Italie. L’irrésistible résurrection de Matteo Renzi

Michele Emiliano, Andrea Orlando, Matteo Renzi

Par Diego Giachetti

La procédure de nomination du nouveau secrétaire du Parti démocratique1 (PD) – qui a eu lieu en avril 2017 – prévoit deux étapes. La première étape concerne les membres inscrits, appelés à voter pour une des motions présentées par les candidats, en l’occurrence au nombre de trois : Matteo Renzi2, Michele Emiliano3 et Andrea Orlando4. [Cette étape est destinée notamment à agréer les candidats présentés aux primaires, c’est-à-dire ceux qui atteignent le quorum.] Lors de la seconde étape, les candidats sont soumis au test des primaires, élections ouvertes à qui veut y participer, membre ou non du PD. La première étape a donné les résultats suivants, sur 264’879 participants (59% des inscrits pour ce référendum ouvert: Renzi 67%, Orlando 25%, Emiliano 8%. Puis 1’839’000 électeurs et électrices ont participé aux primaires; Renzi a obtenu le 69% des voix, Orlando le 20% et Emiliano le 11%.

Des pourcentages flamboyants pour de sombres valeurs absolues

Ces résultats ne doivent pas nous faire oublier certaines réalités. Avant tout, Renzi et le PD agitent triomphalement les pourcentages de la victoire, en omettant les valeurs absolues. Ces dernières parlent d’un parti qui, bien qu’étant encore numériquement important, est en constant reflux. Dans ce sens, les 67% obtenus par Renzi lors de la première étape et mis en avant dans tous les congrès locaux du parti, doivent être ramenés à leur juste valeur: cela représente quelque 170’000 voix. Il en va de même pour les primaires qui ont suivi. En 2007, la participation aux primaires, qui a vu Walter Veltroni devenir secrétaire du PD peu après sa fondation, atteignait le nombre de 3’554’169 votants. Deux ans plus tard, lorsque Luigi Bersani fut élu, il y eut 3’102’709 votants. En 2013, Renzi devint pour la première fois secrétaire du parti, avec 2’814’881 participants au vote. L’élection qui vient d’avoir lieu n’a mobilisé que quelque 1’800’000 personnes. Une régression que n’expriment pas les pourcentages et qui n’indique pas que les 69% de Renzi sont acquis sur une base électorale bien plus étroite qu’en 2013; en valeurs absolues, il reçoit environ 1’200’000 votes, soit des centaines de milliers de moins qu’en décembre 2013 (1’800’000).

La propagande du parti, épaulée par certains médias complaisants, a d’abord misé sur des prévisions de participation à la baisse, pour ensuite se féliciter des résultats meilleurs que prévus. C’est une approche mesquine, destinée à occulter une réalité: les dernières primaires ont mobilisé un million de personnes en moins. En fait, depuis 2007, la participation aux primaires s’est réduite de moitié [3’554’169 en 2007, 1’839’000 en 2017]. Cela démontre un intérêt décroissant de la part des électeurs, qui ne s’explique pas uniquement par la scission de la minorité de gauche qui a fondé, en février dernier, le Mouvement démocratique et progressiste5. Cette érosion révèle une perte de soutien électoral qui va au-delà des voix parties avec le nouveau parti.

Le score de Renzi cache un paradoxe. Il obtient les pourcentages les plus élevés (75 à 80%) dans les régions où le nombre de votants a le plus diminué. Autrement dit, il est le plus fort dans les bastions de l’ex-Parti communiste, puis des ex-Démocrates de gauche6 et enfin du PD, qui sont les mêmes régions où le nombre de votants s’est le plus contracté. Ainsi, dans celles que l’on nommait les régions rouges et dans le nord du pays, la participation baisse en moyenne de 40%. Dans le Sud, trois seules régions voient le nombre des votants augmenter ou ne pas diminuer par rapport à 2013. Là les dégâts ont été limités grâce à la présence de leaders locaux fortement implantés, comme c’est le cas en Campanie et dans les Pouilles. Dans cette dernière région le président de région Michele Emiliano, candidat [et rival de Renzi] au secrétariat du PD, a reçu un grand nombre de voix. La baisse de la participation est doublée d’une mutation dans la composition sociale et politique des électeurs.

