La grève du 5 mai: un premier témoignage

Nous publions, ci-dessous, un premier témoignage d’une «observateur français» publié sur un blog du site Mediapart. Un entretien avec un membre de Syriza sera publié plus tard, afin de dresser un tableau plus complet de la situation. Ce témoignage nous semble utile face aux «images en boucle» passant sur les télévisions. (Réd.)

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Voici un compte rendu transmis par un ami, Jean Castillo, résident à Athènes. Le 5 mai 2010: grève nationale et manifestations dans tout le pays, en Grèce. La manifestation athénienne contre les mesures gouvernementales et le FMI est massive. Les chiffres de 25’000 donnés par la police semblent ridicules par rapport à la masse rassemblée sur Patission Avenue, dans le centre-ville de la capitale.

Les cortèges se suivent les uns après les autres. Leurs banderoles, outre l’alphabet, ne sont pas toujours lisibles pour l’observateur étranger…[…] De nombreux partis d’extrême gauche ont constitué des cortèges très dynamiques. La jeunesse des manifestants y est frappante. Quelques cortèges, rares, rassemblent des migrants. Ce sont aussi les plus musicalement animés. L’envie d’en découdre avec les forces de l’ordre et avec le gouvernement est palpable. Nombreux sont les manifestants apparemment prêts à aller au conflit: ils arborent des masques en tout genre dont des masques à gaz, lunettes de piscine et les indispensables écharpes noires qui permettent aux anarchistes de garder leur anonymat sur les enregistrements visuels.

Alors que les manifestants piétinent vers 13h, à cause de l’engorgement rapide de l’avenue Patission, les premiers cortèges sont rapidement pris sous le feu des CRS grecs. En effet, des dizaines de militants anarchistes, répartis tout le long des cortèges, cassent des morceaux d’escaliers ou de façades, pour en faire des projectiles contre la police et surtout contre les banques et autres commerces choisis comme cibles politiques. Les débris s’amoncellent rapidement sur les côtés de la manifestation. La police ne charge pas, elle fait exploser des bombes sonores (on peut lire sur la bombe, après son explosion « non lethal technologies ») et lance quantité de grenades lacrymogènes. Leur fumée est particulièrement âcre, pas grand-chose à voir avec celles qu’on peut connaître en France. Des militants disent que l’Etat grec s’approvisionne en Israël et que ces grenades ne sont pas aux normes de sécurité. La preuve? Nombreux sont les manifestants malades. Certains s’évanouissent. D’autres chancellent et doivent être soutenus. Tous toussent, crachent et pleurent.

La cible politique du jour est le Parlement où doivent être ratifiées et signées les mesures annoncées par le gouvernement. La manifestation se scinde en deux pour contourner le jardin en contrebas du bâtiment, mais les CRS ne laissent passer personne. Les premières escarmouches sérieuses commencent: des cocktails molotov sont envoyés sur les policiers, dont certains prennent feu. La riposte est sévère. La fumée et les déflagrations des bombes sonores dispersent les manifestants. On ne voit plus autour de soi. Les mouvements de foule dispersent les cortèges. Les banderoles sont repliées. Une vraie guerre de position commence entre les CRS et les anarchistes, soutenus par des manifestants en colère. C’est la première fois que l’ensemble des personnes présentes soutiennent, applaudissent et acclament massivement l’action des anarchistes. Certains cortèges se déploient même stratégiquement pour protéger leur action. Les CRS ne plient pas, l’atmosphère devient irrespirable. La manifestation décide de contourner le blocage. La dispersion est à son comble. Et surtout la cible (le Parlement) manquée. On entend des cris de manifestants tout à fait ordinaires «brûlons le Parlement», «gouvernement assassin», «police, cochons, assassins»!

Alors que le contournement du blocage s’avère inefficace – car la seconde route d’accès au Parlement est également bloquée par les CRS – une partie de la manifestation décide de continuer sur une grande avenue. Celle-ci réserve une surprise de taille: le ministère de l’économie. Ce fait n’échappe pas aux manifestants anarchistes qui se déchaînent sur la porte d’entrée à grands renforts de cocktail molotov. Le hall d’entrée prend feu et les flammes lèchent bientôt le premier étage. L’ensemble du bâtiment est rapidement touché. Etait-ce où étaient entreposées les archives de l’économie du pays? Les plans du FMI? Les manifestants qui entourent les anarchistes crient victoire et les acclament. Encouragés, ceux-ci cassent sans plus de retenue. Alors qu’un camion de pompiers arrive pour éteindre le feu, ils se jettent dessus, cassent les phares, arrachent le pare-chocs. Certains manifestants tentent de s’opposer «pas les pompiers!», mais c’est trop tard. Les pompiers à l’intérieur du véhicule décident de le quitter. Les anarchistes y mettent le feu. Deux autres voitures brûlent, mais il ne semble pas qu’il s’agisse là de cibles favorites. Les vitrines de tous types de commerces volent désormais en éclats. Les CRS poursuivent les quelque 150 à 200 personnes restées avec les anarchistes. Avec l’arrivée de leur nouvel engin (les CRS, par deux, à moto), ce qu’il restait de manifestants se disperse. C’est la fin de la casse.

En amont, des cortèges continuent à manifester plus pacifiquement. Chants et slogans rythment leur marche. Mais la police les charge et les bombes sonores continuent à pleuvoir au milieu de la fumée des gaz lacrymo. On apprend que deux gardiens d’une banque sont morts et un pompier par asphyxie. Rumeur! disent de nombreux manifestants. C’est pour mieux nous faire plier. Mais la rumeur est tenace, elle se répand très vite. La BBC dit, CNN dit, Reuters, AFP…. On appelle les amis restés à la maison, qui pour une jambe dans le plâtre, qui pour garder son enfant (petite remarque de genre: ce sont les femmes évidemment qui gardent les enfants)…. La rumeur semble confirmée. Il s’agirait de 3 employés d’une banque à laquelle les anarchistes ont mis le feu (pas de pompier décédé). Mais beaucoup restent incrédules. Sur le chemin du retour, nous croisons des amis anarchistes, défaits…si c’est vrai disent-ils, il va falloir nous cacher.

Dernières nouvelles…

Après la confirmation de la mort de trois employés de banque, les CRS ont envahi Exarchia, dans le centre-ville d’Athènes, quartier où se trouvent la plupart des squats et des centres sociaux de la capitale. Les descentes de police sont massives et effectuées avec un objectif clair de représailles. Les ateliers et espaces de travail sont méthodiquement cassés et des dizaines de personnes sont arrêtées. Les militants sont sous le choc, mais il n’y a aucun espace à l’abri où se réunir et faire le point.

A la télévision grecque, des morceaux choisis (casse, flammes) de la manifestation passent en boucle. Le gouvernement dit que toutes les méthodes seront mises en œuvre pour trouver les coupables. L’ensemble des manifestants est assimilé aux casseurs. La répression s’abat sur le mouvement social grec, qui démarrait pourtant à peine, après un 1er mai combatif, prolongé par un 5 mai massif. Il paraît à cette heure logique que le gouvernement instrumentalisera le drame pour empêcher toute protestation sociale future.

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