Italie. Le projet de «Bonne école» passe au Sénat. La protestation continue…

Sciopero-la-buona-scuolaPar Chiara Carratù

Le projet néolibéral piloté par le Premier ministre italien, Matteo Renzi, de restructuration de l’école publique italienne, nommé «Bonne école» (voir sur ce site l’article publié en date du 20 juin 2015), a été approuvé par le Sénat de la République, le jeudi 25 juin 2015. Lors de la discussion au Sénat du projet de loi, du 23 au 25 juin, des actions et des sit-in appelés par toutes les organisations syndicales du secteur (Flc-Cgil, Cisl e Uil Scuola, Snals-Confsal e Gilda-Unams et Cobas) se sont déroulés dans de nombreuses villes d’Italie. A Rome, devant le siège du Sénat de la République (Palazzo Madama), des enseignant·e·s précaires se sont enchaînés pour protester contre un projet de loi qui «détruit l’école publique». La discussion à la Chambre est prévue le mardi 7 juillet. D’ici là, la mobilisation ne va pas s’arrêter. Les trois confédérations syndicales (Cgil, Cisl et Uil) ainsi que les syndicats de base de l’école et les associations étudiantes ont appelé à poursuivre la mobilisation dans le but d’obliger le gouvernement à reculer et à retirer le projet de loi. Nous reviendrons plus en détail sur l’analyse du projet de loi dans les prochaines semaines. Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de Chiara Carratù publié sur le site de Sinistra Anticaptalista (Rédaction A l’Encontre)

*****

Le projet de «Bonne école» a été adopté par le Sénat de la République avec les résultats suivants: 159 oui, 112 non et aucune abstention. Alors que dans l’enceinte parlementaire on assistait à l’effondrement de l’école publique, dans les places et rues des différentes villes d’Italie, des milliers d’enseignant·e·s ont continué à protester sans baisser les bras face à la quasi-approbation du projet de loi (Decreto legislativo – DDL). Le gouvernement Renzi – en perte nette de consensus et fortement affaibli après avoir mené pour une année des politiques d’austérité conduisant, entre autres, à l’adoption du Jobs Act – a imposé un processus de votation d’urgence au parlement dans le but d’éviter toute sorte d’opposition potentielle. En effet, le DDL n’a pas été discuté au sein de la Commission permanent de l’instruction. De plus, on a choisi l’outil du «maxi-emendamento» (qui englobe tous les articles de la loi) pour la votation du projet de loi [1].

Le contenu du projet devient évident

Aujourd’hui, on comprend mieux le contenu réel de ce projet:

  • Le chantage concernant des embauches d’enseignant·e·s précaires est devenu manifeste au moment où le choix d’embaucher une partie de ceux qui doivent être nommés selon les modalités actuelles à partir de septembre 2015 a été reporté à septembre 2016. Toute la propagande gouvernementale de ces derniers jours s’est concentrée sur l’impossibilité d’embaucher sans procéder à une restructuration profonde de la nature de l’école publique. Nous avons donc vu que le chantage était une stricte manœuvre…
  • Ladite «gauche du PD» s’est alignée sur les projets du gouvernement. Aucun des «dissidents» n’a soutenu les revendications du «monde de l’école». Ils se sont tous alignés lors du vote au Sénat. L’excuse utilisée est celle d’une «discipline de parti». Il s’agit d’une farce qui vise à cacher les divergences autour des «rentes de position» plutôt que de divergences portant sur la substance des sujets soumis au vote.
  • Le DDL a été intégralement confirmé quant à ses aspects essentiels, à savoir le renforcement de l’autonomie scolaire par le biais de la construction des «listes régionales» pour le recrutement, ainsi que la figure du directeur d’école manager. L’ «organe de l’autonomie» devient l’outil pour établir les listes des enseignants nécessaires. Ils seront choisis par les managers en relation avec le système de méritocratie qui s’articule sur un prétendu comité d’évaluation qui devrait décider qui doit être gardé et qui doit être viré. Enfin, il n’y a eu aucune modification concernant les modalités d’entrée des privés dans la gestion et le financement des institutions scolaires.
  • Le travail gratuit des stagiaires [2] et les neuf «délégations en blanc» [3] permettront au gouvernement d’intervenir avec des décrets ad hoc portant sur les embauches et les horaires de travail des enseignant·e·s. En ce qui concerne les «fameuses» 100’000 embauches, seulement la moitié de celles-ci sera garantie à partir de 2015 (et selon la procédure actuelle). Les autres, y compris ceux et celles nommés en cours d’année, vont être embauchés à partir du 2016, selon l’organe d’autonomie.

