Le Medef clame dans une note son dépit amoureux pour Macron

Par Odile Benyahia-Kouider

Après lui avoir lancé des fleurs, l’organisation patronale recense les «mesures négatives», taxes et prélèvements dont le Président va les accabler!

Entre les patrons et Emmanuel Macron, ce devait être une romance. Contrairement à son prédécesseur, François Hollande, le nouveau président, qui a grandi à l’ombre de la maison Rothschild, ne déteste ni les riches ni le grand capital. A l’époque de l’instauration de la taxe de 75% sur les hauts salaires, alors conseiller, il s’était même récrié: «C’est Cuba sans le soleil!» Hélas, la lune de miel risque de tourner court…

A la fin de juillet, le Medef a élaboré une note sobrement intitulée: «Point sur les sujets fiscaux d’actualité». Ce document de trois pages, sur lequel «Le Canard» a mis son bec, salue l’«effort de baisse des dépenses publiques» et se félicite que «les mesures entrepreneuriales du programme d’Emmanuel Macron soient mises en œuvre dès 2018». Un beau bouquet de fleurs – mais les épines ne tardent pas à pointer. «Nous restons vigilants sur l’équilibre global des mesures fiscales à venir.» Et la «vigilance» de faire rapidement place à la méfiance. Ainsi, le Medef tient à attirer l’attention de ses responsables sur une possible dérive. Evoquant le taux d’imposition sur les sociétés (IS), censé descendre à 25% en 2022, il rappelle qu’il «privilégie une première tranche de baisse uniforme dès 2018», alors que le gouvernement étudie d’autres paliers alternatifs. Macron serait-il tenté de jouer la montre?

Après quoi, l’organisation patronale prend carrément ses distances. Si elle approuve, évidemment, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) envisagée pour début 2018, elle voit d’un très mauvais œil l’instauration d’un impôt sur la fortune immobilière (IFI). «Il faut s’assurer, recommande la note, que l’immobilier nécessaire à l’activité de l’entreprise ne sera pas taxé, quel que soit le dispositif juridique (SCI, location…).»

Patronat martyrisé

Vient enfin la franche hostilité. Au chapitre des «mesures négatives», le Medef cible trois projets en particulier.

Primo, l’institution, pour trois ans, d’un prélèvement sur le revenu des grandes entreprises. Il est destiné à compenser le coût des contentieux (de 5 à 6 milliards) perdus par l’Etat face à ces mêmes grosses boîtes! Et cette façon de reprendre ce qu’on a perdu dans les caisses du bénéficiaire est jugée «inacceptable» et «incohérente». Voilà qui pourrait annuler en partie une promesse du candidat Macron: la suppression dès 2018 de la taxe de 3% sur les dividendes.

Secundo, une augmentation de la taxe carbone à 44 euros la tonne, contre 39 euros initialement prévus. Dans son style si littéraire, le Medef estime que «les PMI et les entreprises de transport seront très impactées».

Tertio, la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui s’élève actuellement à 7% de la masse salariale, en baisse de charges sociales (6%), ne lui convient pas du tout. La perte pour les entreprises, a-t-il calculé, serait de 5 à 7 milliards d’euros! A la rentrée, si les syndicats de salariés le jouent conciliants (FO et CFDT ont semblé séduits), c’est le Medef qui va descendre dans la rue! (Article publié dans Le Canard enchaîné en date du 16 août 2017)

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Gattaz le stratège

Quel général entraînera à sa suite un patronat de combat? En réponse à l’article du Canard (19 juillet 2017) annonçant son projet de départ anticipé de la présidence du Medef, Pierre Gattaz a assuré à l’AFP (20 juillet) qu’il resterait en poste, «comme prévu, jusqu’en juillet 2018» et que la campagne de succession «ne débutera[it] qu’en janvier». Etonnant, quand on sait que le patron du Medef a déjà convoqué pour le 13 septembre le comité statuaire de l’organisation patronale. Au menu? Sa succession, pardi!

Gattaz met les choses en musique

«Pierre Gattaz veut obtenir une modification des statuts pour permettre à Jean-Dominique Senard de se porter candidat sans risque de se faire retoquer», explique un fin connaisseur des arcanes patronaux. Le président du groupe Michelin, qui a soufflé ses 64 bougies en mars, part avec un petit handicap. Le Medef a en effet fixé l’âge limite de son président à 65 ans… Le patron des patrons a trouvé la parade: plutôt que de repousser l’âge du capitaine, il compte proposer une «réinterprétation» des textes. Ainsi, toute personne pourrait se présenter au mandat de président le temps qu’elle se trouverait sans sa… soixante-cinquième année!

Le boss du Medef est prêt à toutes les concessions juridiques pour convaincre Jean-Dominique Senard – réputé proche de Macron – de prendre le job. Ainsi, à l’occasion de l’université d’été des patrons, qui se tiendra à Jouy-en-Josas à partir du 29 août, il a convié le président de Michelin à ouvrir la conférence à 20 heures. Le thème: «Quelle équipe de France pour conquérir le monde?»

Conquérir la croissance et l’emploi serait déjà un bon début…

L’Etat en marche passe à la caisse

Si Macron prend le risque de fâcher (un peu) le patronat avec la perspective de nouvelles taxes (lire ci-dessus), ce n’est pas de gaieté de cœur. Au sein du budget 2018, il lui faut en effet dégager une quinzaine de milliards pour financer les largesses promises dans son programme… et celles consenties par Hollande pendant la période électorale – sans que le moindre financement ait été prévu.

Côté héritage, c’est 5 milliards qu’il convient de dénicher afin de compenser, notamment, une première tranche de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Mais, le gros morceau, ce sont les promesses de Macron lui-même. Entre les baisses de recettes prévues et les dépenses imprévues, il y en a, cette année, pour 11 milliards environ.

  • La transformation de l’ISF en impôt sur la fiscalité immobilière lui coûte ainsi 3 milliards de recettes.
  • La suppression de la taxe d’habitation pour 80% des contribuables vaporise 3 milliards dès cette année, et 7 autres les deux années suivantes.
  • Le taux d’imposition unique à 30% pour les revenus du capital fait maigrir les recettes de 1 milliard.
  • La taxe de 3% que les entreprises payaient jusqu’ici sur les dividendes distribués à leurs actionnaires a été déclarée illégale par la Cour de justice européenne en mai. Et voilà 2 milliards de plus escamotés.

Sans oublier les 6 milliards que l’Etat va devoir rembourser aux boîtes ayant indûment versé, par le passé, cette taxe à 3%: 2 milliards cette année et 4 autres les deux suivantes. Avec ce pactole qui leur tombe du ciel, Macron va pouvoir demander un petit effort aux patrons! (Le Canard enchaîné, 16 août 2017)

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