Le conflit syrien. Une alliance rouge-brune pour la Syrie de Bachar

Manifestation pro-Assad, à Paris le 2 février 2013, de l'ultra-droite dite anti-impérialiste
Manifestation pro-Assad, à Paris le 2 février 2013, de l’ultra-droite révolutionnaire dite anti-impérialiste

Par Germano Monti

Il peut sembler qu’un quarteron formé de néonazis, de staliniens, de catholiques fondamentalistes et de pacifistes constitue un étrange assemblage, mais ils ont trouvé un terrain commun dans un style anti-impérialiste verbeux. Cette alliance gauche/droite menant campagne sur Internet pour un soutien actif au régime Assad a abouti à un manque de solidarité avec le peuple syrien, non seulement en Italie, mais également ailleurs en Europe [1].

Il y a presque une année exactement, la Piazza Venezia au centre de Rome, d’où Benito Mussolini s’adressait aux foules dans le passé, est devenue le théâtre d’une manifestation très bizarre: près des portes de l’ambassade syrienne, quelques dizaines de personnes brandissaient des portraits du président syrien, Bachar el-Assad, et agitaient des drapeaux syriens [gouvernementaux]. Les orateurs se succédaient au micro et, finalement, lorsque l’hymne national syrien sonna dans les haut-parleurs, certains manifestant·e·s levèrent leur bras droit pour former le salut hitlérien, alors que les autres soulevèrent leurs poings fermés. Cette première manifestation «rouge-brune» fut bientôt suivie par d’autres.

Au même moment, un mouvement connu sous le nom de Front de solidarité européen pour la Syrie est devenu actif. Il unit de nombreux groupes d’extrême-droite à travers l’Europe, sous le drapeau du régime Assad. Ce front de solidarité brun organise des manifestations en faveur d’Assad et a déjà envoyé plusieurs délégations à Damas, chacune ayant été reçue par le gouvernement syrien au parlement national.

L’une de ces délégations rendit visite au régime peu après l’attaque à l’arme chimique de septembre 2012 [lorsque des «informations» se diffusent à ce sujet pour la première fois]. Menée par Ouday Ramadan [dans un communiqué datant de septembre 2013 le PdCI – Parti des communistes italiens – indique qu’Ouday Ramadan n’est plus membre du parti], celle-ci comprenait également Stefano de Simone et Gionvanni Feola, dirigeants du mouvement néofasciste CasaPound, ainsi que Fernando Rossi, un ancien sénateur du Parti communiste italien. Ce dernier cherchait à serrer les rangs avec la droite radicale en raison de son soutien à Kadhafi puis à Assad. Cette «délégation du gaz toxique» fut reçue officiellement par le président du parlement syrien, Jihad Allaham, le premier ministre Wael al-Halki [nommé à ce poste par Bachar el-Assad en août 2012], le ministre de l’Information Omar al-Zoubi et le vice-ministre des Affaires étrangères, Faisal Mekdad.

Tradition fasciste

La raison à l’origine du soutien de ces organisations fascistes au régime Assad est en partie historique. En 1954, des fascistes tels qu’Alois Brunner [2], dirigeant de l’unité spéciale SS dédiée à la «solution finale de la question juive» et très proche associé d’Adolf Eichmann [3], trouva un refuge sûr à Damas. Hafez al-Assad, le père de l’actuel dictateur, confia à Brunner la tâche de réorganiser les services secrets syriens sur la base des principes de la Gestapo et de la SS.

Depuis le commencement du soulèvement populaire en Syrie il y a trois ans [en mars 2011], il y a à nouveau une mobilisation significative des groupes de la droite radicale. Les adeptes de Bachar el-Assad sont avant tout d’origine italienne, française et grecque, mais on en trouve également venant d’Allemagne, d’Espagne, de Belgique, du Royaume-Uni, de Pologne, de Serbie, de la République tchèque et de Roumanie. Il s’agit plutôt d’une association hétérogène: allant du Front national (FN) de Marine Le Pen au Camp national-radical de Pologne [4] – qui revendiquait que la citoyenneté des Juifs polonais leur soit retirée en juin 2013 – jusqu’au Mouvement international eurasie du Russe Alexandre Dougine [5] en passant par le groupe national-socialiste grec Mavros Krinos [les Grecs national-socialistes, connus sous le nom de Black Lily], qui se félicitent d’avoir procuré à Assad plusieurs miliciens.

