Elections algériennes: une victoire imposée

John Kerry et Abdelaziz Bouteflika, le 3 avril 2014
John Kerry et Abdelaziz Bouteflika, le 3 avril 2014

Par Nadir Djemoune

Bouteflika a finalement été réélu, sans surprise, pour un 4e mandat consécutif avec 81,53% des voix exprimées (le taux de participation officiel a été de 51,7%). Cette reconduction d’un président malade, absent et incapable de diriger le pays par une main de fer, comme le suggèrent sa pratique et son projet d’amendement de la Constitution pour un fort régime présidentiel, traduit la tentation autoritaire de l’élite politique au pouvoir. Le consensus laborieux réalisé par les différentes fractions de cette élite exprime surtout  son effritement idéologique et sa fragilité  politique pour maintenir son hégémonie sur une société de plus en plus exigeante et revendicative. C’est dans ce cadre qu’il faut saisir ce consensus, ou plus exactement ce «modus vivendi», autour de l’image de Bouteflika.

Image ternie d’un président en fin de règne

Cependant, cette image est affectée par un bilan peu reluisant où les réalisations des grands travaux d’infrastructures ne peuvent cacher le chômage endémique, la précarité, la réapparition de la misère et la dégradation des conditions de vie d’une majorité des Algériens et des Algériennes, soumis aux thérapies libérales. Elle est ternie par une économie fragilisée, peu productrice de richesses et peu créatrice d’emplois durables. Elle reste surtout marquée par les dossiers de corruption qui éclaboussent les «hommes» du président.

Cette élection se voulait un moment pour renouveler la légitimité de Bouteflika comme homme providentiel et à recréer un minimum de légitimité des institutions. Mais le chiffre très officiel de 51% de participation le fragilise d’avantage même si le ministre de l’Intérieur a tenté de minimiser l’importance de l’abstention en l’imputant à une tendance mondiale. Elle reste en réalité une preuve que le quatrième mandat de Bouteflika ne peut se prévaloir d’un soutien fort et encore moins d’un chèque en blanc.

Un passage en force

Cette réélection est surtout un passage en force. Les principales institutions de l’Etat ont été verrouillées. Le discours de la peur, de la «menace étrangère» et des «menées déstabilisatrices des opposants», outrageusement servi par les médias, notamment les télés privées «algériennes» de droit étranger, a poussé les Algériens au repli sécuritaire. Le chantage «vote contre promesse de relogement» effectué par la Wali d’Alger a bien fonctionné (la capitale compte près de 600 bidonvilles où s’entassent 30’000 familles). L’écho sur l’étendue du territoire algérien a fait le reste. Enfin, Abdelmalek Sellal, le directeur de campagne du candidat Bouteflika, avait sillonné l’Algérie en tant que Premier ministre en distribuant rêves et promesses.

Et maintenant

Mais cette «victoire» cache mal les contradictions latentes du régime de Bouteflika qui deviennent aujourd’hui patentes. Cette campagne électorale a en effet révélé une triple problématique. La première est liée à la question de la souveraineté nationale.

Le «complot» supposé de la «main étrangère» n’est en réalité qu’une remise en cause du minimum de  souveraineté de l’Etat algérien par l’impérialisme. Cette question est malheureusement mal posée par ledit débat électoral. La confusion a été semée en présentant Bouteflika comme le défenseur de cet acquis (ou du moins de ce qui en reste). Seule la mobilisation populaire est capable de faire reculer ces visées impérialistes.

Mais ces mobilisations seront vouées à l’échec si, dès le départ, elles ne posent pas comme principe la résistance anti-impérialiste et la défense de l’Etat national. Les mouvements de protestation actuels se construisent sur l’idée même d’en finir avec l’Etat national et ce par une malencontreuse confusion entre le régime et l’Etat. Ce dernier est toujours considéré comme un objet aux mains des oligarchies dirigeantes qu’il faudrait donc briser pour faire advenir l’Etat démocratique.

La deuxième problématique est d’ordre démocratique. Elle se noue autour de la notion de transition avec comme point de mire la révision de la Constitution. D’où la question de l’Assemblée constituante. Ces questions ont renvoyé au second plan une autre question de fond: la situation (et ses origines) économico-sociale. Autant d’enjeux qui sont maintenant discutés et désormais abordés dans l’espace public algérien. Ils sont plus que jamais à l’ordre du jour.

La crise du régime a libéré la parole publique: les sujets «tabous» sont ouvertement abordés. Le pouvoir de Bouteflika aura-t-il la capacité d’endiguer cette poussée populaire? Cette poussée populaire aura-t-elle la capacité de court-circuiter une «opposition» plus libérale aux aguets ? Autant de thèmes qui méritent un travail approfondi et sur la durée. Alger, le 21 avril 2014 (Titre et sous-titres de la rédaction)

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