Aide à l’armée égyptienne et subventions pour les firmes des Etats-Unis

Les manoeuvres conjointes Egypte - Etats-Unis, dites Bright Star
Les manoeuvres conjointes Egypte – Etats-Unis, dites Bright Star

Par Aliaa Al-Korachi

Le secrétaire d’Etat à la Défense des Etats-Unis, Chuck Hagel, a affirmé qu’il s’opposait à couper l’aide militaire à l’Egypte, mais qu’il se prononçait en faveur d’une «réconciliation» dans le pays. Dans un entretien exclusif à la BBC, il affirme: «Le gouvernement par intérim doit se remettre sur le chemin de la réconciliation, mettre fin aux violences et réengager l’Egypte sur le chemin des réformes économiques et démocratiques.» Après avoir analysé les éventualités de réduction de l’aide, il a insisté sur: «l’importance de maintenir une alliance qui dure depuis des décennies avec l’Egypte et qui est considérée comme un élément de stabilité ayant renforcé les intérêts états-uniens» (Ahramonline, 28 août 2013). Pour mettre l’accent sur les «i», Chuck Hagel a déclaré: «Les Etats-Unis ne seront pas nécessairement d’accord avec les formes de gouvernement, avec les dictatures, mais… nous ne voulons pas assister à une désintégration des relations avec un pays aussi important que l’Egypte». En outre, il insistait sur le rôle de stabilisateur dans la région, depuis les accords entre Israël et l’Egypte en 1979, que l’Egypte, son armée et son gouvernement jouent. L’article ci-dessous souligne les intérêts militaro-industriels de la dite aide à l’armée égyptienne. (Rédaction A l’Encontre)

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Evaluée à 1,3 milliard de dollars par an, l’aide militaire américaine à l’Egypte représente des intérêts stratégiques et économiques importants pour Washington. Couper les ponts avec les militaires égyptiens semble être une décision très difficile pour l’Administration américaine, malgré les fortes pressions de certains députés au sein du Congrès pour supprimer [ou réduire] l’assistance militaire à l’Egypte. Depuis le 30 juin, Washington, surpris par la chute du régime de Morsi [malgré les négociations avec Al-Sissi, qui portaient aussi sur les modalités de répression contre les Frères musulmans], a pris des mesures punitives contre l’armée égyptienne, à commencer par l’annulation des exercices militaires conjoints [annulation des manœuvres Bright Star, qui servent entre autres à tester les capacités de l’armée américaine dans des régions désertiques], puis la suspension de la livraison de 4 avions de combat de type F-16 qui était prévue en septembre 2013, pour enfin déclarer que «Washington est en train de réexaminer son aide militaire à l’Egypte». Devant toutes ces menaces, Le Caire s’est montré très confiant. Hazem Al-Beblawi, le premier ministre, a adressé un message fort à Washington, prévenant que «la rupture de cette aide militaire serait un mauvais signal».

Evaluée à 1,3 milliard de dollars par an, l’aide militaire a commencé en 1979, suite aux accords de paix de Camp David. Selon le Service de recherche du Congrès (CRS), l’armée égyptienne est le deuxième récipiendaire de l’assistance américaine après Israël. 80 % des équipements militaires égyptiens sont fabriqués aux Etats-Unis.

Quant à l’aide économique, elle est jugée modeste: seuls quelque 250 millions de dollars sont censés financer notamment des programmes de formation pour les fonctionnaires du gouvernement. La question qui se pose alors, et qui fait même débat dans les cercles américains: Les Etats-Unis oseront-ils suspendre leur aide à l’armée égyptienne? Pour l’expert stratégique Talaat Mossallam, il est peu probable que les Etats-Unis mettent fin à une assistance militaire dont ils tirent profit plus que l’Egypte même. «Les mesures entreprises par Obama visent essentiellement à calmer les contestations américaines. Cette aide est importante pour Washington pour beaucoup de raisons stratégiques et même économiques», dit-il.

