Algérie-débat. De la crise interne à la recherche de nouveaux «alliés externes»

Sergueï Lavrov et Ramtane Lamamra, le 19 mars à Moscou, avant de se rendre en Allemagne. «Il s’agit de rassurer» et de tester des «partenaires»

Par Abdelghani Aichoun

Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est en tournée à l’étranger. Il s’est entretenu, lundi 18 mars, à Rome, avec le président du Conseil des ministres italien, Giuseppe Conte, et hier à Moscou, avec le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov.

Lamamra, dont le département n’a pas annoncé préalablement ces déplacements, compte également se rendre vers d’autres pays dans les heures ou les jours à venir. L’«activité» diplomatique de celui qui fut nommé à ce poste, il y a seulement quelques jours (le 11 mars), a suscité des appréhensions chez beaucoup d’Algériens.

Au-delà du fait qu’il est dans l’usage diplomatique de «rassurer» les partenaires étrangers, lorsqu’il y a un contexte particulier, certains y voient, par rapport notamment au fait que ce périple intervient au lendemain de l’annonce du report de l’élection présidentielle, une volonté du pouvoir en place de convaincre les partenaires étrangers de la «justesse» de sa démarche, d’autant plus que celle-ci est unanimement rejetée par la population et la classe politique d’opposition.

Ceci sachant qu’au-delà du 28 avril, date de fin de mandat de Bouteflika, le pays sera dans une situation d’illégalité constitutionnelle. Il est dans l’intérêt, donc, des tenants du pouvoir en place, d’arracher le «consentement» de ces «partenaires étrangers» pour ce qui est de la future démarche.

Une attitude qui a irrité au plus haut point beaucoup d’Algériens et Algériennes qui ont déjà exprimé, vendredi dernier, le 15 mars, leur rejet de toute ingérence étrangère, notamment après que le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, ait exprimé son «soutien» à la feuille de route de Bouteflika. C’est dans ce sens que le président du parti Talaie El Hourriyet, Ali Benflis [ancien chef du gouvernement de 2000 à 2003, il a créé son parti en 2015 dans la perspective d’une «transition moderniste» au régime de Bouteflika] a tenu, avant-hier, à «mettre en garde contre l’internationalisation de la crise algérienne» [1].

Pour lui, l’initiative prise par le pouvoir en place de se lancer dans une campagne auprès des partenaires étrangers pourrait être source de «dangers». «Depuis deux jours, j’ai exprimé longuement ma position sur les dangers d’une internationalisation des affaires internes de notre pays. J’ai ainsi souligné les périls que fait courir à notre pays l’initiative prise par le pouvoir en place face à la crise actuelle», nous a-t-il déclaré, hier, avant d’ajouter : «Je répète que cette internationalisation offre inévitablement un appel d’air aux interférences extérieures. De leur côté, ces interférences extérieures conduisent à leur tour à des luttes d’influences.»

Réagissant, pour l’occasion, à la déclaration du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, au sujet de «tentatives de déstabilisation de l’Algérie», Benflis a tenu à rappeler que ce n’est nullement les manifestations qui déstabilisent le pays mais c’est le régime en place. «Le communiqué russe auquel vous faites allusion parle d’une opération de déstabilisation de l’Algérie. Je voudrais insister sur le fait que les manifestations du peuple algérien sont légitimes et ne déstabilisent pas le pays. J’ajoute que le peuple algérien lui-même est farouchement opposé aux ingérences étrangères. Au total, il ne reste que le régime politique en place qui pousse au pourrissement et c’est lui et lui seul qui déstabilise le pays», a-t-il déclaré.

En d’autres termes, c’est l’initiative prise par le pouvoir d’aller chercher à l’étranger des soutiens à «sa feuille de route» qui aurait permis de telles «incursions» dans les affaires algériennes. D’autres personnalités ont également exprimé leur mécontentement par rapport à la démarche elle-même, mais aussi à la déclaration de Lavrov.

L’ancien ministre Abdelaziz Rahabi [diplomate de carrière] a estimé que «la déclaration du ministre Lavrov est aussi inamicale qu’inacceptable». «Elle engage davantage l’Algérie dans l’internationalisation de sa crise interne. La Russie, pays ami et allié, ne doit pas s’ingérer dans nos affaires nationales en soutenant le plan Bouteflika qui représente aujourd’hui la principale source d’instabilité», a-t-il encore ajouté.

Pour sa part, Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), a déclaré que «c’est bien le gouvernement qui cherche à internationaliser la crise, en cherchant des soutiens en Russie et en Chine pour imposer son agenda contre la volonté populaire».

En somme, pour bon nombre de personnalités politiques, à défaut de pouvoir convaincre les Algériens et les Algériennes de sa bonne foi – pour ce qui est de la démarche qu’il propose – le pouvoir en place tente de le faire avec les partenaires étrangers.

Les slogans dénonçant l’«ingérence étrangère» ont été fortement présents dans les manifestations du 15 mars. Ils le seront, probablement, davantage ce vendredi 22 mars. (Article publié dans El Watan, le 20 mars 2019)

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[1] Parmi des anciens du pouvoir, recyclés sous diverses formes, mais toujours présents dans les clans actuels liés au réseau complexe politico-militaire – d’autant plus obscur étant donné la permanence de pouvoirs divers intriqués (policiers, militaires, administratifs, économiques) – diverses options sont débattues pour «canaliser» la mobilisation populaire. La solution d’un Haut Comité d’Etat – comme ce fut le cas pour gérer la démission «forcée» de Chadli Benjedid (président de 1979 à 1992, d’origine militaire et président du parti unique: le Front de libération nationale) – est peu crédible, aujourd’hui. Cela d’autant plus que ce Haut Comité était placé, quasi ouvertement, sous la surveillance de la direction de l’armée. Dans la foulée a d’ailleurs éclaté la guerre civile au sein de laquelle les militaires ont occupé un rôle de relief (entre autres pour ce qui avait trait à la redistribution des richesses qui s’opérait à l’ombre du conflit militaire) dans les affrontements avec les «forces islamistes militarisées». Pour rappel le Front islamique du salut avait obtenu, lors du 1er tour des élections de décembre 1991, 188 sièges sur 231. Il avait, en 1990, déjà affirmé sa forte présence lors des élections communales (plus de 900 communes sur quelque 1530) et dans les willaya.

Par contre, organiser des élections législatives – et non présidentielles – pourrait avoir une plus grande audience, d’autant plus si elles sont présentées comme devant déboucher sur une nouvelle constitution, en fait une constituante croupion. C’est une carte que pourraient jouer des militaires et des représentants – autoproclamés – de la rue. Un tel «accord» rassurerait la France au plan de ses intérêts économiques et de sa stratégie de «lutte antiterroriste». Mais la force et l’extension géographique de la mobilisation populaire (avec un nombre de secteurs sociaux actifs et revendicatifs) – qui seront, une fois de plus, mesurées demain – reste décisive pour l’heure. (Réd. A l’Encontre)

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