Du Jobs Act à la «Bonne école»

La «Bonne école» est un chef-d’œuvre d’autoritarisme qui réalise finalement les rêves de la Confindustria [l’organisation du patronat italien], laquelle demande à grands cris, depuis des années, de pouvoir participer à la gestion des établissements scolaires, après avoir accordé beaucoup des financements aux écoles privées, en faisant ainsi le bonheur du Vatican. Les seuls à ne pas être content sont les milliers des travailleurs et travailleuses, parents, étudiant·e·s qui se sont battus contre ce projet de loi scélérate. La seule raison qui peut expliquer la nature antidémocratique du processus législatif choisi pour adopter le projet de «Bonne école» est la suivante: l’inscrire dans le dessein de démantèlement de l’école publique conformément aux politiques d’austérité et aux «réformes structurelles» dont notre pays «devrait avoir besoin dans le but d’augmenter sa compétitivité» au plan international. Le même argument qui est repris dans chaque pays. Ainsi, si l’on inscrit ce projet dans le spectre des contre-réformes placées sous la houlette des institutions européennes, on peut en comprendre sa logique ainsi que son danger. La destruction de l’école publique représente pour la bourgeoisie italienne l’élimination d’un des derniers «obstacles» légués par les luttes sociales et politiques des années 1960-1970 en termes de droits démocratiques et sociaux.

Le projet de «Bonne école» impose un nivellement par le bas des conditions d’emploi et de travail dans le secteur public ainsi que dans le privé. Il s’accorde avec les principes du Jobs Act: facilité de licenciement, salaire au mérite, destruction des conventions collectives nationales, déqualification, contrôle des salarié·e·s et absence de droits. Durant ces derniers jours, le Premier ministre Renzi et ses partisans ont essayé de déplacer toute l’attention publique sur l’aspect des embauches. Toutefois, ils ne sont pas arrivés à convaincre les gens du «monde de l’école» qui ont continué à se mobiliser dans les rues et sur les places du pays. C’est ainsi que ce vote a marqué encore davantage la césure et la distance entre le gouvernement Renzi et une partie importante de la société qui s’est battue avec générosité ces derniers mois contre ce projet.

Les gens mobilisés dans les rues ne se sont pas résignés suite au vote du projet au Sénat. Au contraire, il y a eu beaucoup de propositions et de débats portant sur les modalités de poursuite de la lutte. Bien sûr, il faudrait recueillir et organiser cette volonté de continuer la lutte, entre autres dans le but d’éviter une dispersion des forces lors des vacances d’été. A l’heure actuelle, les propositions des trois principales confédérations syndicales [Cgil, Cisl, Uil] restent plutôt vagues. Elles n’indiquent pas une claire perspective qui permettrait de construire les prochaines actions et mobilisations. Et les ripostes ne sont certainement pas à la hauteur de l’attaque que nous sommes en train de subir. C’est pourquoi nous jugeons nécessaire de construire, dès maintenant, une plateforme ouverte et démocratique qui vise à abroger le projet de «Bonne école». Elle devrait contribuer à la réalisation d’une grande manifestation nationale et à une grève générale au cours du mois de septembre. C’est sur la base de ces propositions que les syndicats – qui jusqu’à aujourd’hui se sont mobilisés unitairement – devraient réfléchir et agir. En effet, l’erreur le plus grave que l’on peut faire en ce moment consisterait à commencer la prochaine année scolaire en avalant la «réforme», contribuant ainsi à un nouveau recul sur le plan des droits des travailleurs et travailleuses. (26 juin 2015; traduction A l’Encontre)

Chiara Carratù est enseignante de Turin et membre de Sinistra anticapitalista.

____

[1] Le « maxi-emendamento » ou «grand amendement» prend la forme d’une modification partielle d’une loi. Il s’agit d’un amendement présenté par le Gouvernement qui englobe tous les articles de la loi examinée. Sur cette base, avant d’entrer en matière sur chaque article de loi, une sorte de «vote de confiance» doit être établi. En cas de vote favorable, les modifications essentielles des articles sont adoptées en une seule fois. Il s’agit d’une méthode utilisée pour éviter toute sorte d’opposition sur les aspects essentiels d’une loi. (Réd. A l’Encontre)

[2] Il s’agit d’une mesure prévue par le projet de «Bonne école» qui consiste à renforcer le lien entre école et entreprise. Les élèves des écoles techniques et professionnelles devront travailler au moins 400 heures auprès des entreprises (privés ou publics) lors des derniers trois ans d’école, alors que ceux et celles des collèges travailleront 200 heures. (Red. A l’Encontre)

[3] Il s’agit d’un terme exprimant une procédure qui pose le problème de l’inconstitutionnalité de l’action du gouvernement (exécutif) concernant des aspects relevant du pouvoir législatif confié en Italie aux deux chambres parlementaires: la Chambre des députés et le Sénat. En effet, les modalités avec lesquelles le gouvernement a fait adopter le projet de «Bonne école» pourront aller à l’encontre de leurs compétences ainsi qu’elles sont prévues par l’article 76 de la Constitution de la République italienne. (Réd. À l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*