France-débat. Se saisir «d’un outil syndical» pour en faire un catalyseur d’initiatives

Par Eric Beynel

Convergences des luttes, grève générale ou reconductible, manifestations nationales, unité ou division syndicale, rapport aux politiques ou à la politique, radicalité, violences… Alors que les foyers de luttes se multiplient, le mouvement social dans son ensemble semble pour beaucoup d’observateurs passer la plus grande partie de son temps à débattre stratégie et tactique dans une forme d’entre soi qui le dessert plus qu’il ne le stimule. Ainsi les mots glissent des tribunes, s’échappent des poses guerrières et tombent comme des éléments de langage, ils semblent au fil du temps perdre leur sens alors qu’être à l’initiative ancré sur le réel semble à chaque instant plus nécessaire.

Autour de nous, le paysage politique, social, associatif est radicalement, profondément bouleversé et ce n’est pas la seule conséquence de l’élection d’Emmanuel Macron. Pour le syndicalisme, déjà scindé entre prétendus réformistes et dénoncés protestataires depuis de longues années, la situation a atteint aujourd’hui un stade où il est devenu quasiment impossible de se parler. Une partie du mouvement syndical s’est laissée enfermer depuis de nombreuses années dans un accompagnement  des régressions sociales dans lequel elle trouvait parfois quelques compensations ou, à défaut, parvenait à limiter les dégâts pendant un bref délai. Elle est aujourd’hui à nue. Une autre partie se trouve confrontée à une répression anti syndicale féroce et à un discours médiatique ostracisant et dans ce marigot peine à être audible, souvent réduite à sa caricature . Enfin quelques autres tentent de manière quasi désespérée de recoller les morceaux pour retrouver un affichage collectif, vainement.

Pour autant, l’outil syndical reste plus que jamais nécessaire pour peu qu’il n’oublie pas d’être avant tout un «outil», justement, et ne devienne pas un but ou une finalité, une forme d’affirmation identitaire un peu vaine. Pour peu, aussi, que les politiques, dans leur globalité, leurs courants et sous-courants cessent de vouloir s’affirmer comme le débouché naturel et unique de tout mouvement social et de tenter de s’approprier ou de manipuler cet «outil» à cette fin ou à leur unique bénéfice.

Cet outil est nécessaire et disponible pour celles et ceux qui voudront s’en saisir et prendre l’initiative, des initiatives.

S’en saisir comme les milliers de bâtons plantés sur la ZAD pour répondre à la violence guerrière d’un pouvoir qui cherche à faire disparaître cet endroit où d’infinis possibles se dessinent et s’élaborent depuis des années au prix de rencontres de mille mondes différents qui échangent et partagent. Un lieu à l’opposé des projets de ce pouvoir qui exploite la terre, les femmes, les hommes et ne cherche qu’à les transformer en flux financiers.

S’en saisir comme de ces mouvements sociaux qui éclosent malgré tout, divers, pluriels, à Air France ou Carrefour, à la SNCF ou dans les EHPAD, à la Poste ou dans les universités, … Des mouvements qui commencent à réoccuper l’espace, les espaces, nos espaces, à faire lien et à partager leurs expériences communes, celles, par exemple, d’un travail aliéné, rendu abstrait par les chiffres et les paroles d’un management verbeux et cynique.

S’en saisir pour déborder les mille et un obstacles déposés autour de nous et construire notre propre calendrier en prenant appui et en respectant toutes les initiatives qui vont dans le sens du commun, du partage des expériences, en faisant émerger mille et une actions, occupations, manifestations déterminées et joyeuses car c’est nous qui à chaque instant permettons au monde de continuer à tourner par nos interventions.

S’en saisir pour ouvrir des bourses du travail dynamiques, expérimentant projets et soutiens, mettant en œuvre les solidarités individuelles et collectives, accueillantes…pour celles et ceux qui ont du travail ou qui n’en ont pas, des papiers ou pas, des contrats ou pas, assemblant les énergies et les envies.

S’en saisir car cet outil syndical c’est déjà le vôtre, c’est notre bien commun et qu’il n’attend qu’une chose, que chacune et chacun s’en saisisse, écarte la chape de résignation qui cherche à nous engourdir, le voile d’oppression qui tente de nous disperser et le brouillard du rejet de l’autre qui obscurcit notre humanité.

Depuis toujours les statuts de Solidaires indiquent que notre outil syndical n’est pas une fin en soi mais une étape, il se veut un syndicat des initiatives. Le premier mai et les jours suivant, nous mettons à disposition cet outil pour construire ensemble, en confiance, des initiatives qui chaque journée se déploieront, occuperont les espaces et proposeront un autre monde que celui de la sélection, de la régression et de l’opposition entre nos forces. Généralisons nos initiatives en une invention générale! (Publié sur son blog)

Eric Beynel, porte parole de l’union syndicale Solidaires

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