Myanmar-Birmanie. Suite à l’accentuation des massacres de civils, la résistance armée est l’objet d’une difficile option

Par la rédaction de Myanmar Now

Ko Saung, originaire de Mandalay, suivait un programme d’enseignement à distance à l’université Yadanabon de la ville. Il travaillait dans l’entreprise de ses parents lorsque le coup d’État a tout changé.

Comme beaucoup d’autres personnes dans le pays, il a rejoint les manifestations peu après la prise du pouvoir par les militaires le 1er février. Avec d’autres membres de son syndicat étudiant, il s’est retrouvé en première ligne de la lutte contre le régime nouvellement installé.

Dans un premier temps, les forces de la junte ont utilisé des gaz lacrymogènes contre les grands rassemblements qui s’étaient formés en signe de d’opposition au retour du régime militaire. Puis elles ont commencé à tirer.

Cela fait maintenant près de deux mois que le général en chef du Myanmar, Min Aung Hlaing, a renversé le gouvernement élu du pays, et les tueries se poursuivent sans relâche. Chaque semaine apporte une nouvelle escalade de la violence et une nouvelle vague d’atrocités contre des civils non armés, dont de nombreux enfants et adolescents.

Armés uniquement de lance-pierres, de boucliers de fortune et de cocktails Molotov, Ko Saung et ses camarades ont pu constater qu’ils ne faisaient pas le poids face à des forces armées équipées d’armes mortelles et autorisées à tuer sans pitié.

C’est pourquoi ils ont décidé qu’il était temps pour eux de se procurer de vraies armes et d’apprendre à s’en servir. Pour ce faire, ils savaient qu’ils devraient se rendre dans les zones frontalières, où les groupes armés ethniques combattent le Tatmadaw [forces armées] depuis des décennies.

«Nous ne pouvons pas nous contenter de protester et de lancer des cocktails Molotov», a déclaré Ko Saung, 24 ans, expliquant pourquoi lui et des centaines d’autres personnes comme lui ont quitté les villes dans l’espoir de trouver un moyen plus efficace de lutter contre leurs oppresseurs.

Combattre la douleur

Pour de nombreux jeunes, le mépris total du régime pour la vie humaine est ce qui alimente leur désir de le vaincre par tous les moyens possibles. Ceux qui ont assisté à des scènes de carnage, ou qui ont eux-mêmes été blessés, sortent de cette expérience plus déterminés que jamais à gagner à tout prix.

Min Min, un jeune homme de 24 ans originaire du district d’Okkalapa Nord de Yangon, a été abattu de deux balles lors d’un assaut de l’armée contre Hlaing Tharyar, un district situé dans la banlieue ouest de la ville, le 15 mars.

Il s’approchait du pont Bayint Naung pour se rendre à son travail lorsque deux balles en caoutchouc l’ont touché sous le poignet. Il a été emmené à l’hôpital, où il a vu de nombreuses autres personnes souffrant de blessures bien plus graves que les siennes. Certaines avaient été touchées au visage, d’autres avaient les intestins qui sortaient de l’abdomen. L’hôpital était rempli des gémissements des civils blessés et des cris de leurs proches, a-t-il dit.

Ces événements se sont produits au deuxième jour d’une offensive militaire de cinq jours qui a transformé Hlaing Tharyar en zone de guerre, faisant au moins 53 morts et de nombreux blessés ou disparus. Min Min a déclaré qu’il n’oublierait jamais l’immense souffrance – la sienne et celle des autres – qu’il a vécue ce jour-là, même s’il était à peine conscient à ce moment-là. Se remettant encore de ses blessures, il a déclaré que s’il le pouvait, il s’engagerait volontiers dans une armée qui lui donnerait l’occasion de rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui ont traité des civils innocents avec tant de cruauté. «Si une armée populaire est formée un jour, je la rejoindrais parce que je voudrais bien tirer sur ces types. Je veux exercer des représailles. Je ne me départirai jamais de ce sentiment», a-t-il déclaré alors qu’il était allongé sur le dos, épuisé par la douleur.

En route vers les collines

Atteindre une armée ethnique depuis Yangon, Mandalay ou n’importe où ailleurs dans le centre du Myanmar n’est pas une mince affaire. Il faut passer par les points de contrôle mis en place pour empêcher les activistes s’opposant au coup d’État de s’échapper des zones contrôlées par le régime. Quiconque se rend dans les régions frontalières montagneuses peut s’attendre à être interrogé et à voir son véhicule fouillé.

Des arrestations ont même été effectuées sur les principales autoroutes reliant les grandes villes. Le 22 mars, un journal appartenant à l’armée a affirmé que 14 jeunes, dont des membres de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), avaient été capturés sur l’autoroute Yangon-Naypyidaw [capitale politique] alors qu’ils se dirigeaient vers le nord pour recevoir une formation militaire d’une armée d’insurgés.

