23 septembre: une multitude descend dans les rues de Paris

Par Dirceu Travesso et Sebastiào Carlos

Pour des militant·e·s actifs en Europe, il est fort utile de disposer d’une appréciation de syndicalistes brésilens présents à Paris lors de la mobilisation du 23 septembre contre la «contre-réforme des retraites» du gouvernement Sarkozy-Fillon. L’eurocentrisme peut être réduit – si ce n’est supprimé – en ayant une attention pour la façon dont des membres de Conlutas envisagent la lutte sociale en France, avec ses répercussions. Celles et ceux qui ont assisté à l’Autre Davos de janvier 2010 reconnaîtront certainement le nom de Dirceu Travesso, dit «Didi». Il anima, avec d’autres, un atelier sur le syndicalisme. Le second auteur de ces «notes» est connu aussi sous le «petit-nom» de «Cacau» (Réd).

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Près de 3’000’000 de travailleurs ont participé dans 230 villes de France aux manifestations contre la Réforme des retraites du Gouvernement Sarkozy, ce 23 septembre.

Entre autres  mesures, la réforme du gouvernement retire des conquêtes historiques des travailleurs français et augmente l’âge légal de départ à la retraite.

Les arguments sont les mêmes que ceux des gouvernements capitalistes dans le monde entier: le manque d’argent pour assurer le paiement des pensions de retraite.

Argument inacceptable puisque ce furent ces mêmes gouvernements qui, dès les premiers signes de la crise économique impérialiste internationale, ont trouvé des milliards dans les coffres publics pour les donner aux banquiers et aux grandes entreprises multinationales.

Les menaces contre ces conquêtes ne doivent laisser aucun doute sur le caractère réactionnaire du capitalisme et ses gouvernements. L’espoir  qu’on a vendu  aux travailleurs dans le monde entier qu’un jour ils pourraient atteindre les conquêtes des travailleurs européens, montre aujourd’hui que c’était une pure illusion.

Ils veulent imposer aux travailleurs européens le retrait de leurs droits, les licenciements, les baisses de salaire, la diminution des services publics,  qui montrent le besoin du capitalisme, pour se maintenir, d’imposer les taux  d’exploitation en vigueur dans les pays dits du tiers-monde. Ou pire que cela. Rabaisser les conquêtes et droits de tous, ceux des travailleurs des pays dits développés et ceux des travailleurs des autres pays du monde.

Ce n’est pas un hasard si au Brésil aussi on commence à parler de la nécessité d’une nouvelle réforme des retraites avec les mêmes objectifs que ceux de Sarkozy en France:  retirer des droits.

Mais les travailleurs dans les rues, dans toute l’Europe, et maintenant en France, montrent qu’ils peuvent défaire les gouvernements et préserver leurs droits.

Nous avons défilé avec les 300’000 travailleurs qui ont participé à Paris aux manifestations (chiffre de l’Intersyndicale, coordination des huit centrales syndicales qui ont convoqué les manifestations).

La manifestation unitaire  s’est rassemblée Place de la Bastille et de là sont parties deux manifestations qui ont traversé la ville.

Dans la manifestation, la grande majorité des centrales syndicales et d’autres mouvements se partageaient l’espace chacune avec ses mots d’ordre propres, ses tracts, ses camions et hauts parleurs et… beaucoup de ballons gigantesques, non seulement ceux des centrales mais aussi de certains secteurs  et différentes catégories.

Nous avons participé au cortège organisé par Solidaires. La manifestation a duré plus de trois heures se dirigeant vers la Place Denfert Rochereau.

Le cortège de Solidaires était un des plus animés, avec une forte présence de travailleurs de la santé, des PTT(Poste et Télécommunications) du Rail (cheminots), des employés publics et d’autres secteurs. Il y avait beaucoup de jeunes garantissant énormément  d’enthousiasme à la marche, «impactant» par le nombre et aussi dans tous les endroits par où nous passions.

Chaque rue, chaque place par où passait la manifestation rappelait l’histoire d’une classe travailleuse qui, et ce n’est pas un hasard, a des conquêtes sociales parmi les plus avancées au monde. Au cours du trajet nous sommes passés devant la Sorbonne, unique lieu «protégé» par la Police militaire. Sur tout le reste du trajet il n’y avait pas de présence visible de policiers.

Place Denfert Rochereau, lieu d’arrivée de la marche ! C’est de là que partaient les manifestations étudiantes en Mai 68.

