Egypte: les enjeux de la Constitution et de la Loi sur la liberté syndicale

Gebali El-Maraghi de l'ETUF déchu par le ministre du Travail, au milieu de ses supporters
Gebali El-Maraghi de l’ETUF déchu par le ministre du Travail, au milieu de ses supporters

Entretien avec Fatma Ramadan
conduit au Caire par Hany Hanna

Le dimanche 8 septembre 2013, le parti salafiste Al-Nour (La Lumière) a déclaré qu’il participerait à la commission de 50 membres qui doit finaliser le premier projet de Constitution mis au point par une commission composée de 10 «experts» nommés par le président Adly Mansour (voir introduction de l’article publié sur ce site en date du 27 août). Le parti Al-Nour avait envisagé de boycotter la commission de 50 membres dans la mesure où l’article 219 de la Constitution proclamée en 2012 par le gouvernement Morsi était supprimé. Or, ce dernier précisait que la Charia (la loi islamique) devait être la source de la législation, ce qui renforçait l’art. 2, beaucoup plus général. Cette intégration du parti Al-Nour apparaît comme une opération politique mettant un coin dans ce que certains appellent «le front islamique». Il faut avoir en mémoire que le parti Al-Nour représentait la deuxième force présente dans l’Assemblée du peuple actuellement dissoute et avait participé à l’élaboration de la Constitution fort contestée de 2012. Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères sous Moubarak de 1991 à 2001 et secrétaire général de la Ligue arabe de 2001 à 2011, a été élu par 36 voix contre 16 à la tête de la commission de 50 membres chargée d’élaborer le projet final de Constitution dans un délai de 60 jours. Une fois finalisé, il devra être soumis dans les 30 jours à un référendum populaire.

Selon diverses sources, le ministre du Travail, Kamal Abou Aita, ancien président des syndicats indépendants, a ratifié la réorganisation de la direction de l’ETUF (Egyptian Trade Union Federation), syndicat lié historiquement à l’appareil d’Etat. L’argument utilisé par le ministre, selon des sources journalistiques, a été le suivant: des membres de la direction de l’ETUF, entre autres Gebali El-Maraghi, sont désignés comme soutenant le président déchu Mohamed Morsi et opposés à la nouvelle Loi sur la liberté syndicale. En juin 2013, l’OIT avait placé l’Egypte sur une liste noire étant donné la violation des droits syndicaux internationalement reconnus. Il n’est pas impossible que la réorganisation de la direction de l’ETUF par le ministre du Travail Kamal Abou Aita vise, d’une part, à répondre aux exigences (que l’on sait pas trop acerbes) de l’OIT et, d’autre part, à manœuvrer de telle sorte que l’intégration possible dans la direction de l’ETUF de membres des syndicats indépendants rende la tâche plus difficile pour le développement et l’activité de ces derniers, d’autant plus que des mesures répressives contre des «activités syndicales illégales» restent une menace constante. Les événements (luttes sociales, activités syndicales, finalisation de la loi, Constitution) permettront de vérifier ou non cette hypothèse. (Rédaction A l’Encontre)

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Après la chute de Morsi, comment voyez-vous l’avenir?

Fatma Ramadan: Je vois que le pouvoir ne répond toujours pas aux revendications sociales, mais je ne sais pas quelle sera son attitude à venir. Toutes les options restent ouvertes.

Que proposez-vous pour sortir de la crise actuelle?

Fatma Ramadan: D’abord préciser ce que nous voulons. Sommes-nous en train de nous débarrasser des Frères musulmans pour construire un régime démocratique? Ce n’est pas ce qu’indique la tournure des événements. Récemment, un sit-in des ouvriers de l’usine sidérurgique de Suez a été dispersé par l’armée pour obliger les travailleurs à renoncer à leurs droits. En reprenant le travail, 2200 ouvriers ont été privés du salaire du mois où ils ont fait grève. Nous prenons le chemin d’une dictature militaire. Je ne suis pas sûre que les Egyptiens laisseront faire.

Que pensez-vous de la feuille de route proposée par le gouvernement?

Fatma Ramadan: Les propositions de la commission constituante (commission juridique) ne présagent rien de bon. Les modifications de la Constitution de 2012 qu’elle propose ne contiennent pas d’avancées concernant les droits économiques et sociaux. De plus, la situation sociale ne cesse d’empirer. Le couvre-feu, par exemple, représente un gros manque à gagner [1] pour les travailleurs journaliers comme les chauffeurs de minibus ou les vendeurs ambulants dont le nombre est très important, notamment au Caire.

Que demandez-vous précisément?

Fatma Ramadan: Des articles clairs garantissant les droits économiques des travailleurs, des paysans, des pêcheurs. Nous voulons que le droit au travail y soit clairement inscrit ainsi que celui aux allocations chômage, et que les droits des travailleurs y soient détaillés.

Il y a également le projet de loi sur les libertés syndicales.

Fatma Ramadan: La version actuelle est meilleure que la précédente. Elle reste à améliorer mais pour pouvoir le faire, il ne faut pas qu’à la prochaine réunion on nous soumette un texte entièrement différent de celui sur lequel nous avons avancé, comme cela a été le cas par le passé.

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[1] Selon une enquête faite par le Egyptian Centre of Public Opinion (Baseera), le couvre-feu déclaré par le gouvernement intérimaire dans 14 gouvernorats – de 23h à 6h, à l’exception du vendredi où il dure de 19h à 6h (étant donné les possibles manifestations des Frères musulmans) – a eu un impact négatif sur les revenus pour 47% des personnes interrogées. Parmi elles se trouvent les salarié·e·s mentionnés par Fatma Ramadan et leurs employeurs. Plus significatif, 62% des personnes interrogées indiquent que leurs conditions de vie se sont détériorées par rapport à 2012 et 27% considèrent qu’elles restent tout aussi précaires. La question sociale reste manifestement au centre du processus en cours en Egypte. L’incertitude quant au futur a aussi augmenté parmi les jeunes générations: 78% des personnes âgées de 18 à 29 ans ont un sentiment d’insécurité sociale et personnelle. (Réd. A l’Encontre)

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