France. Le nouveau CMA, F. Lecointre, «faisait partie de l’opération «Turquoise» au Rwanda

Flanqué du nouveau chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, Emmanuel Macron affiche fièrement le nouveau duo de la chaîne de commandement. La ministre des Armées, Florence Parly, suit, quelques mètres derrière, sur la base d’Istres, puis les rejoint. L’envoyé du Figaro, en date du 20 juillet 2017, décrit ainsi l’arrivée du «chef»: «Le convoi du président sort de la «zone rouge», ce jeudi 20 juillet. Le périmètre ultraprotégé qui abrite, au sein de la base aérienne BA125, les têtes de
missile de la dissuasion nucléaire. Sortant de sa voiture, Emmanuel Macron s’avance à pied sur le tarmac inondé de soleil. Il passe entre les carlingues sombres de deux C135, avions de transport. Il s’approche d’une centaine de militaires, rassemblés pour l’occasion au milieu de la piste.»

Entretien avec
Jacques Morel

Un petit problème va éclater à nouveau – en plus des plaintes en cascade relayées par les députés LR (Les Républicains) sur les «conditions de vie misérables» des militaires et donc l’augmentation du budget –, celui ayant trait au passé du remplaçant de Pierre de Villiers comme CMA (chef d’état-major des armées): le général François Lecointre.

• Le 29 juin 2017, le quotidien La Croix annonçait: «La banque française BNP Paribas a été visée ce jeudi 29 juin par une plainte portée par trois associations. Elles l’accusent de «complicité de génocide» au Rwanda.» La journaliste de La Croix, Aurore Duplessis, concluait: «Jacques Morel [1], ancien mathématicien au CNRS, a rassemblé durant douze ans plusieurs documents sur l’implication de la France au Rwanda. Selon lui, la BNP ne pouvait pas ignorer ce qui se passait.» L’association anticorruption Sherpa, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et Ibuka France ont annoncé qu’elles déposaient jeudi 29 juin une plainte avec constitution de partie civile visant BNP Paribas pour «complicité de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité».

«Les associations en question – poursuit Jacques Morel – accusent le groupe bancaire d’avoir contribué au financement d’un achat illégal d’armes à destination du Rwanda en juin 1994, malgré un embargo sur les armes voté par l’ONU le 17 mai 1994. Le pays subissait à cette date un génocide des Tutsis qui fera 800’000 morts entre avril et juillet 1994.

• Dans son écrit Quand la BNP se prêtait à des achats d’armes pour achever les Tutsis, paru en 2014, Jacques Morel pointe notamment le rôle des entreprises privées comme la BNP Paribas dans le génocide rwandais. Il déclare dans cet entretien: «Les accusations sont très largement documentées grâce aux rapports des audiences du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et dans des rapports de la commission d’enquête internationale de l’ONU sur le Rwanda ou d’ONG comme Human Rights Watch. Il est question ici de deux versements d’argent effectués les 14 et 16 juin 1994, au marchand d’armes sud-africain Petrus Willem Ehlers, un officiel zaïrois et au colonel Bagosora, directeur de cabinet au ministère de la défense rwandais, aujourd’hui en prison après sa condamnation à trente-cinq ans de réclusion par le TPIR pour génocide. Le compte commanditaire en question est un compte au nom de la Banque nationale du Rwanda. Donc la BNP savait que cette opération était ordonnée par le gouvernement rwandais. Début juin 1994, le génocide des Tutsis est de notoriété publique. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, avait reconnu dès le 18 mai 1994 que les victimes étaient les Tutsis, les assassins des miliciens et des membres des forces gouvernementales rwandaises. Il était aussi connu à l’époque que les miliciens étaient équipés par l’armée gouvernementale rwandaise. Par ailleurs, la publication de l’Ordre d’opération Amaryllis montre que les autorités françaises savent dès le 8 avril 1994 que le génocide des Tutsis a été commencé à Kigali par la garde présidentielle. Si la banque avait tenu compte de l’embargo de l’ONU, elle se devait d’enquêter sur la destination de ces fonds.»