Le libre passage à travers le Canal de Suez et l’espace aérien égyptien est l’une des garanties mentionnées dans le cadre de la coopération militaire avec Washington, qui serait certainement mise en cause en cas de rupture des aides militaires. Entre 35 et 45 navires de la cinquième flotte américaine naviguent annuellement dans le Canal de Suez. Et plus de 2000 avions militaires américains traversent l’espace aérien égyptien. Le Pentagone, qui souffre ces jours-ci d’un déficit budgétaire, va avoir du mal à changer de route pour transporter son matériel. Une partie de l’assistance militaire sert à financer la formation des officiers et des soldats égyptiens, surtout des forces spéciales, en organisant tous les deux ans l’opération Bright Star, une grande manœuvre qui se déroule en Egypte avec la participation d’environ 25’000 militaires américains. Ces manoeuvres militaires conjointes, datant de 1981, ont été annulées 2 fois: la première en 2003 par l’Egypte comme protestation contre l’invasion de l’Irak, et la deuxième en 2011 en raison des troubles politiques qui avaient conduit à la chute de Hosni Moubarak. «Ayant comme but d’améliorer la capacité des combattants des deux côtés, les Etats-Unis sont les plus grands bénéficiaires de ces exercices qui leur permettent de connaître et de s’adapter à l’atmosphère de la région», explique Mossallam.

Conséquences financières

Au-delà de ces considérations stratégiques, une annulation de l’aide américaine aurait des conséquences financières importantes pour les Etats-Unis. La majeure partie de cette somme est dépensée dans l’acquisition d’équipements américains, leur mise à niveau ou leur maintenance. De fait, l’aide, via le système de Financement militaire étranger (FMF), n’est pas versée à l’Egypte. C’est Washington qui passe directement les contrats avec les industriels de la défense américaine pour fournir les équipements militaires réclamés par Le Caire. En cas de rupture de l’aide à l’Egypte, Washington aurait toujours une obligation à l’égard des industriels et devrait s’acquitter de lourdes pénalités en cas d’annulation des contrats qui, dans ce domaine, s’étalent sur de nombreuses années. De gros contrats sont actuellement en cours avec un bon nombre de compagnies d’armement, allant de missiles Stinger et pièces détachées pour véhicules aux systèmes de reconnaissance des F-16, en passant par les capteurs pour hélicoptères Apache. Certaines de ces commandes égyptiennes devront prendre fin en 2018.

Certaines usines américaines d’armement risquent très gros en cas de suspension des aides, comme l’usine General Dynamics à Lima [Etat de l’Ohio], où est construit le char M1A1 Abrams. La dernière commande par l’Egypte de 125 M1A1 permettra à cette usine de garder ses lignes de production ouvertes jusqu’en 2014 pour la fabrication de pièces détachées qui sont ensuite expédiées et assemblées en Egypte. Sans ce contrat, General Dynamics pourrait bien être obligée de fermer ses portes.

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«Ouvre les yeux, c’est toi qui rembourseras la dette»

Par Chaïmaa Abdel-Hamid

2013-635132390242545036-254_485x310Ils n’appartiennent à aucun parti. Ils sont simplement un groupe de militants et d’activistes égyptiens qui ont décidé de lancer en octobre 2011 sur Facebook et Twitter la campagne populaire pour effacer les dettes de l’Egypte: «Ouvre les yeux, la dette vient de ta poche». C’est dans le cadre des revendications de la révolution du 25 janvier 2011 concernant l’affirmation du droit du peuple égyptien à disposer lui-même sur tout ce qui touche sa vie et celle des futures générations, que cette campagne a été lancée.

Comme l’expliquent ses fondateurs, ce mouvement de pression populaire vise à confirmer l’indépendance économique de l’Egypte contre toutes les formes d’exploitation, de dépendance et de gaspillage des ressources qui lui ont été imposées au cours des dernières décennies par le régime autoritaire de Moubarak et ses collaborateurs à l’étranger, qui suivaient des politiques économiques ayant engendré d’énormes dettes pour l’Egypte. Puis, le système de Morsi a aggravé les dégâts en recourant à des emprunts à l’étranger comme moyen facile de faire face aux problèmes de la planification économique, au lieu de rendre le système économique plus équitable, et de rechercher des mécanismes alternatifs de financement des dépenses publiques.

Ainsi, cette campagne appelle à revoir tous les prêts conclus sous Moubarak par un comité égyptien indépendant qui évalue l’utilisation des prêts et à étudier les retombées pour le citoyen égyptien. Ensuite, faire pression sur les pays créanciers pour effacer les dettes de l’Egypte et revoir tous les accords la concernant. La campagne compte pour l’instant 1352 fans sur Facebook.

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Articles publiés dans Al-Ahram, en date du 28 août 2013

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