France. Les tréfonds «socialistes»

Valls et Hollande....
Valls et Hollande….

Par Lénaïg Bredoux et Mathieu Magnaudeix

La gauche est laminée. Pour ces européennes, le PS, déjà étrillé par les municipales, réalise le plus mauvais résultat de son histoire, deux ans seulement après l’accession de François Hollande au pouvoir. Et dans sa chute, il entraîne le reste de la gauche. Entre la présidentielle de 2012 et le scrutin de dimanche, le total des voix de gauche est tombé de plus de 50 % à 33 %. Dimanche soir, 25 mai, l’Élysée a estimé que «des leçons doivent être tirées » de cet «événement majeur». Mais le chef de l’État, qui n’entend pas changer de cap, apparaît plus fragilisé que jamais. Dans la majorité, les appels à changer de politique ont déjà fusé [voir sur ce site l’article en date du 13 mai consacré aux «socialistes affligés].

Pour l’exécutif, c’est le pire des scénarios: avec 13,8 % selon les chiffres provisoires publiés par le ministère de l’Intérieur, le PS est loin derrière son score déjà piteux de 2009 (16 %) et même en dessous de celui, historiquement faible, de Michel Rocard en 1994 (14,5 %). Mais c’était après treize ans de règne de François Mitterrand à l’Élysée,  et sous la pression de la liste alors menée par Bernard Tapie.

Le FN arrive nettement en tête avec 26 % de suffrages, devant l’UMP (20,6 %). Le centre obtient 9,7 % des voix, devant les écologistes (8,75 %) et le Front de gauche (6,2 %). A 23 heures, la participation était en nette baisse par rapport à 2009, à 43,18 %.

Il s’agit bel et bien d’une immense défaite pour le parti socialiste. Il est systématiquement devancé dans les sept eurorégions, soit par le Front national, soit par l’UMP. Selon des résultats encore provisoires, dans le Nord, Gilles Pargneaux [socialiste, eurodéputé] dépasse à peine 12 %. Même score indigent pour l’ancien ministre Vincent Peillon (Sud-Est) ou l’ancien syndicaliste Édouard Martin [qui était à la tête de la lutte à Florange, usine du groupe Arcelor-Mittal], propulsé tête de liste dans l’Est, et qui n’a pas réussi à convaincre. Au passage, sa numéro deux, Catherine Trautmann [Strasbourg], élue depuis 1994, disparaît du Parlement européen.

En Ile-de-France (14 %), dans l’Ouest et le Centre (16 %), le PS ferait un peu mieux. En métropole, le PS réalise son meilleur score dans le Sud-Ouest (autour de 17 %) où sa liste était menée… par une représentante du Parti radical de gauche. C’est seulement en outre-mer que le parti socialiste fait un score honorable, avec 19 % des voix.

Vu l’ampleur des résultats, François Hollande ne pourra pas se défiler: c’est bien lui qui sera le comptable de l’effondrement de son camp. Tous les calculs savamment distillés ces derniers mois se sont évaporés à l’annonce des résultats. Le PS allait résister et même progresser par rapport à 2009? C’est le contraire qui s’est produit. Le PS allait de toute façon faire mieux que son plus bas historique, à 14,5 % en 1994? Rien n’est moins sûr. L’exécutif allait enjamber» les européennes, selon le jargon en vogue dans la majorité  Même le premier ministre Manuel Valls a dû le reconnaître dimanche soir, 25 mai:  Le moment que nous vivons est un moment grave. (…) C’est un choc, un séisme.» Il y a quelques semaines, un ami du président le reconnaissait: «Le FN en tête serait un échec de notre politique.»

Mais en décidant de bouleverser ses équipes après les municipales, François Hollande avait prévenu: il ne changerait rien après les européennes. Manuel Valls l’a redit à quelques jours du scrutin, en marge d’un meeting à Barcelone [qui réunissait les «socialistes»]: «Il n’y aura pas de changement du gouvernement, il n’y aura pas de changement de majorité, il n’y aura pas de changement de ligne économique.?»

Dimanche soir, Manuel Valls a d’ailleurs repris le même credo que depuis son arrivée à Matignon: les Français veulent de «l’efficacité», pas une autre politique. «Je vous dois la vérité, nous devons faire preuve de courage car la France doit se réformer. La politique que nous menons a pour but l’efficacité», a-t-il dit lors de son intervention télévisée, usant d’une formule improbable: «l’urgence de la confiance».

Les rares ministres du gouvernement à s’être rendus sur les plateaux de télévision ont délivré les mêmes éléments de langage: le scrutin est d’abord européen; au niveau national, les Français attendent toujours des résultats et manifestent leur impatience, mais il ne faut pas changer de politique; c’est au niveau européen qu’il faut «réorienter». Exemple avec Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères : «Au plan français, la seule réponse possible, c’est dans l’action et les résultats. Les gens veulent que sur le plan de l’emploi, le pouvoir d’achat, la relance industrielle, il y ait des résultats. Sur le plan européen, ce que demandent les Français, c’est le sérieux budgétaire et que l’Europe donne des résultats en matière de croissance.»