Pendant le trajet nous avons été présentés à divers militants syndicaux. La méfiance vis-à-vis des directions majoritaires est grande, en particulier vis-à-vis de celle de la CGT, la principale centrale syndicale du pays.

Crise institutionnelle

Au-delà des grandes manifestations, le Gouvernement Sarkozy connaît une grande crise. Dénonciations de corruption, scandales d’affaires de familles bourgeoises compromettant des ministres… le gouvernement Sarkozy a été conduit à ne compter aujourd’hui qu’avec 35% d’approbation des français, pourcentage des plus bas pour un gouvernement, qui a amené à la défaite de Sarkozy dans les dernières élections régionales et qui pointe vers une défaite électorale dans les prochaines élections nationales.

Les conversations parmi les manifestants et les mots d’ordre scandés dans les cortèges de chacune des organisations reflètent le débat et les enjeux  posés dans ce processus. Professeurs, électriciens, travailleurs de la Poste, cheminots, employés des aéroports, employés de banques, et tant d’autres secteurs, exprimaient  la satisfaction pour la dimension massive des manifestations et en même temps le doute sur comment va continuer la lutte.

Alors que dans  le cortège de Solidaires un des mots d’ordre scandé avec le plus de force était: «Tous ensemble, tous ensemble, Grève Générale», dans le cortège de la CGT on criait du haut des camions des hauts parleurs: «Tous ensemble, tous ensemble,  ouais, ouais».

Ce mot d’ordre (Tous ensemble, tous ensemble…) a été introduit dans le mouvement ouvrier par la grève des cheminots de 1995, qui causa une commotion nationale et «força» à l’unité d’un ample secteur des organisations et mouvements en faveur de la défense des cheminots.

Jusqu’à maintenant, à l’exception de Solidaires, les autres centrales refusent de mettre en avant la grève générale et appellent à des arrêts de travail d’un jour avec manifestations.

Outre ce débat il y a une autre différence dans les mots d’ordre: «retrait du projet» comme criaient les secteurs les plus combatifs et «Non au projet» comme le criaient d’autres secteurs.

Dans le fond il y a un débat sur comment conduire la lutte: en paralysant la France, ouvrant y compris une crise majeure, avec la possibilité de la chute du gouvernement Sarkozy, ou en faisant pression pour une négociation pour altérer certains  points à l’intérieur du projet du gouvernement, permettant que passe la réforme nécessaire à la bourgeoisie et canalisant tout le processus vers la voie électorale et les prochaines élections présidentielles, via le bloc PS-Verts-PCF.

Le 15 septembre le projet de réforme a été voté et approuvé par la Chambre de Députés. Maintenant le projet sera voté au Sénat, vers la mi-octobre.

Les secteurs qui défendent la voie de la négociation ont refusé d’appeler à la grève et manifestation le 15 septembre et ont mobilisé pour hier, pour le 23 septembre.

Une fois encore le débat sur la continuité de la lutte et la possibilité de défaire l’ensemble des attaques du gouvernement français est à l’ordre du jour.

Qui doit payer la crise ? Ou ce sont les banquiers et les multinationales ou bien faut-il accepter la logique de la bourgeoisie, qui veut que les travailleurs la payent et négocier quelques détails du projet gouvernemental?

Ceux qui pensent qu’il s’agit là d’un débat des seuls travailleurs français se trompent.  Ce qui est en train de se jouer en Europe c’est, quelle issue à la crise économique pour le monde entier ! Si les gouvernements capitalistes européens, particulièrement le gouvernement français, imposent cette attaque en défaisant les secteurs les plus organisés de la classe travailleuse mondiale, la bourgeoisie et l’impérialisme, comme un tout, sortiront renforcés pour attaquer les travailleurs et les peuples du monde.

La victoire de notre classe en Europe, au contraire, renforcera la lutte et la résistance au niveau international.

Les travailleurs de France ne sont pas seuls. Des mobilisations ont lieu dans plusieurs autres pays et, une grève générale est convoquée pour le 29 septembre en Espagne.

Mais il y a des difficultés de coordination et d’unification de ces luttes, dues à la politique des directions majoritaires.

La CSP-Conlutas s’est fait présente dans les mobilisations du 23 septembre, en France, apportant notre solidarité de classe et cherchant à établir des contacts, à fortifier des relations avec des secteurs syndicaux combatifs. (Paris, 24.09.2010) (Traduction de Jean Puyade)

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