Grèce. La trajectoire du PIB grec et celle du QI des journalistes économiques

Wolfgang Schäuble et Jeroen Dijsselbloem

Par Romaric Godin

Alors que l’économie hellénique continue à s’enfoncer sous le poids des réformes et de l’austérité, les médias français dominants feignent l’incompréhension et les éditorialistes regardent ailleurs. Il est vrai que la Grèce est une épine dans le pied de leurs certitudes…

Il est des silences très parlants. Ainsi celui des éditorialistes et chroniqueurs économiques français sur la situation grecque depuis quelques mois. Regardons le sommaire de la semaine passée: on n’y trouvera que des réflexions assez semblables sur la façon dont Emmanuel Macron a ensorcelé Angela Merkel ou sur les défis des deux nouveaux locataires de Bercy. De Grèce, point. Et, à vrai dire, l’Olympe du journalisme économique ne s’est plus guère penchée sur le sort de ce pays depuis ce 13 juillet 2015 où le Premier ministre grec, a «dû accepter» un troisième programme.

Pourtant, la semaine dernière, l’occasion était bonne d’aider nos concitoyens à «décrypter» cette tragédie économique et sociale en plein cœur d’une zone euro que l’on nous dit en pleine refondation.

Le 17 mai 2017, en effet, le parlement grec a approuvé, sous la pression des créanciers, une nouvelle série de mesures d’austérité, touchant notamment les retraites (pour la treizième fois !) et prévoyant un tour de vis budgétaire jusqu’en 2021. [Voir à ce propos sur notre site l’article de Michel Husson publié en date du 1er juin 2017 : «La violence imbécile des créanciers».]

Cette nouvelle purge est la quatrième pour le seul troisième protocole d’accord signé en août 2015 avec les détenteurs européens de la dette publique européenne. Le vote a donné lieu à des manifestations importantes devant le parlement athénien. Deux jours plus tôt, on avait pris connaissance de la première estimation de la croissance grecque du premier trimestre. Un recul de 0,1 %, le second de suite, ce qui signifie que la Grèce est à nouveau «techniquement» en récession alors même que la croissance du reste de la zone euro s’accélère. Dans la foulée, le 16 mai, la Commission européenne a revu sa prévision de croissance 2017 de 2,7 % à 1,8 %. [Après avoir révisé la croissance à -1,1% au quatrième trimestre 2016, le résultat du premier trimestre 2017 – après ajustement saisonnier – est qualifié, triomphalement, d’une croissance de 0,4% selon Macropolis, 2 juin 2017. Réd. A l’Encontre]

La reprise AFP, cette forme moderne d’indifférence

Or, ce qui est frappant dans le traitement médiatique de ces quelques faits, c’est l’incapacité à les lier entre eux ou l’insistance à les séparer. La croissance ne reprend pas, l’austérité continue. Mais rien ne semble lier les deux. Chaque acte de la crise grecque est traité séparément, avec l’aide de cette forme moderne d’indifférence qu’est la reprise de la dépêche AFP ou Reuters.

Aussi chercherait-on en vain dans ce traitement de l’actualité grecque un lien de cause à effet entre ce chiffre de la croissance et les mesures d’austérité votées sans cesse depuis des mois. Par exemple, Le Figaro publie le 16 mai un papier plus fouillé que ceux des autres médias français, quoiqu’assez court et descriptif. Mais il se contente cependant d’un constat en forme de mystère : «Après sept années de crise, autant de récessions et de multiples cures de rigueur, la Grèce n’arrive toujours pas à sortir du tunnel. Le chômage plafonne à 23%, rares sont les entreprises qui rémunèrent leurs employés dans les temps. Et l’économie tourne au ralenti alors que les réformes structurelles peinent à voir le jour.»

Et il y a là en effet un vrai mystère auprès duquel la trinité est une partie de Cluedo [Il s’agit célèbre un jeu de société dans lequel les joueurs doivent découvrir parmi eux qui est le meurtrier d’un crime commis dans un manoir anglais]. Car les «cures d’austérité» ont bien vocation à «réformer» et chaque loi votée par le parlement grec sous la pression des créanciers comporte des «réformes». Depuis 2014, l’OCDE reconnaît que la Grèce est un des pays à avoir le plus «réformé». Dès lors, comment les «réformes structurelles» peineraient-elles à voir le jour? C’est qu’elles n’ont pas peiné: elles ont été mises en place et elles ont causé la situation actuelle du pays. C’est peut-être que l’on a alors découvert ce fait inouï: les «réformes» pourraient ne pas être bonnes pour la croissance? Le fait étant évidemment inacceptable, il ne sera pas énoncé.

Le cancre grec, encore et toujours

Mieux encore : le même Figaro économie publie le 21 mai sur son site un nouvel article assez long et brillamment infographié pour expliquer que les créanciers européens s’attaquent enfin au problème de la dette dans l’Eurogroupe de ce lundi 22 mai. Et l’article de préciser que «le niveau d’allégement de la dette dépendra des prévisions de croissance de la Grèce et des excédents budgétaires qu’Athènes pourra dégager sur plusieurs années sans pour autant étrangler son économie». Nouveau mystère à vrai dire puisque, précisément, l’économie grecque est étranglée depuis sept ans par les excédents budgétaires (plus précisément, les excédents primaires, qui excluent le service de la dette).

