Par Carine Fouteau
L’opposition ayant presque épuisé son temps de parole, l’examen du projet de loi Besson [1] à l’Assemblée nationale s’est subitement accéléré, mercredi 6 octobre. Les discussions, qui devraient s’achever ce jeudi dans l’hémicycle, ont donné lieu à des argumentaires juridiques plus techniques que les jours précédents, mais d’une importance tout aussi capitale. Les députés ont ainsi voté la création d’une interdiction de retour sur le territoire (IRTF), d’une durée de 2 ou 5 ans, susceptible de s’appliquer à la quasi-totalité des sans-papiers expulsables.
Constituant une révolution dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers, cette disposition pourra être assortie d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), mesure déjà en vigueur en droit français. Et concernera aussi bien des personnes résidant depuis des années en France, que des personnes ayant des attaches familiales, y compris les conjoints de Français. Seule une exception a été prévue «pour raison humanitaire». La décision sera laissée à la discrétion des préfets qui auront toute latitude pour examiner les particularités des situations.
Les étrangers ayant fait l’objet d’une IRTF, précise cet article 23 composé de 32 alinéas, seront fichés dans le Système d’information Schengen (SIS) et seront donc empêchés de se rendre dans tout autre État de l’espace Schengen.
Éric Besson s’est contenté de justifier le texte en en faisant une simple transposition de la directive «retour» adoptée au Parlement européen en juin 2008, et dénoncée en son temps par les socialistes, les écologistes et les communistes français siégeant à Strasbourg. Mercredi, à Paris, l’opposition a fait front commun en faisant valoir que plusieurs protections figurant dans cette «directive de la honte» n’ont pas été reprises dans le projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité.
Certaines catégories de personnes, comme les victimes de la traite des êtres humains, ne sont, ainsi, pas protégées. Dans la même logique, des possibilités de recours suspensif n’ont pas été prises en compte, de même que des règles d’abrogation ou d’annulation de la mesure.
Alors que cet article crée aussi une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, Christophe Caresche (PS) a souligné que la directive en question privilégiait d’autres formes d’éloignement «plus appropriées». «Selon vous, Monsieur le ministre, ne pas ou ne plus disposer de titre de séjour constitue en soi un risque de fuite, a insisté Pascale Crozon (PS). Il s’agit là d’un renversement de la charge de la preuve: l’administration pourra se contenter de motiver la procédure qu’elle engage par le seul constat de la présence irrégulière, tandis que c’est à l’étranger qu’il appartiendra de démontrer l’existence de circonstances particulières pour prouver qu’il n’était pas sur le point de fuir.» «Monsieur le ministre, avec cette disposition, a-t-elle ajouté, vous généralisez la suspicion.»
George Pau-Langevin (PS), comme la plupart des orateurs de gauche, rejoints par Étienne Pinte (UMP), ont dénoncé le rétablissement de la double peine. «L’interdiction du territoire français est à mes yeux une sorte de bannissement, a également indiqué le député des Yvelines. Je ne cite qu’un seul exemple: les déboutés du droit d’asile pourront ainsi être bannis de notre territoire. Or le fait que ne leur soit pas reconnu le statut de réfugié ne signifie pas pour autant qu’ils n’ont pas été exposés à des persécutions dans leur pays d’origine. Parfois, ces personnes n’ont pu bénéficier des conditions matérielles et psychologiques indispensables à la constitution d’un dossier solide, notamment lorsqu’elles n’ont pu être accueillies dans les structures d’accueil telles que les CADA, les centres d’accueil des demandeurs d’asile, où le nombre de places est insuffisant. Ceux qui n’ont pu y accéder ont vu leur demande de protection rejetée. Faut-il pour autant les bannir de notre territoire et les renvoyer à leurs bourreaux?»
«Vous portez atteinte au principe de la vie familiale en renvoyant loin de tout le territoire européen l’étranger jugé indésirable», a pour sa part estimé Noël Mamère (Verts). «Comment pouvez-vous humainement accepter de renvoyer quelqu’un qui risque sa liberté et peut-être sa vie? Ce n’est pas digne de nos principes républicains», a-t-il ajouté.
Soutenu par le rapporteur UMP Thierry Mariani, Éric Besson a souvent tenté de clore la discussion en s’étonnant de ce que les députés de l’opposition «reprochent au gouvernement d’appliquer la loi». Sans chercher à être rassurant, il a déclaré qu’«il n’y a pas lieu de fabriquer d’épouvantails: nous allons, comme tous nos partenaires européens, traduire cette disposition de la directive en interdisant de retour ceux qui seraient entrés illégalement sur le territoire français et qui n’auraient pas respecté l’obligation de quitter le territoire». Aucun amendement de l’opposition n’a été voté.
«Le “temps guillotine” ne nous permet pas de développer tous les aspects négatifs de ce texte!», a déploré Sandrine Mazetier (PS), alors que le temps de parole du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche s’étiolait. Le rapporteur n’en a pas moins fait adopter, contre l’avis du gouvernement, un amendement autorisant l’usage du bracelet électronique en cas d’assignation à résidence de parents menacés d’expulsion. Thierry Mariani s’est justifié en assurant qu’il s’agissait d’éviter l’enfermement systématique de personnes ayant des enfants à charge. Les députés de gauche ont dénoncé une mesure «criminalisant» les sans-papiers. Même Éric Besson l’a jugée «stigmatisante».
* Journaliste à Mediapart. Article publié sur son blog dans ce site, très utile pour des «helvètes» qui veulent être informés de la situation en France et échapper au quotidien de «référence» Le Temps ou au Monde.
1. Du nom d’Eric Besson, né en 1958 au Maroc – Marrakech – et adhérant au PS en 1993; il démissionne de son poste de secrétaire national du PS à l’économie en 2007 pour rejoindre Sarkozy, sans vraiment changer de camp, au fond un simple glissement. (Réd.)
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