Rien de tout cela n’a dissuadé de nombreux potentiels combattants de la liberté de quitter leur ville natale et leur famille à la recherche d’une armée à rejoindre. La plupart des villes s’étant transformées en zones de guerre, il semble que ce soit un risque à prendre. «Il est certain que si vous sortez dans la rue maintenant et que vous commencez à chanter des slogans contre le coup d’État, vous serez abattu», a déclaré un jeune du district de Dagon Sud à Yangon qui a décidé de rejoindre un groupe ethnique armé.

De nombreux jeunes urbains se sont tournés vers un groupe en particulier, l’Union nationale karen (KNU), basée près de la frontière avec la Thaïlande. Mais la KNU, qui a joué un rôle important dans la création du All Burma Students’ Democratic Front, l’armée d’étudiants formée à la suite du dernier coup d’État du Myanmar en 1988, a encouragé la génération actuelle de militants urbains à rester où ils sont et à utiliser les ressources à leur disposition pour combattre le régime de l’intérieur du pays.

Dans un entretien accordé au Karen Information Center le 20 mars, Padoh Saw Thamein Tun, membre permanent du comité exécutif central de la KNU, a suggéré que, puisqu’il est devenu plus difficile d’atteindre les zones frontalières, les jeunes citadins devraient lancer des batailles de résistance sur leur propre terrain. «Ceux qui se trouvent dans les zones urbaines devraient rester dans les zones urbaines», a-t-il déclaré. «Ils doivent apprendre à mener des batailles urbaines. Nous sommes à l’ère de la technologie. Ils devraient être capables de le faire.»

Vers une armée fédérale

Le Comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw (CRPH), formé par des députés du gouvernement civil déchu du Myanmar, a proposé une alternative: une armée fédérale regroupant toutes les forces opposées au régime.

Selon le CRPH, l’idée est de mettre en place un système de défense depuis le niveau du quartier/village jusqu’au niveau du district. Après la publication d’une déclaration exposant cette proposition, un certain nombre de comités de sécurité ont été créés dans diverses régions du pays.

Aung Aung, un membre de la LND âgé de 25 ans qui a rejoint l’un de ces comités à Hlaing Tharyar [district industriel à l’ouest de Yangon, dans lequel l’armée a cherché à briser le mouvement de grève par une répression indiscriminée, voir l’article publié sur ce site en date du 21 mars 2021 http://alencontre.org/asie/birmanie/myanmar-birmanie-le-14-mars-un-massacre-dans-le-district-de-hlaing-tharyar-touefois-la-resistance-continue.html], a affirmé que de nombreuses personnes sont désireuses de s’y engager. «Si une armée fédérale est créée, je pense que de nombreux jeunes sont prêts à servir. Ils sont très enthousiastes», a-t-il déclaré.

Toutefois, à l’heure actuelle, le CRPH négocie toujours avec diverses organisations armées ethniques, dont la KNU, afin d’élaborer un plan détaillé pour une action armée dans le cadre d’une union fédérale. Le ministre des Affaires étrangères de la commission, Zin Mar Aung, a récemment reconnu qu’il restait des questions pratiques à résoudre, mais il a ajouté: «Nous y sommes à environ 80%.»

Dans un entretien accordé à la BBC, le porte-parole de la KNU, Padoh Saw Mahn Mahn, a déclaré que le CRPH doit avoir un plan politique dans lequel les groupes armés ethniques peuvent placer leur confiance. «Si le CRPH peut diriger, il doit le faire. Sinon, nous, les organisations armées ethniques, formerons une armée collective, car c’est une responsabilité que nous avons historiquement», a-t-il déclaré [1].

Ko Saung, qui reçoit actuellement une formation militaire d’une armée ethnique, a déclaré que le CRPH doit s’adresser de manière plus stratégique aux jeunes qui souhaitent servir dans l’armée fédérale. Jusqu’à présent, dit-il, les déclarations du CRPH sur l’armée fédérale manquent de substance réelle. «Jusqu’à présent, elles sont en suspens. Nous ne savons pas qui va diriger l’armée. Nous ne savons pas comment la mobiliser. Je ne leur fais donc pas confiance», a-t-il déclaré sans ambages. (Tous les noms figurant dans cet article ont été modifiés pour protéger les sources et leurs familles.) (Article publié sur le site Myanmar Now en date du 30 mars 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Depuis le samedi 27 mars, l’armée de la junte a lancé des attaques aériennes contre les forces de l’Union nationale karen-KNU. Cette dernière, en riposte, a attaqué la base militaire Thee Mu Hta située dans le district de Hpapun [Mutraw en langue karen]. Cet affrontement militaire a contraint des milliers de personnes à chercher refuge en Thaïlande. Le gouvernement thaïlandais les a refoulées. Selon Myanmar Now du 31 mars: «Plusieurs autres groupes armés ont déclaré qu’ils allaient se joindre à la lutte contre le régime ou ont déjà lancé des attaques depuis le coup d’État du 1er février. L’Armée de l’indépendance kachin a attaqué des bases de la police et de l’armée dans l’État du Nord. Dix groupes armés qui avaient signé un accord de cessez-le-feu national avec l’armée avant le coup d’État ont également déclaré leur soutien au mouvement anti-coup d’État.» (Réd.)

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