France. «Macron tente d’acheter la paix sociale»

Emmanuel Macron, dans les jardins de l’Elysée: il affirme à un jeune chômeur qu’il lui «trouvait du travail en traversant la rue»
(Capture d’écran de BFM TV)

Par Romaric Godin
et Ellen Salvi

Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé lundi soir une série de mesures censées répondre aux revendications des « gilets jaunes ». Sans jamais prononcer le mot écologie, il a surtout cherché à sauvegarder ses réformes à long terme, par des propositions souvent floues ou en demi-teinte sur le pouvoir d’achat, et a étendu le débat aux questions identitaires.

Son allocution était attendue. Elle était surtout présentée depuis plusieurs jours comme la dernière carte à jouer face au mouvement des «gilets jaunes» qui entament leur quatrième semaine de mobilisation. Lundi 10 décembre, Emmanuel Macron s’est exprimé en direct depuis l’Elysée pour tenter de mettre un point final à la crise politique et sociale qui menace son quinquennat. Le président de la République a fait le choix d’introduire son propos en adoptant d’emblée un ton martial. «Les événements de ces dernières semaines dans l’Hexagone et outre-mer ont profondément troublé la nation, a-t-il indiqué. Ils ont mêlé des revendications légitimes et un enchaînement de violences inadmissibles, et je veux vous le dire d’emblée, ces violences ne bénéficieront d’aucune indulgence.»

Une fois le chapitre sécuritaire clos, le chef de l’État a expliqué ne pas «oublier» la «colère» et l’«indignation» qui s’expriment actuellement dans la rue et que «beaucoup de Français, dit-il, peuvent partager». «Cette colère est plus profonde, elle peut être notre chance», a-t-il affirmé. Reconnaissant, comme il l’avait déjà fait au mois de septembre, avoir pu «blesser» par ses propos, il a souhaité répondre à tous ceux qui réclament sa «démission» et dénoncent son «arrogance» : «Mon seul souci, c’est vous; mon seul combat, c’est pour vous», leur a-t-il lancé, assurant s’être «battu pour bousculer le système politique en place, les habitudes, les hypocrisies» précisément pour eux.

Emmanuel Macron a ensuite décliné ses annonces censées répondre aux demandes sociales des Français. En tentant de désamorcer les mécontentements, il a surtout cherché à sauvegarder ses réformes à long terme. C’était d’ailleurs l’idée que lui proposaient ces derniers jours plusieurs économistes de ses proches, comme Philippe Aghion [Professeur au Collège de France et à la London School of Economics] et Gilbert Cette [membre du Conseil d’analyse économique-CAE; responsable à la Banque de France]. Car le président de la République a en réalité été inflexible sur le maintien des réformes structurelles passées, y compris sur la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), et sur son intention d’en mener d’autres, à commencer par celles visant l’assurance-maladie et les retraites. Dans toutes les mesures prises, son objectif a été d’éviter de faire payer les entreprises.

Quelles sont ces mesures? Il y en a principalement quatre.

• D’abord, une hausse de 100 euros du Smic «sans coût supplémentaire pour les employeurs». Le secrétaire d’Etat à la fonction publique Olivier Dussopt a confirmé dans la soirée qu’il s’agirait d’une accélération de l’augmentation prévue en 2020 et 2021 de la prime d’activité, qui viendrait s’ajouter à la hausse légale prévue au 1er janvier. Mais il pourrait y avoir des mesures complémentaires, le mécanisme de la prime d’activité étant complexe et ne concernant pas tous les bénéficiaires du salaire minimum. Ce serait donc majoritairement la mise en place anticipée d’une hausse déjà annoncée.

Ces 70 euros supplémentaires par rapport à la hausse légale ne seront donc pas une hausse du Smic qui, lui, restera revalorisé de 1,8 %. Contrairement à ce que disait la ministre du travail Muriel Pénicaud sur France 2, il n’y aura pas d’impact sur les autres salaires de cette hausse de 100 euros. Cette mesure est clairement une demi-mesure, car la prime d’activité n’est pas un salaire mais une prestation sociale qui dépend des revenus globaux du ménage fiscal et qui est financée par tous les contribuables. Laquelle, du reste, ne sera augmentée que de 0,3 % cette année et en 2020, ce qui en réduira la valeur réelle. Le chèque sera donc in fine moins important qu’annoncé.

