France. Le Medef à l’orée d’un tremblement de terre social

ob_9da5a6_medef-hollandePar Laurent Mauduit

Un esprit peu averti pourrait penser qu’à quelques encablures de l’élection présidentielle, il règne désormais un climat d’euphorie et de soulagement dans les instances dirigeantes du patronat. Car la victoire écrasante de François Fillon au premier tour de la primaire de la droite peut lui faire espérer une prochaine alternance, avec la mise en œuvre rapide d’une politique économique et sociale strictement conforme à ses vœux: radicalement néolibérale. Thatchérienne pour tout dire…

Le quinquennat socialiste, qui est en train de se clore de manière tumultueuse, n’a certes pas été mauvais pour le patronat. Tout au contraire! Car, des deux lois Macron [«loi pour la croissance et l’activité» et celle intitulée «nouvelles opportunités économiques] et à la loi El Khomri dynamitant le code du travail, jusqu’au CICE [Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi] et au pacte de responsabilité apportant sans contrepartie 42 milliards d’euros aux entreprises, sans doute François Hollande n’a-t-il cessé, tout au long de ces dernières années, de caresser les patrons dans le sens du poil, au point d’exaspérer sans cesse davantage son propre camp et de l’entraîner vers un naufrage historique.

Mais, passablement ingrat, le patronat fait depuis longtemps grief au pouvoir socialiste de réformer de manière brouillonne et sans énergie, sinon même en tergiversant. Alors, puisque la perspective d’un retour de la droite aux affaires semble se profiler, avec à la clef la mise en œuvre de «réformes sociales» encore plus radicales, on aurait pu penser que le patronat aurait toutes les raisons d’être aux anges.

Et pourtant, non! Il règne même actuellement un drôle de climat dans les instances dirigeantes du patronat. Cris, chuchotements, complots: le Medef [Mouvement des entreprises de France] est entré depuis de longues semaines dans une période de convulsions sinon de crise. En somme, la bataille pour la succession de Pierre Gattaz, l’actuel président du Medef, est dès à présent lancée et elle recoupe une controverse très importante sur les choix économiques et sociaux autour desquels s’affrontent deux camps principaux. D’un côté, les «libéraux» ; de l’autre, les «sociaux»…

«Pour beaucoup de patrons, la présidence de Nicolas Sarkozy
a constitué une immense déception»

Mais attention! La terminologie patronale n’a pas grand-chose à voir avec la terminologie ordinaire. En langage Medef, les «sociaux», regroupés essentiellement autour de la puissante fédération de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), s’apparentent beaucoup à ce que l’on dénomme ordinairement les ultralibéraux; c’est dire si ceux que l’on dénomme les «libéraux» le sont furieusement plus que cet intitulé ne le suggère…

Alors, si les mots ne veulent pas dire grand-chose, le mieux pour comprendre les zizanies patronales ainsi que leurs enjeux, c’est de rentrer dans les méandres des luttes intestines qui ont agité le Medef ces dernières années.

An milieu des années 2000, quand Laurence Parisot est parvenue à prendre la présidence du Medef, les lignes de fracture qui apparaissaient au sein du mouvement patronal étaient en vérité assez simples à discerner. Adoubée et soutenue à bout de bras par Michel Pébereau, qui était à l’époque l’homme fort de la banque BNP Paribas mais aussi le chef de file des grands patrons proches de Nicolas Sarkozy, elle a constitué pendant un temps un espoir pour les clans les plus radicaux du patronat qui rêvaient d’un véritable big-bang social et d’une sortie du modèle social français issu de la Libération.

Elle a d’autant plus incarné ce rêve de rupture qu’en 2007, deux ans après son élection à la tête du Medef et juste au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, l’affaire des caisses noires de l’UIMM – servant notamment à «fluidifier les relations sociales», selon la formule célèbre du patron de l’époque de la puissante fédération, Denis Gautier-Sauvagnac – a été mise au jour…

sarkoBeaucoup y ont donc vu une formidable occasion pour faire du passé table rase et dynamiter les relations sociales. Tout en dynamitant le rôle de pivot de l’UIMM dans ces relations…

Las! La rupture souhaitée par beaucoup de hiérarques du Medef ne s’est pas produite à l’époque. D’abord, Laurence Parisot s’est surtout distinguée en faisant prendre au Medef des positions sur des questions qui ne lui étaient pas familières – par exemple touchant au combat contre les discriminations. Et pour beaucoup de hiérarques du Medef, elle est assez vite devenue une «usurpatrice», selon la formule de l’un d’entre eux.