• Dans un entretien avec la journaliste Lola Ruscio publié le vendredi 21 juillet Jacques Morel souligne qu’Emmanuel Macron a choisi François Lecointre en tant que chef d’état-major des armées, alors que ce dernier a fait partie de l’opération Turquoise au Rwanda. A ce propos une interrogation s’impose: quel a été son rôle dans le génocide du Rwanda. Voici les questions et les réponses. (Réd. A l’Encontre)

Emmanuel Macron a désigné François Lecointre nouveau chef d’état-major des armées. Quel a été son rôle dans l’opération Turquoise au Rwanda, en 1994, lors du génocide des Tutsis?

Jacques Morel : Il était capitaine d’infanterie de marine. François Lecointre était affecté au groupement Nord Turquoise, où il était responsable du secteur de la commune de Gisovu. Responsable des troupes, il collaborait avec le directeur de l’usine à thé, Alfred Musema, un des organisateurs du génocide dans la région de Bisesero. Nous en avons des preuves. Au moment de son procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda (Tpir), où il a été condamné à perpétuité pour génocide, une pièce à conviction déposée par sa défense est une lettre du capitaine Lecointre adressée à Musema.

Dans cette missive datée du 18 juillet 1994, il l’informe qu’il va changer de secteur et qu’il laisse la région à un subordonné. Ce document montre que leurs relations étaient cordiales. Au lieu d’enquêter et de l’arrêter, Lecointre a collaboré avec lui. Ce ne sont pas les seuls éléments.

Dans une lettre rédigée dans l’Ancre d’or, datée du 18 juillet, le capitaine évoque les sauvetages d’enfants tutsis cachés chez des Hutus. Il y décrit des opérations de sauvetage qui se déroulaient la nuit, sans lampe, pour ne pas être repérés par les miliciens, qui, dit-il, «poursuivent leurs patrouilles de nuit». Preuve que les Français ont laissé les miliciens opérer librement dans la zone «humanitaire sûre» décrétée par l’Hexagone début juillet. Cette zone humanitaire était sûre pour les miliciens, car ils pouvaient continuer à opérer sans être attaqués par le Front patriotique rwandais (FPR). De fait, le nouveau chef d’état-major défendait les auteurs du génocide rwandais.

Pendant sa campagne, Emmanuel Macron s’était engagé à «réconcilier les mémoires». Avec la nomination de François Lecointre, dans quelle tradition idéologique s’inscrit-il?

Jacques Morel: Il poursuit la ligne de Jean-Yves Le Drian, ex-ministre de la Défense sous François Hollande. Ce professeur d’histoire-géographie couvrait sans cesse le génocide rwandais. Il disait notamment que la France devait être fière de ce qu’elle avait fait là-bas. Pourtant, les documents publiés par la mission d’information parlementaire de 1998 sont extrêmement compromettants. L’armée française est mouillée jusqu’au cou. On est dans le pire mensonge. D’ailleurs, l’actuel sous-chef d’état-major «opérations», Grégoire de Saint-Quentin, était l’un des premiers sur les lieux du crash de l’avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, lors de l’attentat du 6 avril 1994.

Quel signal cette nomination envoie-t-elle quant à la conception des missions de l’armée française, notamment en Afrique?

Jacques Morel. François Lecointre, un officier des troupes de marine, autrement dit des troupes coloniales, a été nommé à la tête des armées. Signe que l’armée française intervient pour contrôler des pays africains, motivée par des raisons de puissance et d’enjeux pétroliers. C’est une vision postcoloniale. Emmanuel Macron justifie les opérations françaises au Sahel, entre autres l’opération Barkhane commandée par le général Bruno Guibert, impliqué lui aussi dans le génocide rwandais, au motif de lutter contre le terrorisme et d’assurer notre sécurité, alors que des commandants ont collaboré avec les pires assassins. La France se porterait mieux si elle rapatriait ses troupes d’Afrique. (Entretien publié dans l’Humanité, en date du 21 juillet 2017)

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[1] Sur sa page personnelle peuvent être retrouvés une partie des documents qu’il a rassemblés au cours de son enquête: http://jacques.morel67.pagesperso-orange.fr/ (Réd. A l’Encontre)

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