• Deuxième annonce: les heures supplémentaires défiscalisées. C’est le retour de la mesure Sarkozy appliquée de 2007 à 2012. Jusqu’ici, le gouvernement prévoyait seulement une exonération des cotisations sociales. Désormais, ce serait une défiscalisation complète, y compris au niveau de l’impôt sur le revenu. Or, la défiscalisation de l’impôt sur le revenu, quant à elle, bénéficiera surtout aux salariés les plus aisés faisant des heures supplémentaires.

Certes, cette mesure augmentera le pouvoir d’achat de ceux qui réalisent des heures supplémentaires. Mais si elle concerne surtout les salariés les plus modestes (les cadres sont largement au forfait-jour), elle ne concerne que ceux qui réalisent des heures supplémentaires, soit 40,3 % des salariés du secteur privé, seulement. 60 % des salariés paieront donc finalement pour cette minorité, sans voir leur pouvoir d’achat évoluer. Avec une incertitude: la mesure était prévue en septembre 2019, sera-t-elle accélérée? On l’ignore pour l’instant.

• Troisième point: les employeurs pourront verser, là aussi sans fiscalité, une prime exceptionnelle. Cette prime défiscalisée est une idée de l’association patronale Ethic, soutenue par Xavier Bertrand, le président de la région Hauts-de-France. Dans la logique du gouvernement et de ses promoteurs, elle a l’avantage d’offrir du pouvoir d’achat supplémentaire à coût réduit et, surtout, de n’être pas obligatoire et volontaire. Elle serait donc limitée aux entreprises qui «le peuvent» ou le veulent. Il n’y aurait donc pas d’impact négatif sur la «compétitivité». Sauf que cette limite risque évidemment de rendre la mesure inopérante en concentrant les primes sur les salariés des entreprises qui vont bien et qui ont une propension à distribuer leurs profits.

Cette prime devrait donc toucher d’abord ceux qui en ont le moins besoin et oublier ceux qui sont soumis à la pression sur les salaires. Sans compter qu’elle pourrait, l’an prochain, être intégrée dans les futures négociations salariales et se substituer ainsi à une partie de la revalorisation salariale de 2019. L’impact sur le pouvoir d’achat a ainsi toutes les chances d’être fantomatique.

 

 

Des incertitudes sur le financement des mesures

• Dernière mesure, enfin, sans doute la plus symbolique: la fin de la hausse de 1,7 point de la CSG [Contribution sociale généralisée : prélèvement obligatoire qui n’a cessé d’augmenter depuis 1991] pour les retraité·e·s ayant des revenus fiscaux de référence compris entre 1200 et 2000 euros. Cette annonce permettrait certes de rattraper les pertes sur ces pensions enregistrées en 2018, mais le gouvernement n’est pas revenu pour autant sur la faible hausse prévue en 2019 de toutes les pensions (0,3 %, alors que l’inflation prévue dans le projet de loi de finances est de 1,3 %). Dès lors, les retraité·e·s ayant des revenus de moins de 2000 euros verront cependant leur pouvoir d’achat amputé de cette désindexation pour 2019 et 2020. Le «cadeau» n’est donc pas, là encore, aussi mirifique qu’il y paraît.

Il faut également préciser que c’est bien le revenu fiscal de référence [soit le revenu figurant sur la feuille d’imposition établie par l’administration fiscale] qui sera pris en compte, et non les pensions. Il est donc possible que des retraité·e·s touchant une pension de 2000 euros mais ayant d’autres revenus ne bénéficient pas de cette mesure. Dès lors, ils paieront bien à la fois la hausse de la CSG et la désindexation. Ces retraités «riches » paieront ainsi le prix fort. Ceci alors qu’Emmanuel Macron a continué à ne pas vouloir faire participer les «plus fortunés», qui seront simplement invités à se «réunir» pour apporter leur participation, sans doute volontaire, le président de la République ayant été très flou sur le sujet…