L’Italie est le pivot de cette alliance rouge-brune, car elle peut compter sur le soutien ouvert d’organisations telles que Forza Nuova [6] et CasaPound Italia (qui, aussi, se présente elle-même comme étant «les fascistes du troisième millénaire»). L’alliance inclut également plusieurs groupes plus petits qui se considèrent eux-mêmes comme «socialistes» et vantent leurs liens avec les partis nationalistes et staliniens ainsi que les mouvements de ce type partout autour du globe, de la Russie au Venezuela, en passant par la Corée du Nord.

Toutes ces organisations disposent de réseaux et de liens avec des éléments d’une gauche dite anti-impérialiste et confusément dogmatique. Enracinée dans la pensée stalinienne, cette branche de la gauche est convaincue qu’aujourd’hui encore le monde est embourbé dans un conflit constant entre l’impérialisme occidental (représenté par les Etats-Unis, l’Union européenne et leurs alliés) et la résistance «d’Etats souverains» tels que la Russie, la Chine et l’Iran.

Une «armée rouge-brune» pour servir Assad

Au nom de cette approche rudimentaire de l’anti-impérialisme ainsi que d’une islamophobie qui varie en intensité d’un groupe à l’autre, la droite fasciste, les catholiques fondamentalistes et les staliniens [ou néo-staliniens] ont engendré une petite, mais active, «armée rouge-brune».   

Oliviero Diliberto, secrétaire du Parti des communistes italiens, de 2000 à février 2013, rencontre Bachar el-Assad
Oliviero Diliberto, secrétaire du Parti des communistes italiens, de 2000 à février 2013, rencontre Bachar el-Assad

Afin d’éviter tout malentendu, il est indispensable de souligner que CasaPound et Forza Nueva ont relativement peu de partisans: seulement quelques milliers de membres. Les deux groupes ont échoué lamentablement lors des récentes échéances électorales. Ils exercent cependant une influence sur les jeunes Italiens qui ne doit pas être sous-estimée. Lors des élections étudiantes, ils obtinrent même la majorité des votes dans certaines écoles secondaires de Rome, ce qui signifie que le Front de solidarité européenne pour la Syrie fut autorisé à tenir des discours au sein de ces établissements ainsi qu’ailleurs.

Alors que Forza Nueva se concentre sur la défense de la famille traditionnelle et sur le combat contre l’avortement, CasaPound est plus engagé dans la sphère sociale: ses membres occupent des bâtiments vacants et organisent des campagnes en faveur des handicapé·e·s – pour autant qu’ils soient Italiens [7] ! Les deux groupes partagent une orientation fondamentalement raciste et xénophobe ainsi qu’un rejet catégorique de la mondialisation, qu’ils perçoivent comme étant une perte accélérée de souveraineté nationale.

Ce réseau de personnages politiques et culturels bien connus est important pour le soutien au régime Assad. Ces représentants voient la dictature syrienne autant comme un modèle social désirable que comme une barrière protectrice contre le sionisme israélien et le fondamentalisme islamique.

La crainte de l’islam joue un rôle de plus en plus significatif dans la politique de l’extrême droite. Au cours de la période qui précède les élections européennes de cette année [qui se tiendront le dernier week-end de mai], les dirigeants de divers groupes d’extrême droite européens se sont rencontrés à de nombreuses occasions – en Espagne en novembre 2013 et à Rome en février 2014. Jens Pühse, du NPD allemand (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), participa à la réunion en Espagne ainsi que le firent des membres du Parti national-socialiste syrien (PNSS).

