Etat Espagnol. Sanchez a démissionné, la crise continue

Pedro Sanchez annonce sa démission, le 1er octobre 2016
Pedro Sanchez annonce sa démission, le 1er octobre 2016

Par Jaime Pastor

Consummatum est. Depuis mercredi dernier [28 septembre 2016], avec le coup de sifflet de Felipe Gonzalez et la démission du secteur [17 membres] lié à Susana Diaz [dirigeante du PSOE et de l’exécutif en Andalousie] du Comité exécutif fédéral, une offensive a commencé sur tous les plans, avec le groupe médiatique en tête, contre le secrétaire général du PSOE: Pedro Sanchez. Il était difficile de penser que l’équipe dirigée par Pedro Sanchez puisse résister à la pression subie au cours de la réunion du Comité fédéral du samedi 1er octobre. En effet, à la fin, il a dû jeter l’éponge [démissionner], après un vote à main levée – 132 voix contre 107 – sur sa proposition de tenir un Congrès extraordinaire [chiffres donnés par El Pais du 2 octobre 2016, en p. 21].

Le moment le plus critique dans ce conflit au sein du PSOE se termine ainsi, provisoirement. Mais reste en débat la position à adopter par le groupe parlementaire avant le vote attendu sur l’investiture de Mariano Rajoy, en tant que Premier ministre, avant la date limite du 31 octobre. Nous connaissons l’intention de l’élite gagnante [6 sur 7 des leaders des régions autonomes s’opposèrent à Sanchez]. Toutefois, elle ne s’est pas encore prononcée très clairement [sur l’abstention afin de valider l’investiture de Mariano Rajoy] par peur du rejet qui peut s’exprimer dans une partie importante de la base militante. La décision finale va-t-elle être soumise à un référendum? Y aura-t-il une pression de secteurs militants du PSOE en faveur de cette consultation?

Du mercredi à la journée du samedi 1er octobre, comme apogée, nous avons vu se dérouler une «guerre fratricide». Au cours de laquelle – en laissant de côté le rôle de Felipe Gonzalez [qui déclara qu’il se sentait «trahi et trompé» par Sanchez, car celui-ci lui aurait affirmé, cet été, que le PSOE allait s’abstenir lors du second tour du vote pour l’élection de Mariano Rajoy comme président] – les anecdotes honteuses n’ont pas manqué. Comme le fait de s’arroger la «seule autorité» par la présidente du Bureau du Comité fédéral, Veronica Pérez. Ainsi que le recours par les uns et les autres à des méthodes anti-démocratiques de résolution des conflits. Tout cela, ne l’oublions pas, pour un débat tactique, mais, à coup sûr, ayant une portée bien plus ample. Car tout cela a trait à la façon de traiter avec le régime de crise. L’aider à la résoudre en permettant au PP (Parti populaire) de Rajoy de gouverner? Ou, à l’opposé, en essayant de former un «gouvernement alternatif» qui serait en mesure d’attirer dans le giron de la «gouvernance» Unidos Podemos et même un secteur de l’indépendantisme catalan?

Aujourd’hui, il est devenu clair que, malgré le soutien apporté – lors du Comité fédéral précédent – à Sanchez par des présidents des gouvernements autonomes (à l’exception des îles Baléares) afin d’essayer la formule du «gouvernement alternatif», ils/elles n’espéraient qu’un échec rapide, de sorte à pouvoir entamer des négociations avec le PP en vue d’une abstention possible, et cela avant l’investiture de Rajoy. Ce fut donc «d’entrée, un Non Rajoy», une façon de faire qui rappelle le slogan utilisé par Felipe Gonzalez à propos de l’OTAN, avant de se convertir en un fervent atlantiste [de 1982 jusqu’au «Décalogue sur la politique de paix et de sécurité» d’octobre 1984]. A ces éléments s’est ajoutée la crainte d’une troisième élection générale, après avoir saisi le déclin électoral du PSOE confirmé par les résultats des élections en Galice et dans le Pays Basque. Et cela bien qu’aucun argument de poids n’ait été mis en avant pour attribuer la responsabilité de ces échecs au seul Pedro Sanchez.

A partir de maintenant s’ouvre une nouvelle étape dans ce parti, suite à l’un des moments les plus critiques de son histoire, comparable à ceux qui se sont produits à la fin de 1935 ou à celui traversé en 1979 [le Bad Godesberg du PSOE sous la direction de Felipe Gonzalez].

Certes ces deux épisodes «historiques» s’articulaient sur des lignes de clivage différentes des actuelles et dans des contextes divers. Cependant, ce qui est devenu clair avec ce conflit est que la crise de la version espagnole d’une social-démocratie européenne – elle aussi à la dérive – la conduit à une perte irréversible de sa centralité, de son rôle clé dans le régime. En résumé, sa capacité à être un gouvernement d’alternance. Maintenant, le bipartisme est enfin terminé et nous entrons dans une nouvelle phase de recomposition du système des partis dans laquelle Unidos Podemos et les «convergences» [apparues dans des grandes villes et des régions] doivent jouer un rôle clé en vue de la construction d’une responsabilisation, d’une autonomisation (empowerment) populaire. Et, espérons-le, avec des secteurs du PSOE qui parient de même sur une telle option au même titre qu’une opposition ferme au PP et au bloc de pouvoir qui le soutient.

La résistance de la fraction plus institutionnalisée du PSOE – résistance qui n’est pas étrangère à des intérêts matériels et institutionnels – a acquis ses positions avant le nouveau cycle ouvert depuis 15M 2011 [mouvement des Indignés] et la montée électorale de Podemos. Dès lors, au-delà du soutien obtenu dans plusieurs Communautés autonomes pour pouvoir gouverner, ce courant semble prêt à continuer à dicter le comportement du PSOE. Il s’est engagé à continuer à chercher plus à droite qu’à gauche, tout d’abord en réévaluant Ciudadanos comme une «force de changement», puis en craignant de s’opposer au PP sur des questions clés telles que les politiques de la troïka (UE, FMI, BCE). Une telle attitude s’est manifestée face à l’exigence d’un référendum par un courant catalan majoritaire. Sa fidélité à un nationalisme espagnol exclusif et une lecture fondamentaliste de la Constitution les ont encore plus affaiblis en Catalogne et dans le Pays Basque. Il en découle un PSOE qui se réduit à un parti du «Sud», sur la base de ses bastions en Andalousie et en Estrémadure.

Il ne peut plus jouer le rôle de parti de l’alternance gouvernementale, sans alliance à gauche ou à droite et avec une base électorale en déclin, à la fois socialement (avec un rétrécissement de la «classe moyenne») et avec sa capacité réduite à attirer de nouvelles générations comme ceux et celles qui reconnaissent déjà, ouvertement, la réalité plurinationale au sein de cet Etat. Dès lors, le PSOE connaît une nouvelle mutation. S’il y a longtemps qu’il était un parti éloigné de ce qui constitua les traits de l’identité originale de la social-démocratie, il est maintenant un parti sans projet alternatif face à la droite néolibérale. A cela s’ajoute la tâche pendante de se reconstruire à partir d’une opposition subalterne au PP. Et sous la houlette d’une coalition dominante et d’un leadership qui devraient être en mesure de cicatriser les plaies ouvertes tout au long de cette semaine fiévreuse, où la «guerre» a atteint des extrêmes inédits. (Article publié sur le site Viento Sur le 1er octobre 2016; traduction A l’Encontre)

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