France. «Les 35 heures ne sont plus qu’une éphémère plaisanterie»

Entretien avec Gérard Filoche

Le projet de loi de la ministre du Travail et de l’emploi Myriam El Khomri sur les 35 heures et le temps de travail a frappé comme un coup de foudre. Les salariés d’Airbus Nantes ont débrayé le 16 février, deux jours avant l’annonce du projet ministériel, car la direction proposait de ne pointer qu’une fois ayant revêtu leurs habits de travail. Cela a pour but «d’optimiser» au maximum le temps de travail effectif.

Or, dans le projet de la ministre, suivant la trace de la direction d’Airbus, le temps de travail sera négocié entreprise par entreprise et son amplitude jusqu’à 12 heures par jour deviendrait possible. A cela s’ajoute l’habillage avant le début de l’horaire enregistré, ce qui peut atteindre plusieurs heures par semaine selon le type d’emploi (nucléaire, aéronautique, désamiantage, etc.). La possibilité d’un horaire de 60 heures hebdomadaires est ouverte, bien que contraire à la législation européenne, ainsi qu’une flexibilité de l’horaire d’ensemble sur plusieurs années. Tout cela au nom d’une promesse: sauvegarder l’emploi durant plusieurs années!

«Ce n’est peut-être pas le «grand soir» du libéralisme» – pour Jean-Francis Pécresse dans le quotidien économique Les Echos – mais c’est au moins un «petit soir» que l’économie française va vivre si la ministre de l’Emploi, Myriam El Khomri, parvient à faire voter par une majorité parlementaire de gauche son projet de réforme de la législation du travail, un texte qu’aurait pu – et qu’aurait dû – rédiger la droite.» Dans Libération du 18 février 201, Grégoire Biseau écrit: «A entendre la droite, [les 35 heures] seraient la signature d’un mal hexagonal. La vitrine d’une France en déclin qui a décroché dans la compétition internationale. Plus surprenant, le gouvernement de Manuel Valls n’est pas loin de penser la même chose.» Et Jean-Francis Pécresse: «surtout si l’on y ajoute la sécurisation légale du licenciement économique».

Tout reste possible dans le domaine de l’amplitude et de la flexibilité du temps de travail, mais les 35 heures ne sont pas, formellement, au centre dans le projet de texte de la ministre de l’Emploi!

Bientôt, il ne restera à Sarkozy que ses ennuis judiciaires, peut-être. Car, en termes de détricotage du Code du travail et des 35 heures, son programme est proposé par le gouvernement «socialiste». Cela au même titre que la «déchéance de nationalité», terrain sur lequel Marine Le Pen se partageait le droit de patente avec Nicolas Sarkozy.

Valls-Macron-Hollande ont délégué à Myriam El Khomri la tâche d’engager la guerre du temps de travail contre les salarié·e·s. Ils l’ont fait, certainement, avec la même méthode que celle utilisée envers Fleur Pellerin qui devait faire «bien le boulot» dans le «monde sélect de la culture» parisienne, après avoir été au Commerce extérieur. Certes Myriam El Khomri ne dispose pas du même curriculum vitae que Fleur Pellerin, sortie de l’ENA et présidente du Club du XXIe siècle. Raison de plus pour ne pas craindre une riposte un peu affirmée de celle qu’on envoie au charbon, avant qu’elle ne se retrouve dans la reprographie. Patriarcat et agents du patronat se marient bien ici. Mais pas pour tous!

Nous publions, ci-dessous, un entretien avec Gérard Filoche, ex-inspecteur du travail, animateur du courant Démocratie&Socialisme et membre du PS. Il indique le sens explosif de cette contre-réforme concoctée par le trio Valls-Macron-Hollande. Nous renvoyons de même à sa contribution publiée sur ce site, le 6 février 2016, ayant trait aux points les plus importants pour un renforcement du Code du travail: http://alencontre.org/europe/france/france-le-code-du-travail-attaque-depuis-10-ans-par-le-medef-il-faut-le-renforcer.html. (Rédaction A l’Encontre)

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A la lecture de l’avant-projet de loi El Khomri, reste-t-on selon vous dans le champ d’une simple «simplification» dont parlait la mission Badinter?