Les national-socialistes de Syrie

Le PNSS est un allié étroit du parti dirigeant d’Assad, le Baas. Deux de ses représentants sont membres du Conseil des ministres: l’adjoint du premier ministre ainsi qu’un autre ministre. Le parti déploie ses propres unités pour combattre aux côtés du régime et des milices du Hezbollah libanais contre les rebelles syriens. L’idéologie du PNSS, qui a été fondé en 1932 à Beyrouth, ainsi que sa symbolique sont de manière incontestable modelées sur la base du national-socialisme allemand: la main droite dressée est utilisée comme salut et l’emblème figurant sur le drapeau ressemble à une swastika. Le représentant italien du PNSS est Ouday Ramadan, mentionné ci-dessus, qui est responsable de l’organisation du soutien au régime Assad en Italie.

Le rapprochement entre les néonazis, les fondamentalistes catholiques, les staliniens et les pacifistes sous la bannière de l’anti-impérialisme est un facteur crucial dans le manque de solidarité avec le peuple syrien, en particulier dans les cercles de gauche. Cette petite «armée rouge-brune» est extraordinairement active sur Internet, au moyen de sites et de blogs qui ont l’apparence d’être de gauche.

Au cours des trois dernières années, cette armée est parvenue à paralyser la solidarité italienne et le mouvement pour la paix pour la Syrie [en faveur des insurgés] en agitant sans relâche le spectre d’une prétendue attaque de l’OTAN contre la Syrie ainsi qu’un complot sioniste-salafiste contre le régime «laïc, anti-impérialiste et socialiste» [sic] du clan Assad.

Ce n’est que récemment que les médias dominants en Italie se sont rendu compte de ce phénomène. Depuis lors, ils ont fait état des activités de cette alliance étrange en faveur d’Assad. Par conséquent, les appels pour la démocratie et une aide humanitaire en faveur des citoyens syriens sont de plus en plus entendus par les organisations les plus influentes en faveur de la paix. Si cela est suffisant pour diminuer le soutien populaire au melting-pot idéologique que nous avons décrit demeure fortement discutable. (Traduction de l’anglais par A l’Encontre. Ce texte a été traduit de l’allemand en anglais par Jennifer Taylor pour le site Qantara.de et publié par ce dernier le 14 avril 2014)

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[1] En Suisse, un parti cantonal représentant ce courant néo-stalinien est le Parti communiste de la Suisse italienne (PCSI). Lors de son 22e Congrès, en fin 2013, il affirmait sa solidarité avec le «gouvernement légitime [de Syrie] – auquel participent des forces socialistes et communistes – dans la lutte pour l’unité et la souveraineté de la République arabe de Syrie». Le PCSI, dans cette résolution, «condamne la menace militaire contre la Syrie de la part du bloc impérialiste composé des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’OTAN et de leurs alliés, au même titre que les attentats terroristes commis par les bandes armées de la région». Elle continue : «La Syrie, en fait, est un des rares pays de la région non seulement avec une politique économique et sociale réellement indépendante des diktats néolibéraux imposés par l’extérieur, mais sa souveraineté empêche les pays impérialistes de saccager ses ressources naturelles…»

Y aura-t-il une déclaration du PCSI en faveur de l’élection à la présidence de Bachar el-Assad, prévue pour le 3 juin? Il est vrai que, pour la première fois depuis qu’existe le régime des Assad, soit en 1971, il y aura un candidat, Bachar, et deux autres choisis par lui, une façon de s’opposer à tout diktat étranger.