Les premières analyses décrivent, pour Renzi, un bassin électoral plutôt situé dans les dites classes moyennes, qui connaissent une dégradation de leur situation, et surtout parmi les quinquagénaires et les sexagénaires : parmi ses électeurs, 4 sur 10 ont plus de 65 ans. Si, avec ces dernières élections, le PD reste le parti préféré des retraités, la perte de soutien des enseignants, des artisans, des petits entrepreneurs et d’importantes franges de jeunes, autrement dit de l’électorat de cette «gauche» traditionnelle, ne s’est pas tarie. Les chômeurs quant à eux sont en nombre insignifiant, tandis que les ouvriers en général désertent le PD depuis longtemps déjà. En 2013, par exemple, le 30% des ouvriers avaient voté pour le Movimento 5 Stelle7, 20% seulement pour le PD.

Réécrire l’histoire du parti

Le PD présente 6448 cercles sur le papier. Mais quelle est leur fonction au sein du parti? L’armature de ces cercles est constituée par un appareil bureaucratico-administratif lié aux exécutifs locaux et aux administrations régionales, en étroite dépendance du gouvernement, au centre comme à la périphérie: le PD administre 15 régions sur 20 et un grand nombre de villes. C’est cette strate politique qui a ouvert la voie à Renzi. Elle constitue le noyau dur qui se range toujours du côté de la raison du plus fort, c’est-à-dire aux côtés du secrétaire considéré comme le futur vainqueur.

En 2013, quand Renzi accéda d’abord au secrétariat du PD puis à la présidence du Conseil des ministres, il hérita d’un parti amalgamant les deux composantes d’origine: les ex-démocrates-chrétiens et les ex-communistes (PCI, PDS). Au cours de ses années de secrétariat, il a avancé dans son projet de transformation du parti. Le tournant du dernier congrès et sa récente réélection à la tête du PD inaugurent une nouvelle étape, accomplie avec pertes et fracas et dont la baisse de la participation aux élections est le dernier symptôme. S’il en est résulté un parti plus soudé autour de son leader, on peut dire que Renzi l’a emporté, mais dans un parti plus réduit et relativement aphasique. C’est en outre une victoire arrachée à des adversaires fragiles: un ministre, Orlando, son allié de la veille devenu subitement son rival, et Emiliano qui, après avoir mis un pied hors du parti, a soudainement fait volte-face. Une victoire prévisible due à l’inconsistance de ses concurrents. Or, malgré tout, ces derniers récoltent un sentiment anti-Renzi qui atteint le 30% des voix.

Les centaines de milliers de votes qui ont élu Renzi sont d’une autre nature que lors des élections précédentes de 2013. Les votants ont aujourd’hui approuvé des choix gouvernementaux lourds, en grande partie impopulaires (Jobs Act8 et réforme de l’école9), de réels échecs, des calculs politiques erronés, comme le fait d’avoir foncé tête baissée dans le référendum institutionnel10, des doutes et des zones d’ombre résultants de l’ouverture d’enquêtes par la magistrature sur quelques conflits d’intérêts familiaux. L’élection de Renzi au secrétariat du parti résulte de soutiens dans la bataille interne qui a provoqué une scission à la veille du congrès.

Plus de trois ans de secrétariat Renzi ne sont pas passés inaperçus. Si son ami français, Emmanuel Macron, a quitté son parti – en faikt, le PA hollandisé – pour ensuite le vider, Renzi a mis le PD sens dessus dessous de l’intérieur, envoyant au pilon les chapitres précédents de la saga du PD et en mettant au rancart plusieurs de leurs «auteurs». C’est pourquoi, à peine réélu, Renzi a parlé d’un «nouveau début» et d’une «feuille blanche» à écrire. Mais avec qui? Avec le courant qui a porté sa réélection et avec lequel il devra partager les postes et la formation des listes pour les prochaines élections politiques.