Gérard Filoche: Non, c’est un véritable bouleversement. Valls avait annoncé qu’il ne voulait pas d’une réformette mais d’une révolution. Nous sommes face à la plus importante contre-révolution depuis un siècle. C’est une attaque à la bombe thermonucléaire contre l’ancien Code du travail. Depuis un siècle, le droit du travail s’est construit pour permettre de protéger les salariés contre les exigences des entreprises et de l’économie. Et voilà qu’ils font l’inverse, ils nous ramènent au statut de loueurs de bras, de tâcherons, de soumis sans droit. C’est la casse de la grande tradition de reconnaissance du salariat comme moteur de la production des richesses.

Le gouvernement avait promis de ne pas s’attaquer aux 35 heures, quelle est votre appréciation?

Gérard Filoche: Il a menti, noir sur blanc. Les 35 heures ne sont plus, dans ce projet, qu’une éphémère plaisanterie. En une dizaine de chapitres, tous les contrôles sur la durée du travail sautent. Les gens vont avoir du mal à le croire, mais il est bien écrit que la durée maximale du travail pourra, par forfait ou négociation, excéder les 12 heures par jour, tout comme elle pourra dépasser les 48 heures par semaine, pour atteindre les 60 heures.

C’est au nom de l’inversion de la courbe du chômage que le gouvernement justifie ses réformes; quels dangers pour l’emploi recouvre cet avant-projet?

Gérard Filoche: «Rien n'est bon dans le Macron» (La Montagne, 5 février 2016)
Gérard Filoche: «Rien n’est bon dans le Macron» (La Montagne, 5 février 2016)

Gérard Filoche: De telles transformations augmenteraient massivement le chômage. Il s’agit de faire travailler plus ceux qui ont un travail au détriment de ceux qui n’en ont pas. L’ampleur du mensonge est fracassante. On atteint des sommets de propagande et de contresens. Comment peut-on prendre des millions de salariés pour des gogos, prétendre qu’il s’agit de leur permettre d’avoir un travail alors que, pour beaucoup, cela le leur enlèvera, et que, pour les autres, cela les exploitera, brisera leur santé? D’où tout cela vient-il? Personne ne le demande, à part Pierre Gattaz, et même lui doit sûrement en ce moment s’étonner de la hardiesse ultralibérale de ce projet.

Le gouvernement prétend promouvoir le «dialogue social» via le référendum et les accords d’entreprise. Quels sont les risques?

Gérard Filoche: Il enterre au contraire le dialogue social. Il ne peut y avoir de référendum dans une entreprise puisque les parties ne sont pas à égalité. Le salarié est subordonné, avec un canon sur la tempe quand il doit se prononcer comme chez Smart. En outre, les dispositions prévues rendent possibles tellement de dérogations à la loi que pratiquement plus rien de l’ordre public social ne restera en place. Il y aura 10’000 Codes du travail dans 10’000 entreprises.

Les syndicats et une majorité de gauche peuvent-ils entériner ces mesures?

Gérard Filoche: Tout syndicat devrait immédiatement appeler à descendre dans la rue. On est à l’os, il est vital de se défendre. Quant à la majorité, celle que je connais a appelé à reconstruire et à renforcer le Code du travail. C’est un reniement en profondeur du gouvernement, une attaque contre l’histoire même du PS. Les députés qui ont par le passé voté tout le contraire de ce texte seront soumis à leur propre conscience. Même la droite sarkozyste n’envisageait pas d’aller si loin. (Entretien publié le 18 février 2016 dans L’Humanité; voir sur le site A l’Encontre les propositions de Gérard Filoche pour renforcer le Code du travail en France en date du 6 février 2016: http://alencontre.org/europe/france/france-le-code-du-travail-attaque-depuis-10-ans-par-le-medef-il-faut-le-renforcer.html)

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