Or, les nouvelles mesures votées le 17 mai ont imposé les mêmes objectifs pour trois ans de plus, justement pour rendre, croit-on, la dette «soutenable». Quel que soit le niveau d’allègement de la dette (qui ne sera en fait qu’une protection contre une future hausse des taux), les créanciers ont déjà décidé d’étrangler l’économie hellénique. Mais il est vrai que la clé de ce mystère repose dans le titre de l’infographie qui résume les niveaux de dette européenne et est titré : «la Grèce, cancre de l’Union européenne». Dès lors, tout devient simple: la Grèce est un pays cancre qui ne sait pas comment faire baisser sa dette et il faut donc encore lui «venir en aide». Une fois de plus, le lien entre la croissance et l’austérité est totalement nié.

Du reste, la très mauvaise croissance grecque du premier trimestre ne sera traitée par les médias français que sous la forme d’une reprise de dépêches. Dans l’ensemble de ces traitements, la raison de cette récession est simple, c’est celle énoncée par la Commission à Bruxelles: le retard dans les discussions entre le gouvernement et les créanciers qui ont «causé de l’incertitude», comme le souligne, par exemple, le site de L’Express qui reprend la dépêche AFP. L’article du Monde, réalisé avec l’AFP et Reuters, se contente de constater que «les trois plans d’aide consécutifs accordés à la Grèce depuis 2010 par l’Union européenne et le Fonds monétaire international, en échange de réformes, n’ont toujours pas remis le pays sur les rails de la croissance.» Mais pourquoi diable? Ces trois plans, ces réformes auraient-elles une part de responsabilité dans cette affaire ? On n’en saura pas davantage.

La Grèce, mauvaise conscience de la magie des réformes

Dans le monde des médias français, la croissance grecque semble vivre dans un monde séparé des plans d’austérité et des excédents budgétaires. C’est d’ailleurs bien ce que sous-entendait cet extraordinaire éditorial du Monde du 22 avril dernier titré majestueusement «la bonne surprise grecque» qui se réjouissait avec emphase de l’excédent budgétaire primaire grec, largement supérieur aux attentes, et y voyait la certitude pour la Grèce d’une restructuration de la dette. La nouvelle récession du pays est pourtant bien le fruit de cet excédent qui n’est rien d’autre qu’une ponction de la richesse nationale pour le seul bénéfice de ses créanciers, alors même que l’outil productif du pays est inexistant. Ce sont les hausses d’impôts, les baisses de retraites, les coupes budgétaires diverses qui ont causé cet excédent dont Le Monde se réjouissait tant et qui, partant, ont détruit l’économie grecque. Mais qu’importe, dans le monde des médias français, l’excédent budgétaire n’a que des vertus.

Ce refus entêté de faire le lien entre réforme, austérité et récession est évidemment symptomatique du biais idéologique du traitement de l’actualité économique. Et, dès lors, le silence de nos chroniqueurs et éditorialistes de tous poils, toujours prompts à nous vendre la lessive austéritaire si bonne pour nous, se comprend. Certes, l’intérêt de la chronique économique devrait être de faire le lien entre des faits liés que l’on voudrait voir séparés. Mais, plus que jamais, la Grèce est la mauvaise conscience de la «magie des réformes», alors même que les ondes et les pages françaises débordent de louanges pour ces mêmes réformes qui régleront tout. Il est donc plus simple d’éviter de parler de cas gênant. Et si l’on y revient dans les jours qui viennent, gageons que ce sera pour insister sur la magnanimité des créanciers qui acceptent de renoncer à des intérêts futurs qu’ils sont certains de ne pas toucher, compte tenu de la politique qu’ils imposent à la Grèce, et non pour dénoncer et démonter cette politique.

Surtout, tous ont défendu avec acharnement la dureté des Européens en 2015 face au «premier» Alexis Tsipras, celui de janvier 2015, qui ne disait pourtant que ce qui est évident désormais: la priorité au remboursement des créanciers, première justification de l’austérité, tue l’économie grecque et donc la capacité de remboursement des Grecs. L’échec du troisième programme, largement prévisible, est aussi l’échec des chroniqueurs économiques et de leurs croyances [1]. La leçon est sans doute encore trop amère pour qu’elle soit acceptée. Les Français attendront donc encore pour comprendre ce qui se passe en Grèce. (Article pour Arrêts sur Images du 22 mai 2017; titre de la rédaction A l’Encontre)

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[1] Car, au-delà des croyances, les «réformes» ont abouti à ce que le docteur Babis Zabatis, chef de service oncologie et chimiothérapie d’Ágios Sávvas d’Athènes, grand Hôpital de la Santé Publique, a confié au réalisateur et journaliste Italien Fulvio Grimaldi: «La crise pour nous, c’est surtout le manque cruel de personnel. Plusieurs milliers de médecins ont quitté la Grèce. Au lieu de onze internes dans mon service par exemple, je n’en dispose que de deux actuellement, nous ne pouvons plus faire face aux besoins des patients… alors ils meurent, ou ils meurent plus rapidement car souvent ils restent longtemps sans traitement. Fait alors nouveau… nous avons remarqué une surmortalité, jamais vue jusque-là chez les médecins. Depuis ces trois ou quatre dernières années de la crise, nous ne tenons plus la route de notre mission, nos efforts sont surhumains, j’ai perdu ainsi cinq collègues, d’un cœur qui lâche, d’un AVC… voire, d’un cancer fulgurant. C’est terrible…» (Greek Crisis, 2 juin 2017)

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