Du gouvernement du parti au gouvernement du pays

Sur les pages du quotidien du PD, L’Unità, le résultat obtenu par le nouveau secrétaire est commenté de la manière suivante. L’identification entre le secrétaire du parti et le candidat au poste de président du Conseil des ministres est un des piliers du PD; c’est l’expression de l’affirmation de la vocation majoritaire qui constitue à la fois la structure génétique du parti et sa raison d’être. Cela signifie que, dans les mois à venir, le PD va œuvrer à la réalisation de sa propre vocation gouvernementale. La sempiternelle discussion sur les alliances, écrivent de fervents défenseurs de la politique du parti, est désormais reléguée au rang d’ancienne pratique politique que le PD a voulu dépasser dès sa fondation.

Autrement dit, le PD vise la candidature à la gestion du pays, sans alliances. Comment réaliser un tel projet? Les prochaines avancées du leader pourraient se réaliser dans trois directions: faire adopter une loi électorale qui mette hors jeu le Movimento 5 Stelle de Bepe Grillo [qui subit le désastre de la gestion municipale de Rome, mais reste en tête des sondages], en appuyant l’actuel gouvernement de Gentilloni pour, ensuite, le faire tomber et avancer au pas de charge vers des élections anticipées. Cela, dans le but de réaliser l’adoption par le Parlement des nouvelles dispositions économiques et financières de l’automne prochain, si impopulaires qu’elles pourraient transformer le projet de reconquête de l’exécutif en un simple mirage.

La première étape de ce parcours a été franchie avec la réélection de Renzi au poste de secrétaire: il est ainsi assuré de contrôler le parti. Cette nouvelle situation risque de contraindre des pans entiers de la «gauche» à se réorganiser sans pouvoir compter sur une alliance avec le PD pour reconstruire le centre-gauche, projet à l’ordre du jour de ces formations qui pourrait rester sans réponse. Sur le fond, le PD continue d’être un colosse par rapport aux autres organisations politiques, constituant le seul point de référence sûr pour la bourgeoisie italienne qui continue à le soutenir. La gauche, plus à gauche avec des nuances, est faible et fragmentée. On peut observer non sans cynisme que, malgré son fléchissement, le nombre des votants aux élections primaires du parti équivaut plus ou moins au nombre de voix récoltées aux dernières élections politiques par les deux mouvements Sinistra Ecologia e Libertà et Rifondazione communista. De nombreux salarié·e·s, des chômeurs, des travailleurs appauvris par les mesures gouvernementales et par l’application impitoyable des normes européennes avancent aujourd’hui par petits groupes, à la recherche d’une alternative. Ils souffrent et ils protestent, tout en récompensant, selon les sondages, la droite populiste, souverainiste ou nationaliste (Lega Nord) et le Movimento 5 stelle qui, au nombre de voix, représente la principale force d’opposition. (Traduction et notes par Dario Lopreno)

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1/ Sur le Parti démocratique (Partito democratico, PD), voir l’article de Franco Turigliatto, Italie. Crise et scission du Parti démocratique (PD): origines et suites…, publié sur ce même site (http://alencontre.org/europe/italie/italie-crise-et-scission-du-parti-democratique-pd-origines-et-suites.html).

2/ Matteo Renzi (Florence, Italie du Centre) est l’ex-Président du Conseil des ministres (1er ministre) de février 2014 à décembre 2016 et l’ex-secrétaire du Parti démocratique (PD) de décembre 2013 à février 2017.

