Algérie: la déferlante du 1er mars 2019

Par Nadir Djermoune
et Ali Ezhar

Images d’Alger le 1er mars. Selon diverses informations des mobilisations analogues existent dans d’autres villes. On ne peut qu’être ému par cette déferlante populaire, ces chants rythmés par les jeunes. Une ambiance de stades. E surtout la présence en force des femmes, fait heureux dans l’Algérie d’aujourd’hui. Mais on peut dire dès maintenant que cette dynamique va aller au-delà des enjeux du Cinquième mandat de Bouteflika. C’est un fait de société. (Nadir Djermoune)

Le Monde du 1er mars 2019 écrit, à 21h11: «Ils n’ont pas attendu la fin de la prière du vendredi pour se retrouver. En quelques minutes, peu avant 14 heures, des milliers de personnes ont pris possession, vendredi 1er mars, de la place du 1er-Novembre avant de lancer, sans plus tarder, leur marche pour «la dignité» à travers Oran. Du boulevard Emir Abdelkader au siège de la Wilaya, jeunes et anciens ont voulu montrer une nouvelle fois «au monde» leur «fierté d’être algérien». Drapeau vert et rouge autour du cou, ils n’ont eu de cesse de l’embrasser comme leur bien le plus précieux.» Le journaliste du monde Ali Ezhar continue ainsi: «Pas question pour eux de laisser le président Bouteflika, 81 ans, victime d’un AVC en 2013, briguer un cinquième mandat. «C’est trop, j’ai 19 ans, et ça fait vingt ans qu’il est au pouvoir», argue Djellali, un lycéen. «Il est malade, je ne sais même pas s’il est au courant qu’il se représente», lance, presque amusé, Farez. «Pour nous, il est mort. Il ne parle même plus à son peuple. C’est logique de se retrouver dans la rue et de sortir de notre silence», assure Tahar, 23 ans, étudiant en français.

Cette volonté d’imposer au peuple un cinquième mandat est perçue comme «le défi» de trop d’un «gouvernement malheureusement pourri», comme le dit avec calme et détachement Mounir, 35 ans, qui travaille dans le médical. «Si on marche, ce n’est pas contre la personne de Bouteflika, mais contre un clan qui est autour de lui, contre un système», explique Youssef, 22 ans. A Oran, deuxième ville du pays, tous sont sortis pour faire entendre leur message. Certains pour le deuxième vendredi consécutif.

Lorsque ces manifestants se racontent, on ne sent aucune colère. Ces «marcheurs» ont juste une exigence qui se résume en un seul mot, écrit à l’horizontal sur un petit bout de papier rouge: «Dégage». Pendant plus de quatre heures, des milliers d’Oranais l’ont crié jusqu’à en perdre la voix: «Bouteflika, dégage»; «FLN, dégage»; «le système, dégage».

«On veut une nouvelle Constitution et une nouvelle République», raconte Brahim, 51 ans, un fonctionnaire presque en pleurs, submergé par l’émotion de voir cette jeunesse enfin sortir. «En effet, elle marche pour essayer de reprendre les choses en main», assure Salim, 41 ans, architecte. «Etre à la marche est une question de dignité parce que nous sommes humiliés depuis des décennies. Mais aussi parce que j’ai des enfants. Etre un ancêtre, ça se mérite», affirme le journaliste Kamel Daoud, lui aussi présent dans la manifestation.

«La misère qu’on vit»

Et dans la foule, les plus jeunes n’ont pas hésité à alpaguer les journalistes pour se livrer un peu. «Vous pouvez pas vous imaginer la misère qu’on vit», lance l’un d’eux. Ils ont envie de parler, d’expliquer l’impasse dans laquelle ils se trouvent, exprimer ce sentiment trouble de n’avoir aucun avenir malgré des diplômes…

«On est écœurés, martèle Walid, livreur de poulets. J’ai 23 ans mais j’ai l’impression d’en avoir 40. Je suis déjà usé.» Même Anouar, 40 ans, chef d’entreprise, qui affirme vivre extrêmement bien en Algérie, n’entrevoit aucune perspective pour la jeunesse. «On n’a rien et on ne nous donne rien, souffle Zohrer. C’est quoi la suite pour nous? Prendre un bateau et partir pour la France? Non, je ne veux pas mourir en mer. Et je marche aussi pour dire que j’ai une pensée pour les jeunes morts en mer.»

Les Oranais ont manifesté dans la joie, affichant un sourire presque béat trahissant leur bonheur de se retrouver ensemble contre le pouvoir. Presque tous les marcheurs ont filmé avec leur téléphone, comme pour se persuader eux-mêmes qu’ils étaient bien présents à cette deuxième grande journée de manifestation contre le cinquième mandat de celui qu’on appelle «Boutef». Ils n’ont pas arrêté de faire des selfies avec les copains; seul, avec le drapeau ou avec une pancarte contestataire. Vidéos et photos ont alimenté les réseaux sociaux, surtout Facebook et Snapchat.

Si Salim se félicite de «ce mouvement qui répond à une espérance et n’appartient à aucun parti ou leader», d’autres marcheurs d’Oran aussi revendiquent cette indépendance. Un bien commun qu’ils veulent prolonger. Aussi, au moment de repartir chacun vers leur vie, ils se sont promis de ne pas arrêter les manifestations «tant qu’on n’aura pas obtenu ce qu’on veut», comme le lance Mehdi, 27 ans.

Tous souhaitent que leur mouvement continue dans le calme et pacifiquement. D’ailleurs, ils sont attentifs au moindre débordement. Si soucieux de donner une bonne image que certains distribuent des sacs en plastique pour ne pas «salir» les trottoirs. Le mouvement doit rester irréprochable.» (Photographies de Nadir Djermoune; mail de N. Djermoune et article en ligne de Ali Ezhar)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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