Sur Twitter, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault a lui aussi lancé: «Après un tel choc, la priorité absolue: réorienter l’Europe. L’Europe doit changer.» Même chose pour l’ex-ministre de l’économie et des finances, candidat à la Commission européenne, Pierre Moscovici: «Maintenant, il faut réconcilier les Français avec l’Europe, en la réorientant vers la croissance et l’emploi. Passons à l’offensive!»

C’est d’ailleurs le sens du message que François Hollande pourrait choisir de délivrer, mardi 27 mai, lors de la conférence de presse prévue à Bruxelles, après une réunion des chefs d’État et de gouvernement européens. Lundi,  il a prévu une réunion de crise avec plusieurs ministres et l’Élysée a déjà distillé les premiers éléments de langage : «des leçons doivent être tirées», a indiqué l’entourage du chef de l’État, parlant d’un «événement majeur».

«Triste d’être socialiste»

Mais tout cela n’est pour l’instant que de la mise en scène. Et il est difficile de croire que ce sera autre chose que de la communication dans les jours qui viennent. Même si François Hollande décide de relancer son discours sur une nécessaire réorientation de l’Europe, coupable d’étouffer les États membres, quelle crédibilité aura la parole présidentielle? C’était son programme de la présidentielle et son bilan de chef de l’État est, sur ce point, négligeable. Le «pacte de croissance» qu’il avait négocié à son arrivée est dans les limbes et le traité budgétaire négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy a été adopté sans qu’une ligne y soit changée.

Surtout, depuis deux ans, toutes les politiques mises en œuvre l’ont été pour répondre aux exigences posées par la Commission européenne. Que ce soit sur l’objectif de retrouver un niveau de déficit d’au maximum 3 % du PIB ou sur la nécessité de mener des «réformes structurelles» [lisez austérité, dévaluation interne, donc attaque contre les salaires, les dépenses sociales, etc.], notamment en matière de compétitivité.

Même si le gouvernement français critique plus ou moins ouvertement ce seuil de 3 %, il continue de juger que la France doit maîtriser ses comptes publics pour garantir sa signature sur les marchés financiers. C’est même le sens des prochains textes à venir à l’Assemblée, et notamment le collectif budgétaire prévu fin juin-début juillet, qui doit traduire le «pacte de responsabilité» de l’Élysée.

Avant le scrutin de dimanche, ces débats au Parlement s’annonçaient déjà très tendus. Avec 41 abstentions au sein du groupe PS, le vote sur le plan d’économies de 50 milliards d’euros avait déjà traduit l’ampleur de la frustration et de la colère au sein d’une partie du groupe PS. Sitôt les résultats connus et le discours de Manuel Valls prononcé, les «frondeurs» de la majorité (de «gauche») ont repris de la voix sur les réseaux sociaux. En des termes encore plus musclés qu’auparavant.

«Le FN largement en tête. Le social-libéralisme de Hollande conduit à la catastrophe. Imposons-lui vite une autre politique», a réagi le député Laurent Baumel, un des meneurs de la contestation anti-Hollande. Pour Christian Paul, proche de Martine Aubry, «contre le FN, changer d’équipe ne suffit pas. La responsabilité du président sera de proposer une nouvelle politique». Pour l’ancien ministre de Jean-Marc Ayrault Philippe Martin %ex-ministre de l’environnement], «plus de doute: la rigueur en France et en Europe perd la gauche et booste l’extrême droite».  Le 25 mai est un 21 avril puissance deux ! Face au FN, la droite doit défendre la République et la gauche au pouvoir retrouver sa politique», a commenté Jean-Marc Germain, proche de Martine Aubry.

L’aile gauche s’est aussi exprimée bruyamment. «Un sourd n’entend rien, un aveugle ne voit rien et un muet ne dit rien. A 3 %, il commencera peut-être à réfléchir. Triste d’être socialiste», a lancé le député Pascal Cherki. «A la dérive s’ajoute l’aveuglement», a commenté par SMS Pouria Amirshahi (aile gauche du PS). «Maintenant c’est assez clair pour tout le monde? Un 21 avril 2017 [allusion au 21 avril 2002 où Jospin ne passe pas le premier tour de la présidentielle ; restent Jacque Chirac et Jean-Marie Lepen] est plus que probable si l’on s’entête dans la même politique», a commenté Jérôme Guedj, président du conseil général de l’Essonne.

« Un véritable traumatisme », a commenté le président socialiste du Sénat, Jean-Pierre Bel. Lui-même perdra son poste en septembre, quand le PS perdra la majorité à la Haute Assemblée. Sa troisième défaite électorale en six mois. (Publié sur le site de Médiapart, le matin du lundi 26 mai)

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