Et puis surtout, pour beaucoup de patrons, la présidence de Nicolas Sarkozy a constitué une immense déception. Alors qu’ils attendaient de lui qu’il mette en œuvre ce «big-bang» social, ils ont eu progressivement le sentiment que le chef de l’État multipliait certes les mesures en faveur des contribuables les plus fortunés, mais sans être véritablement à leur écoute.

Résultat: à leurs yeux, la plupart des mesures sarkozystes ont raté leur cible, ou se sont avérées décevantes. Au lieu de satisfaire la revendication, ultra populaire au sein du patronat, d’un démantèlement des 35 heures, le patronat a hérité de la réforme de la défiscalisation des heures supplémentaires, dont il n’était pas demandeur; au lieu de profiter d’une remise en cause radicale du droit du licenciement et d’un dynamitage véritable du code du travail, le patronat n’a profité que de mesures plus ponctuelles en ce sens, comme le contrat de mission ou la rupture amiable du contrat de travail.

Sans qu’on ne le remarque véritablement sur le moment, il se produit donc, au tournant des années 2010, un véritable divorce entre le mouvement patronal et Nicolas Sarkozy. Un mouvement patronal qui éprouve un sentiment croissant d’exaspération et qui entre dans une phase de radicalisation. En quelque sorte, ce qu’un ancien dirigeant du Medef, Denis Kessler, avait dit quelques années plus tôt dans le magazine Challenges (le 4 octobre 2007), mais sur le registre de la provocation – il faut détricoter au plus vite le modèle social issu du Conseil national de la résistance (CNR) –, devient un mot d’ordre immensément populaire au sein du mouvement patronal.

Ce tournant radical, même s’il est alors encore peu visible au sein du Medef et des troupes qu’il fédère, vise donc à sortir une bonne fois pour toutes des relations du travail issues de l’après-guerre. Pas seulement pour engager des réformes structurelles, selon le jargon néolibéral, libéralisant par exemple le marché du travail; plus profondément, pour changer radicalement les règles du jeu social, les refonder totalement…

C’est de cette situation qu’hérite François Hollande quand il accède en 2012 à l’Élysée. Une situation pour le moins paradoxale et qui le prend de court: il a beau multiplier les gestes en direction du patronat, engager un pacte de responsabilité terriblement dispendieux, dynamiter le code du travail beaucoup plus violemment que ne l’avait fait son prédécesseur de droite, il n’en tire aucun profit politique. C’est même pis que cela! La colère sociale va prendre de plus en plus d’ampleur dans le pays – jusqu’à atteindre son paroxysme avec le mouvement contre la loi sur le travail; mais le patronat ne lui en manifestera pas la moindre gratitude. Perdant, comme c’était prévisible, sur tous les tableaux…

Alexandre Saubot n’est pas apprécié par les «frondeurs»

En cette fin crépusculaire du quinquennat socialiste, la situation est même encore plus confuse que cela. Depuis de longs mois, de nombreuses fédérations du Medef en sont venues à la conclusion qu’il serait proprement inadmissible de rendre le service à François Hollande de signer le moindre accord social dont il pourrait se prévaloir, aussi loin qu’il puisse aller dans la déréglementation du travail. De nombreuses fédérations, mais pas… l’UIMM, qui se veut plus pragmatique et qui ne veut pas saborder un éventuel accord au seul motif que François Hollande pourrait s’en prévaloir.

Et c’est ici qu’intervient la ligne de démarcation entre les «libéraux», regroupés autour des fédérations des banques, de l’assurance, du bâtiment et des travaux publics ou encore du numérique (Syntec), et les «sociaux», emmenés par la très puissante fédération de l’UIMM : les premiers reprochent périodiquement aux seconds d’être disposés, en certaines circonstances, à signer des accords ou des projets dont le gouvernement socialiste pourrait tirer argument. Et réciproquement: les seconds font grief aux premiers de prendre le mouvement patronal en otage en refusant tout accord social pendant cette dernière année du quinquennat socialiste.

interview-alexandre-saubot-pdg-haulotte-sur-resultats-2015C’est à la lumière de cet antagonisme souterrain que l’on peut décrypter les convulsions violentes qui sont intervenues au sein du Medef tout au long de ces derniers mois. Dans le jeu social auquel participe le Medef, l’UIMM tient traditionnellement un rôle majeur. Car c’est lui, historiquement, qui a la main sur les grandes négociations sociales auxquelles participe le mouvement patronal.

