Au rythme des manifestations et de la répression

Par Nicolas Devreese

Le rassemblement pacifique d’unité nationale, prévu de longue date, pour que musulmans et chrétiens partagent l’iftar [repas pris chaque soir, au coucher du soleil, par les musulmans pendant le jeûne du mois du Ramadan] a été maintenu vendredi 5 août, malgré l’évacuation de la place Tahrir le lundi précédent. Ce lundi 1er août, premier jour du Ramadan, l’armée et les forces de police avaient violemment délogé les tentes et les manifestants qui campaient sur la place Tahrir depuis le 8 juillet dernier. Depuis cette évacuation, les forces de sécurité sont déployées tout autour du rond-point central pour éviter toute résurgence d’occupation.

Malgré ces derniers événements, des militants démocrates ainsi que des familles ont bel et bien participé à ce repas de rupture du jeûne du Ramadan, même si celui-ci était bien plus modeste que celui qu’ils auraient souhaité.

Plus tôt dans l’après-midi, une manifestation d’environ 150 personnes avait été bloquée devant la mosquée Omar Makram. Cette manifestation était une marche symbolique en mémoire du premier martyr des affrontements de Abbassiya du 23 juillet dernier: Mohamad Mohsen Ahmad, 23 ans, décédé le mercredi 3 août, après 12 jours dans le coma.

Les manifestants, encerclés par des dizaines de militaires pendant quelques heures, se sont bâillonné la bouche avec du scotch et lié les mains avec un tissu aux couleurs du drapeau égyptien. Alors que le silence règne, un manifestant scande: «Voilà ce qu’est la liberté en Egypte». Puis, petit à petit, alors que l’heure de l’iftar approche, les manifestants reprennent la parole: «Nous sommes de retour sur la place».

Puis des dizaines de personnes rejoignent les manifestants, pour rompre le jeûne dans le petit jardin devant la mosquée Omar Makram. Après avoir mangé, le rassemblement prend de l’ampleur et ils sont déjà quelques centaines à chanter et à scander des slogans pro-révolutionnaires. Un jeune manifestant présente ses revendications en rapant. Alors que des centaines de militaires encerclent peu à peu le rassemblement, les slogans deviennent de plus en plus hostiles aux forces de sécurité, au Conseil suprême des forces armées (CSFA) et à son chef, le maréchal Tantaoui: «Nous demandons que l’armée quitte la place». Quelques-uns ont même contesté le fameux slogan «l’armée et le peuple, une seule main». «Nous sommes prêts à nous faire battre», crient des manifestants face aux matraques des militaires.

Un peu après 20h, l’armée a alors chargé violemment les manifestants pour les disperser. Matraques électriques et bâtons ont été utilisés pour cette évacuation par la force. Tirant en l’air, les militaires ont poursuivi les manifestants en les frappant. Dans cette répression sauvage, personne n’a été épargné, les militaires ne faisant aucune distinction entre manifestants et passants, entre hommes et femmes, ou entre adultes et enfants. Certains militaires s’acharnant même à coups de pied sur les manifestants. Ces derniers ont été pourchassés jusque dans la station de métro où ils se sont réfugiés. Quelques manifestants ont alors été arrêtés et beaucoup ont été blessés et hospitalisés dans la soirée.

L’usage de la force déploré

Suite à cette attaque, de nombreux manifestants ont déploré l’utilisation inutile de la force par la police militaire. «Ce n’est pas en nous frappant qu’ils vont faire revenir le calme. En agissant ainsi, ils ne font que renforcer notre colère», affirme Islam, jeune manifestant, peu optimiste sur l’évolution actuelle de la révolution.

«Je ne comprends pas ces attaques et ne supporte plus cette division entre le peuple et les forces de sécurité, il faut nous unir», déclare un autre manifestant. Les manifestants sont d’autant plus en colère qu’ils devaient quitter les lieux dans la soirée et qu’ils n’avaient – affirment-ils – aucune intention de recommencer une occupation de la place.

Quelques heures plus tard, un soldat faisant une ronde sur les lieux de l’affrontement échange quelques paroles avec les manifestants encore présents. Il semble personnellement regretter ce qui s’est passé. «Mais nous étions obligés d’intervenir, vous nous avez provoqués avec des slogans contre l’armée», s’empresse-t-il d’ajouter, comme pour se justifier.

Des commentateurs politiques sont de plus en plus nombreux à se distancier des dizaines de manifestants présents sur la place Tahrir malgré la décision de la totalité des mouvements politiques de suspendre sit-in et manifestations pendant le mois du Ramadan. Insister à se rendre sur Tahrir représenterait une décision  «mal étudiée» qui risque d’affecter gravement le gagne-pain des propriétaires de magasins, la quiétude des habitants du centre-ville et qui aggrave les problèmes de circulation au grand dam des automobilistes. Tout cela risque, selon certains, de faire perdre à la révolution une part de la «sympathie populaire».

En revanche, cette féroce répression a suscité l’indignation de nombreuses personnalités. Sur son compte Twitter, le célèbre romancier Alaa Al-Aswani a condamné cette «torture des citoyens».

En faisant preuve d’une telle violence, face aux quelques centaines de manifestants présents, le message de l’armée aura été clair ce vendredi: aucun rassemblement sur la place Tahrir ne sera plus autorisé. Mais il apparaît très probable qu’une telle répression des manifestants ne fera que raviver la colère populaire.

La plupart des partis politiques ont condamné cette attaque ainsi que la tentative de l’armée de réaffirmer son autorité en mettant un terme aux manifestations. Des protestations pour le week-end prochain ont déjà été annoncées. Les activistes politiques, qui avaient décidé de suspendre les manifestations pendant le mois du Ramadan, ont appelé, suite à cette attaque, à une journée de manifestation massive ce vendredi 12 août. Ils encouragent tous les Egyptiens à prendre la rue pour réclamer la fin de l’utilisation de la force contre les manifestants, ajoutant que l’Egypte n’a pas mis fin à une ère de tyrannie pour commencer une nouvelle ère de violence et d’insultes. «Le peuple égyptien constitue une ligne rouge à ne pas franchir et l’agresser est inacceptable», lit-on dans leur communiqué publié suite aux événements du vendredi 5 août.

Cet article a été publié par l’hebdomadaire Al-Ahram (10-16 août 2011)

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