Nous avons, sur ce site, suffisamment traité de la plus tragique destruction – depuis la Seconde Guerre mondiale – d’un pays et de sa population par une dictature, présentée comme un «gouvernement légitime» par des néo-staliniens. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Alois Brunner est né dans la partie hongroise de l’empire austro-hongrois en 1912. Il adhéra au NSDAP (Parti nazi) en 1931. En  1941, il a le grade d’Obersturmführer SS et appartient au «Bureau des affaires juives» à Vienne. En 1942, avec le grade de Hauptsturmführer-SS, il assiste Thedore Dannecker en France dans la «section juive». En février 1943, il arrive en Grèce pour organiser la déportation de la communauté juive de Salonique. Il va diriger le camp de Drancy en juillet 1943. Il exercera ses talents dans la répression et la déportation des Juifs à Grenoble. Puis, il signe l’ordre d’arrestation de tous les Juifs de nationalité française en avril 1944. Il organisera la déportation des Juifs slovaques en septembre 1944. Il mit sur pied un convoi de Juifs – en mars 1945!  – depuis Sered, en Tchécolovaquie. C’est un bras droit d’Adolf Eichman dans la «solution finale». Reconnu criminel de guerre, il est condamné par contumace par le Tribunal permanent des forces armées en 1954 à Paris. Il sera à nouveau condamné pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Il trouva refuge en Syrie vers l’année 1954. Il sera engagé par Hafez el-Assad, comme conseiller, entre autres pour améliorer les techniques de répression et de torture des opposants du régime. L’Allemagne, entre autres, demande son extradition. Sans résultat. En 1987, il déclare au Chicago Sun-Times à propos de l’extermination des Juifs: «Tous méritaient de mourir parce que c’étaient les envoyés du diable et des ordures humaines. Je n’ai aucun regret et je le referais.» http://www2.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB150/box14_di_file/doc04.pdf (Rédaction A l’Encontre)

[3] Lire à ce propos : Gilbert Achcar, Eichmann au Caire et autres essais, Ed. Sinbad, 2012. (Rédaction A l’Encontre)

[4] Cette organisation petite a été recréée en 1993, se rattache à une «tradition» des années 1930 et est connue pour son antisémitisme virulent. (Rédaction A l’Encontre)

[5] Ce courant, qu’il faudrait qualifier plutôt de néo-eurasiste, a une influence dans des cercles assez proches de Vladimir Poutine. Dans sa terminologie, le terme de «monde multipolaire» est courant. Cette notion à consonances géopolitiques est reprise par des courants néo-staliniens pour justifier le soutien à des dictatures – de la Corée du Nord à la Syrie –, au nom de la «souveraineté nationale» et de la «légitimité des pouvoirs en place». Cette «vision» imprègne l’écheveau complexe de liens entre des «nationalistes communistes» à la Guennadi Ziouganov, du Parti communiste de la Fédération de Russie – qui reprend la thèse de l’eurasisme conjointement à une «restalinisation» de la Russie –, et la mouvance idéologique d’un Alexandre Douguine. (Rédaction A l’Encontre)

[6] Dans son programme, outre le combat contre l’immigration, l’opposition à l’Union européenne et en faveur de la sortie de l’euro, on retrouve des slogans national-socialistes sur la dette, les banques, le «renversement du capitalisme», contre le droit à l’avortement (influence de la droite dure catholique qui se traduit dans leur programme par le «retour à la foi chrétienne). Les liens avec Aube dorée sont affirmés. (Rédaction A l’Encontre)

[7] Même stratégie qu’Aube Dorée en Grèce sur la distribution de biens alimentaires ou le «droit» de tenir un stand dans un marché, etc. C’est une des traductions de la «priorité nationale». (Rédaction A l’Encontre)

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Germano Monti est un journaliste free-lance vivant à Rome. C’est l’un des coordinateurs de la Flottille pour la liberté italienne. Il a pris part à de nombreuses missions de paix et de solidarité à Gaza, en Cisjordanie et dans plusieurs camps palestiniens au Liban et en Egypte. C’est également l’un des fondateurs du Comité italien de solidarité avec le peuple syrien en lutte.

1 Commentaire

  1. Excellent article qui pointe bien les « connexions » entre staliniens peu et mal repentis et l’extrême droite. On pourrait étendre cette analyse à ce qui se passe en Ukraine où l’on retrouve, ce qui n’est guère étonnant, les mêmes « affinités électives ». Et pour la France, nous avons une troisième configuration qui s’y ajoute : le Rwanda. Avec cette fois le PS en « guest star »… et pour cause.

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