Egypte. La bataille des syndicats indépendants

«1200 L.E. (157 CHF), un salaire minimum», «Les syndicats indépendants deviennent porte-parole des ouvriers»
«1200 L.E. (157 CHF), un salaire minimum», «Les syndicats indépendants deviennent porte-parole des ouvriers»

Par Aliaa Al-Korachi

Place Tahrir, le 30 janvier 2011. Les ouvriers en bleus de travail se confondent avec les autres forces révolutionnaires. Ils crient pour la chute du régime et pour la fin du monopole du syndicalisme d’Etat. Des banderoles sont brandies parmi la foule, réclamant la création de la fédération égyptienne des syndicats indépendants.

Le 2 mars 2011, la Fédération des syndicats indépendants d’Egypte, plus connue sous le nom d’EFITU, organise une conférence de presse pour annoncer sa fondation, au siège du syndicat des Journalistes, avec comme slogan:  «Ce que les ouvriers veulent de la révolution».

Le soulèvement des ouvriers a commencé peu avant la révolution du 25 janvier. Une vague de grèves menées par les ouvriers de divers secteurs secoue alors le pays. Au départ, les ouvriers protestaient contre la pauvreté et la corruption. Mais très vite, la revendication d’un syndicalisme défenseur des intérêts des travailleurs prend de l’ampleur.

Créée en 1956 par Gamal Abdel-Nasser, l’Union générale des ouvriers est restée pendant 60 ans le seul organe officiel où tous les syndicats devaient adhérer. Mais après Nasser, l’Union se met à défendre les politiques libérales du gouvernement et à soutenir les patrons contre les intérêts des ouvriers.

Moubarak obtient par exemple le soutien de l’Union pour sa politique de privatisation. L’Union englobe principalement les ouvriers du secteur public, tandis que la masse ouvrière du secteur privé n’appartient à aucun syndicat.

2007, le premier syndicat indépendant

L’histoire des syndicats indépendants commence avec la bataille des employés des impôts fonciers en 2007. Ils organisent des semaines de grève et de sit-in devant le ministère des Finances pour légaliser leur syndicat indépendant. Les protestations aboutissent en 2009 et «le syndicat des impôts fonciers» devient le premier syndicat indépendant échappant à la tutelle de l’Etat.

Sur ses pas, les techniciens de la santé forment leur syndicat indépendant en 2010. Mais l’Union générale des ouvriers a refusé de reconnaître ces nouveaux syndicats, prétextant que la pluralité syndicale risque de «fragmenter» les ouvriers.

«Les ouvriers sont allés à l’encontre de deux lois : la loi d’urgence qui pénalise tout rassemblement et la loi des syndicats qui instaure le système corporatiste syndical», raconte Hicham Fouad, membre des socialistes révolutionnaires.

Mais c’est véritablement depuis la révolution que le nombre des syndicats indépendants ne cesse de s’accroître. On compte aujourd’hui environ 800 syndicats indépendants et 2 confédérations de syndicats indépendants: la Fédération des syndicats indépendants d’Egypte (EFITU) et le Congrès démocratique égyptien du travail (EDLC).

Projet avorté

Après la révolution, le ministre de la Main-d’œuvre, Ahmad Al-Boraï, s’était aligné sur les revendications des ouvriers. Le 12 mars 2011, Al-Boraï publie une déclaration ministérielle reconnaissant le droit à la création de syndicats ouvriers indépendants. Bien plus, il prépare un projet de loi instaurant la pluralité syndicale. Parmi les points de ce projet, se trouvent « a reconnaissance totale et sans réserves du droit des travailleurs à créer des syndicats et à adhérer aux syndicats de leur choix, l’indépendance des syndicats par rapport au ministère du Travail et le droit des syndicats de créer des unions syndicales.»

Mais le Conseil militaire a refusé de l’adopter, préférant attendre l’élection d’un Parlement. Ce dernier est élu puis dissous sans que cette loi voie le jour. Par contre, les députés des Frères musulmans présentent, avant la dissolution du Parlement, un projet de loi sur les libertés syndicales, qui vient remplacer celui d’Al-Boraï. Il interdit la création d’un syndicat ayant déjà un homologue, portant ainsi atteinte au droit de la création des syndicats indépendants.

Le projet de loi «top secret» qui est présenté ces jours-ci au Conseil consultatif n’est qu’une version de la loi des Frères musulmans allant vers plus d’autoritarisme syndical. «Le régime des Frères musulmans mène le même jeu que le précédent régime, à savoir étendre son emprise sur l’Union générale qui encaisse près de 10 millions de cotisations des ouvriers. Quant au libéralisme syndical, ils disent toujours être en sa faveur, en essayant, de l’autre côté, de vider ce processus de son contenu», explique Fatma Ramadan, présidente du bureau exécutif de l’Union des syndicats indépendants. Selon elle, «les régimes consécutifs ont essayé de casser toute organisation ouvrière parallèle à l’officielle, de peur que celle-ci ne devienne le porte-voix des ouvriers».

Les arrestations et les licenciements de masse des ouvriers affiliés à l’Union des syndicats indépendants figurent parmi les nombreuses restrictions menées par le régime actuel pour tenter de faire avorter l’activisme syndical des ouvriers.

Aujourd’hui, les syndicats indépendants se basent uniquement sur les traités de l’Organisation internationale du travail, notamment la convention 87 de l’année 1948 et la convention 98 de l’année 1949 garantissant les libertés syndicales dont l’Egypte est signataire. «Bien que les syndicats indépendants soient devenus une réalité sur le terrain, l’absence d’une législation qui réglemente leur statut les empêche d’accomplir leur rôle de négociateurs entre les ouvriers et la direction. En l’absence d’une telle législation, on ne peut pas blâmer les ouvriers s’ils recourent à l’arme des grèves», prévient le membre des socialistes révolutionnaires Hicham Fouad.

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Article publié dans Al-Ahram du 19 juin 2013

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