majorité des étudiants et des professeurs refusent le comportement de ces protestataires. (Al Ahram, 18 décembre 2013)

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