Mais ce qui est vrai depuis de nombreuses décennies l’est plus encore sous la présidence de Pierre Gattaz. Sans doute les questions sociales ennuient-elles l’actuel patron des patrons, qui est coutumier des déclarations à l’emporte-pièce, mais n’est pas connu comme un expert des arcanes complexes du droit du travail.

Aussi a-t-il délégué à l’actuel président de l’UIMM, Alexandre Saubot, qui est aussi le vice-président du Medef, un champ de compétences sur les dossiers sociaux beaucoup plus vaste qu’à l’accoutumée: c’est lui qui pilote les négociations concernant les relations du travail, mais il a aussi la haute main – ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé – sur le dossier de la formation ou encore sur celui de l’assurance chômage.

Or, depuis bientôt un an, les fédérations qui se rangent dans le camp des «libéraux» sont entrées en résistance contre l’UIMM. Elles lui reprochent la manière dont elle a conduit plusieurs importantes négociations sociales. Et elles font le reproche à Pierre Gattaz d’avoir manqué de vigilance et d’avoir failli laisser passer des accords à leurs yeux inadmissibles. La colère de ces six fédérations est telle qu’elle a pris une tournure quasi publique: les «frondeurs» – ils se dénomment eux-mêmes de la sorte – ont créé une sorte de pôle social bis et ont tenu des réunions spécifiques pour expertiser les dossiers en négociation, officiellement sous la responsabilité de l’UIMM. Si les «frondeurs» patronaux ont cessé depuis quelques semaines de tenir ces réunions séparées, la colère n’est pourtant pas retombée: ils sont toujours l’arme au pied, prêts à en découdre à la première occasion.

Pierre Gattaz, sous influence?

Au cours des mois écoulés, deux grandes affaires ont attisé cette grogne. Il y a d’abord eu, en janvier 2015, la négociation sur la modernisation du dialogue social, au cours de laquelle Alexandre Saubot, selon ses détracteurs, est allé bien au-delà de son mandat et a donné son accord, en guise de concession, à la réforme proposée conduisant à une représentation syndicale dans les «très petites entreprises» (moins de 11 salariés, TPE) – disposition qui aurait été entérinée par le Medef si les «frondeurs», c’est du moins leur version, n’avaient alerté en pleine nuit Pierre Gattaz et ne l’avaient sommé d’y mettre bon ordre.

Beaucoup plus récemment, la négociation sur l’assurance chômage, qui a finalement débouché sur un échec en juin 2016, a donné lieu à un psychodrame strictement identique. Car le patron de l’UIMM, Alexandre Saubot, qui conduisait la délégation patronale, était disposé à signer un accord, au motif qu’il prévoyait pas loin d’1,2 milliard d’euros d’économies, et était disposé en contrepartie à faire un geste sur la taxation des contrats courts.

Mais cette fois encore, les «frondeurs» sont montés au front et sont parvenus à faire capoter le deal secret que Pierre Gattaz était visiblement parvenu à passer avec Manuel Valls. Lequel Manuel Valls a fait des déclarations maladroites qui ont encore compliqué davantage la situation et conduit à l’échec des pourparlers.

C’est peu dire, donc, que les couteaux sont tirés au sein du patronat. Et l’étrange personnalité de Pierre Gattaz contribue sans doute aussi au maelström actuel. D’allure bonhomme, le président du Medef n’est, de fait, guère réputé pour son habileté. Et des gaffes et des maladresses, il en commet visiblement plus qu’à son tour. L’une de ses sorties récentes a ainsi pétrifié les instances dirigeantes du mouvement patronal. Conduisant, en novembre, une délégation de chefs d’entreprise en Chine – et de très nombreux permanents de l’organisation, ce qui a choqué quelques responsables patronaux –, il a lâché cette niaiserie, qui se voulait drôle, rapportée par le quotidien L’Opinion: «J’ai quitté un pays communiste, la France, pour venir dans un pays libéral, la Chine.»

Mais, pour les «frondeurs», il y a plus inquiétant que cela. Beaucoup observent que si Pierre Gattaz lâche la bride à Alexandre Saubot sur les questions sociales, c’est peut-être aussi pour des raisons qui n’ont pas seulement à voir avec son désintérêt pour ces questions. Des raisons qui font grand bruit dans les instances dirigeantes du Medef et qui sont pour le moins cocasses car elles tournent autour d’une question incongrue, ressassée par de nombreux «frondeurs»: mais pourquoi y a-t-il donc, discrètement, dans l’entourage direct de Pierre Gattaz, autant de personnalités… de gauche?