3/ Michele Emiliano (Bari, Italie du Sud), est un ancien magistrat anti-mafia, devenu par la suite maire de Bari (chef-lieu des Pouilles), puis président de la région des Pouilles. Autrefois proche de Renzi, il se retrouve souvent en opposition à celui-ci depuis son élection comme président de la région des Pouilles, sur des questions environnementales ou de défense de la région. C’est l’artisan d’un revenu minimum garanti de 600 euros mensuels pour ceux et celles qui ne perçoivent pas plus de 3000 euros annuels. Un revenu qui s’adresse en outre seulement aux ménages allant jusqu’à 5 personnes et à l’exclusion de ceux qui ont un travail fixe ou précaire…

4/ Andrea Orlando (La Spezia, Italie du Nord) a été député (Chambre des députés) depuis 2006, puis ministre de l’environnement en 2013 et 2014 (sous gouvernement Enrico Letta, actuellement professeur à Science Po à Paris) et ensuite, dès 2014, ministre de la justice (gouvernement Renzi, puis dans l’actuel gouvernement de Paolo Gentiloni). [ndt]

5/ Voir, à ce sujet, l’article de Diego Giachetti intitulé Le Parti démocratique: recommencer sous la baguette de Renzi, publié sur ce même site (http://alencontre.org/laune/italie-le-parti-democratique-recommencer-sous-la-baguette-de-renzi.html). [ndt]

6/ Les Démocrates de gauche (Democratici di sinistra, de 1998 à 2007) était un parti à tendance social-libérale, issu du Parti démocratique de la gauche (de 1991 à 1998), provenant lui-même de l’ex-Parti communiste italien. Avec La Margherita (La Marguerite, de 2001 à 2007), un autre parti était issu de l’ex-Démocratie chrétienne. Les Démocrates de gauche ont constitué l’une des deux principales composantes de fondation du Parti démocratique en 2007.]

7/ Le Movimento 5 Stelle (Mouvement 5 étoiles), est un mouvement hétéroclite, sans projet économique et social alternatif, captant une part croissante de l’électorat national en s’élevant contre la politique clientéliste et mafieuse. Il est éloigné de toutes les questions se rapportant aux relations entre Capital et Travail, et exprime des positions xénophobes et euro-sceptiques (voir sa position sur les ONG aidant les migrants dans l’article publié sur le site alencontre.org en date du 2 mai 2017).

8/ Le Jobs Act est une série de dispositions législatives entrées en vigueur à partir du mois de mars 2015. Synthétiquement, il s’agit de faciliter les licenciements pour les contrats de durée indéterminée, d’accorder des abattements fiscaux à toute entreprise qui embauche, de réduire les indemnités chômage en les liant à la durée de cotisation et restreindre le droit au chômage partiel, de faciliter le déplacement des salarié·de·s vers d’autres tâches que celles pour lesquelles ils ont été engagés, remettre en question l’inaliénabilité des vacances dues et flexibiliser les horaires et les salaires (Voir. Jobs Act, documentazione, http://www.jobsact.lavoro.gov.it/documentazione/Pagine/default.aspx).

9/ La réforme de l’école, nommée aussi Buona scuola (Bonne école), a notamment abouti à réduire les bourses d’études, à faciliter la privatisation au sein du système scolaire, à rigidifier la formation professionnelle, à fragiliser l’intégration du handicap et à rendre plus compliqué le recrutement de nouveaux enseignants (Cf. La buona scuola, facciamo crescere il paese, https://labuonascuola.gov.it/). [ndt]

10/ Cf. sur ce site, Diego Giachetti, Oui ou non? NON. À propos du référendum constitutionnel du 4 décembre (http://alencontre.org/europe/italie/italie-oui-ou-non-non-sur-le-referendum-constitutionnel-du-4-decembre.html); Il Cuneo rosso, Référendum du 4 décembre 2016 : un bilan, 20 décembre 2016 (http://alencontre.org/europe/italie/italie-referendum-du-4-decembre-2016-un-bilan.html). [ndt]

 

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