Edouard Philippe annonce, le 4 décembre 2018, la «suspension» des hausses à venir des taxes sur les carburants, le gaz, l’électricité…

Ces annonces ont donc cherché à préserver l’offre et le capital. Qui paiera alors l’achat de la paix sociale? On en saura sans doute plus ce mardi 11 décembre, lorsque le premier ministre [Edouard Philippe] présentera les mesures au Parlement. Mais on ne peut exclure un dépassement des 3 % de PIB pour le déficit budgétaire. Déjà, après l’annonce de la suppression des taxes sur le carburant, ce niveau était atteint. Or, les mesures annoncées coûtent cher: 1,7 milliard d’euros de plus pour les heures supplémentaires défiscalisées, 2 milliards d’euros de plus pour la prime d’activité anticipée, un chiffre indéterminé encore pour l’exonération de la hausse de la CSG. Où trouver ces fonds?

Fera-t-on glisser le déficit, comme l’avait suggéré Philippe Aghion? Devant la Commission européenne, le chef de l’Etat pourrait se prévaloir de l’«état d’urgence économique et social» qu’il a décrété ce soir. Une formule déjà employée par son prédécesseur, François Hollande, en janvier 2016, lorsque Emmanuel Macron était ministre de l’économie.

Réduira-t-on la «double année du CICE» (où les baisses de cotisations et le dernier versement du CICE se cumulent [Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi: avantage fiscal pour les entreprises], comme le proposait Gilbert Cette? Cette mesure coûte 0,9 point de PIB pour un effet économique nul. C’est ici que se situe la marge de manœuvre budgétaire, mais l’exécutif osera-t-il toucher les entreprises qu’il tente de ménager partout dans ses annonces? Emmanuel Macron n’a donné qu’un indice: il a promis de «maîtriser les dépenses sociales».  Faut-il y voir l’annonce d’un plan d’économie pour réduire la facture? A cette heure, rien n’est sûr et nul ne semblait à Bercy [ministère des Finances] avoir d’idée claire. «Ce qu’il fallait, c’était lancer un message fort d’abord, ensuite, nous devrons étudier dans les prochaines heures les conséquences budgétaires», affirme une source ministérielle. Une chose est certaine: la facture sera salée si la remise en cause de la double année du CICE n’est pas lancée.

Sur le volet institutionnel, autre sujet au cœur des revendications des gilets jaunes, le chef de l’Etat n’a rien annoncé de concret. Il s’est contenté de répéter qu’un «débat sans précédent» allait être mené, dont il assurerait lui-même «la coordination». «Un tel débat doit se dérouler partout sur le terrain. Je rencontrerai les maires région par région pour conduire le nouveau contrat pour la nation», a-t-il affirmé, renouant avec un travers qui lui a pourtant déjà coûté cher: s’occuper de tous les sujets dans les moindres détails, en ne laissant que très peu de marges de manœuvre à ceux qui l’entourent.

S’il prend sa «part de responsabilité», Emmanuel Macron reste toutefois persuadé que le malaise qui s’exprime actuellement est le fruit des 40 dernières années. Il s’agit, selon lui, du «malaise des travailleurs qui ne s’y retrouvent plus», de celui «des territoires, villages comme quartiers où on voit les services publics se réduire et le cadre de vie disparaître », du « malaise démocratique où se développe le sentiment de ne pas être entendu», mais aussi du «malaise face aux changements de notre société, à une laïcité bousculée et devant des modes de vie qui créent des barrières, de la distance».

Sans jamais prononcer le mot «écologie», le président de la République a profité de son allocution pour aborder une question sur laquelle la droite et l’extrême droite lui reprochaient jusqu’alors de rester trop silencieux. «Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde, que nous abordions la question de l’immigration. Il nous faut l’affronter», a-t-il indiqué, reprenant par là même la thématique mise en avant par son ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui, depuis plusieurs jours, tente de déplacer les revendications sociales vers la question identitaire. (Article publié dans Mediapart en date du 10 décembre 2018)

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