La personnalité qui attise le plus de curiosité est une dénommée Thaima Samman. Elle a, de fait, un profil et un parcours qui surprennent. Membre, au début des années 1980, de la tendance «Villetaneuse » de l’Unef, qu’animait l’ex-trotskiste Julien Dray, devenu socialiste, elle a fait partie avec lui des membres fondateurs de SOS Racisme, avant de devenir, plus tard, attachée parlementaire de Claude Bartolone, l’actuel président (PS) de l’Assemblée nationale.

Avec ce passé, l’intéressée, qui a fondé par la suite un cabinet d’avocats, dit avoir rompu. Et elle assure qu’elle n’est sous contrat avec aucun ministère et ne perçoit au titre de ses honoraires pas un centime d’argent public – contrairement à ce que subodorent certains «frondeurs» patronaux. Mais enfin! A n’en pas douter, si Pierre Gattaz a recours à ses services, c’est qu’il n’a jamais eu le moindre réseau, ni à droite, ni à gauche. Thaima Samman lui ouvre donc les portes utiles, du côté de la puissance publique. A la manière d’un Stéphane Fouks (Agence Havas), elle est, somme toute, très représentative d’une petite oligarchie parisienne qui vit à la lisière de deux mondes : «Un pied dans le PS, un pied dans le business », dit d’elle quelqu’un qui la connaît de longue date.

Un peu embarrassée que l’on ait découvert son rôle dans l’ombre du patron des patrons, c’est ce dont elle convient elle-même sans trop de difficulté: son office auprès du président du Medef, c’est «le décryptage du fonctionnement institutionnel ». Pour cela, elle perçoit des honoraires annuels qui avoisinent les 100’000 euros, chiffre qu’elle ne veut pas confirmer.

Le Guen, ministre des relations avec le parlement et le patronat…

Mais la curiosité de la situation, c’est que dans l’entourage de Pierre Gattaz, elle n’est pas la seule à venir des mêmes horizons – ce qui fait beaucoup jaser dans les cénacles patronaux. Il y a encore Olivier Gainon, le directeur de cabinet du même patron des patrons. Social-libéral, il est devenu l’un des hommes forts de l’organisation patronale. Or, lui aussi a navigué, plus jeune, dans la mouvance socialiste: Thaima Samman convient sans difficulté qu’elle l’a croisé, en d’autres temps, dans les groupes de réflexion sur le numérique du Parti socialiste.

Valls et Gattaz
Valls et Gattaz

Et ce n’est toujours pas tout. Depuis pas mal de temps, un rite désormais quasi hebdomadaire intrigue beaucoup certains hiérarques du Medef: chaque jeudi matin, le président du Medef – ou, en son absence, son directeur de cabinet – rencontre Jean-Marie Le Guen. Pour être confidentielle, la réunion n’en est pas moins institutionnalisée. En quelque sorte, Jean-Marie Le Guen dispose d’un double portefeuille: il est officiellement le ministre des relations avec le Parlement et, officieusement, le ministre des relations avec le patronat, visiblement mandaté pour cette dernière mission discrète par Manuel Valls.

Pour les «frondeurs», tout cela finit donc par faire beaucoup. Nul ne soupçonne, certes, le président du Medef de se faire manipuler par des officiers traitants du pouvoir socialiste. Mais à cause de cet entrelacs de relations complexes qu’il a tissé, peut-être Pierre Gattaz a-t-il fini par se faire endormir, sinon se faire piéger.

Dans cette suspicion qu’entretiennent certains hiérarques «frondeurs», sans doute y a-t-il un peu de schizophrénie. Car Thaima Samman, pour ne parler que d’elle, travaille depuis longtemps avec Pierre Gattaz. Elle avait déjà une mission de conseil auprès de lui, du temps où il présidait la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), de 2007 à 2013. Quand, à cette échéance, il est devenu président du Medef, elle a tout bonnement conservé la mission qu’elle avait préalablement auprès de lui.

Fillon et le Medef recomposé…

Il n’empêche! Les rumeurs aigres-douces qui circulent au sujet des rôles réels ou supposés de Thaima Samman, Olivier Gainon ou Jean-Marie Le Guen en disent très long sur l’état d’extrême nervosité qui prévaut au sein du mouvement patronal. Un climat qui risque de se prolonger encore de longs mois, car si ces luttes intestines ont pris une telle intensité, c’est aussi parce que la bataille pour la succession de Pierre Gattaz est déjà lancée.

Arrivé à la tête du Medef, ce dernier a en effet respecté l’engagement qu’il avait pris: il a fait voter une réforme des statuts aux termes de laquelle le mandat du patron des patrons dure cinq ans et ne peut être renouvelé une deuxième fois. Le 3 juillet 2018, Pierre Gattaz cédera donc la place à son successeur.

Et qui sera-t-il? La confrontation rugueuse qui a commencé au sein du Medef permet au moins de deviner le choix auquel sera confrontée l’organisation patronale. En toute logique, les «frondeurs» patronaux auront pour champion Geoffroy Roux de Bézieux (l’ancien patron de l’opérateur Virgin Mobile, revendu en 2014 à Patrick Drahi), qui ne fait guère mystère de ses ambitions. Et il pourrait avoir en face de lui le patron de l’UIMM, Alexandre Saubot, même si ce dernier est moins prolixe sur ses intentions.

Pour l’heure, cette confrontation ne se mène pas encore sur la place publique et l’on peine à discerner les divergences de doctrine véritables qui opposent les «sociaux» aux «libéraux». En vérité, ils apparaissent tous très libéraux, et même radicaux-libéraux. Et la seule divergence de fond que l’on parvient à nettement discerner tient à l’attitude à adopter face au pouvoir socialiste.

De surcroît, l’éventuelle victoire de François Fillon – qui avait les faveurs d’une bonne partie du patronat avant ce premier tour des primaires de la droite – risque de mettre tout le monde d’accord. Car, comme tous ses rivaux, à la notable exception de Nicolas Sarkozy, l’ancien premier ministre a annoncé que, chef de l’État, il demanderait au gouvernement choisi par lui de gouverner dans un premier temps par ordonnances, le temps de mener les réformes les plus radicales ou politiquement les plus explosives, qu’il s’agisse de la suppression définitive des 35 heures, ouvrant la voie à des accords d’entreprise sur la durée légale du travail pouvant aller jusqu’à 48 heures hebdomadaires; d’une nouvelle simplification des procédures de licenciement, ou encore d’un électrochoc du régime d’assurance chômage, avec des indemnités devenant dégressives…

François Fillon: présider par ordonnances
François Fillon: présider par ordonnances

Or, face à ce projet d’ordonnances, le patronat est schizophrène. Il a tellement envie que la France sorte une bonne fois pour toutes des relations du travail et du modèle social issus de la Libération qu’il appelle de ses vœux un tel séisme. Mais les différentes composantes du Medef savent aussi pertinemment que le recours des ordonnances, c’est la mise entre parenthèses des partenaires sociaux, pour un temps long ou du moins pour un moment décisif – les débuts du prochain quinquennat. Et du même coup, la mise entre parenthèses du Medef lui-même.

Mais pourtant, pour le Medef, ce dilemme n’en est pas un! C’est au moins ce qui rassemble les deux familles ennemies du Medef: elles appellent tellement de leurs souhaits un séisme social, une recomposition radicale des relations du travail, qu’elles sont prêtes à encourir le risque d’une perte d’influence. Il faut dire que ce risque reste très relatif.

Car si les confédérations syndicales peuvent être totalement court-circuitées par l’autoritarisme social découlant des ordonnances, le patronat a beaucoup moins à perdre. Car, dès avant les primaires, de nombreux contacts, pas seulement officiels, avaient déjà été engagés entre d’une part, le Medef et ses différentes composantes, et de l’autre, les différents candidats de droite. Mais si, d’aventure, François Fillon devait l’emporter, il coule de source que ces contacts s’intensifieraient. Et que le Medef, sinon les syndicats, seraient fortement consultés, dans les coulisses du pouvoir, dans la phase préparatoire des ordonnances.

C’est donc cette bataille qui est engagée dès à présent dans les rangs du Medef. Une bataille âpre entre les «très radicaux» et les «très, très radicaux». En somme, ce jeu d’influences au sein du Medef, la surenchère à laquelle se livrent les différentes fractions qui s’opposent, viennent confirmer ce que laisse déjà entrapercevoir une possible victoire de François Fillon: dans l’hypothèse d’une victoire présidentielle de François Fillon, sur fond de surenchère entre les différents clans patronaux, c’est un tremblement de terre social que la France pourrait s’apprêter à vivre, sans précédent depuis la Libération… (Article paru sur le site Mediapart le 24 novembre 2016; titre et intertitres de la rédaction de A l’Encontre)

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